En septembre 1978, Roland Béguelin, entouré de milliers de séparatistes, fête l’acceptation par le peuple suisse de la création du canton du Jura. Photo: Musée national suisse/ASL

Enfin souverain!

Le 1er janvier 1979, le Jura devient un canton indépendant. Les Suisses ont en effet voté à une majorité écrasante pour la souveraineté des Jurassiens.

Hervé de Weck

Hervé de Weck

Hervé de Weck est un historien spécialisé dans les questions militaires et a été rédacteur en chef de la Revue Militaire Suisse de 1991 à 2006.

Ce sont les autorités fédérales qui convainquent le Gouvernement bernois d’organiser un plébiscite dans le Jura bernois. Celui-ci définit une procédure en cascade avec votes de l’ensemble des sept districts (Ajoie, Courtelary, Delémont, Franches-Montagnes, La Neuveville, Laufon, Moutier) puis, s’ils le demandent, vote des districts dans lesquels la majorité n’a pas été obtenue, puis des communes frontalières de ces districts avec le territoire du futur Canton.

Le 23 juin 1974, une faible majorité de votants dans les sept districts accepte la création d'un Canton du Jura (36'802 oui, 34'057 non). Le 16 mars 1975, les districts de Courtelary, Moutier, La Neuveville, protestants, celui de Laufon, catholique, décident de rester bernois. En septembre, dans un troisième temps, des communes limitrophes votent leur rattachement au Canton du Jura. Dans la nuit du 2 au 3 juillet 1975, le plasticage à Bassecourt de la maison d’un militant antiséparatiste semble se situer dans ce contexte. La «Finanzaffäre im Kanton Bern[1]» révèle que le Gouvernement bernois a secrètement subventionné les antiséparatistes. Le district de Laufon, qui a obtenu le droit de voter à nouveau en novembre 1989, devient territoire du demi-canton de Bâle-Campagne, le 1er janvier 1994.

Le 1 janvier 1979, le Jura devient un canton indépendant

En 1978, tous les cantons et une écrasante majorité de votants acceptent un 26e Canton; les violences des deux camps, pendant la campagne, n’ont pas joué un grand rôle dans le résultat de la votation. La République et Canton du Jura entre en souveraineté le 1er janvier 1979. La Constituante accepte l’article 138 de la Constitution cantonale, qui donne à entendre que d’autres districts ou communes, non incluses à l’origine dans le futur Canton, pourraient le rejoindre. Cette façon de formuler les choses annonce la revendication de la réunion du Jura et du Jura bernois, constante dans les décennies suivantes. Les Chambres fédérales ne donnent pas la garantie fédérale à cet article de la Constitution jurassienne.

Une partie de l’ancienne Principauté épiscopale de Bâle obtient démocratiquement sa souveraineté cantonale. Succès pour les institutions suisses, résignation du peuple bernois qui perd une partie du territoire reçu en 1815, esprit d’ouverture des Suisses qui accueillent un nouveau Canton, malgré les méthodes des leaders séparatistes, parfois à la limite de l’acceptable pour les mentalités de l’époque. Les Confédérés ont su reconnaître la volonté d’une majorité dans le nord du Jura bernois.

L’habileté et le charisme des tribuns séparatistes, une mythologie, une propagande habile, de grandes manifestations populaires ont joué un rôle essentiel dans la Question jurassienne, pas les armes et les explosifs, comme le donne à entendre Carole Villiger, auteur de Usages de la violence en politique paru en 2017, dans le chapitre intitulé «Jura: le séparatisme par les armes»! Les effets politiques des attentats du FLJ sur la Question jurassienne restent à étudier, comme ceux de l’internationalisation recherchée par les mouvements séparatistes.

Entre 1947 et 1978, il y a eu incendies et attentats contre des biens, mais la Question jurassienne n’a provoqué qu’un seul mort à Boncourt en 1974. Trois autres décès restent toujours mystérieux en 2017: ceux de l’aspirant Rudolf Flükiger, du gendarme Rodolphe Heusler, du restaurateur Alfred Amez. Les armes d’ordonnance en possession des citoyens-soldats dans le Jura historique sont restées à la maison.

Pierre Rottet raconte:

«En cas de vote négatif sur la création du canton du Jura, le 23 juin 1974. On n’aurait sûrement pas mis une sourdine à nos actions. On avait d’ailleurs prévu plusieurs opérations coup de poing. Comme la prise de contrôle de chars d’assaut sur la place d’armes de Bure. Les véhicules blindés auraient été conduits sur territoire français pour mettre les autorités suisses dans l’embarras. On avait aussi planifié l’isolement complet de l’Ajoie et du château de Porrentruy. Une opération qui aurait obligé les forces de l’ordre, voire l’armée, à intervenir. (…) Tout cela ne serait plus possible aujourd’hui. D’autant que le discours a changé. Plutôt que de séparation, on parle désormais d’ouverture des frontières, de création d’entités plus larges. Une évolution qui s’inscrit dans l’air du temps.»

Pascal Fleury: «Les mémoires d’un ancien Bélier», Le Quotidien jurassien, 29 mars 2010

Le 2 janvier 1979, le premier gouvernement cantonal jurassien trinque à l’avenir radieux du canton.

Le plan secret du Groupe Bélier

En cas de vote fédéral négatif, le 24 septembre 1978, les jeunes autonomistes prévoient d'organiser une «pression populaire» sur l'Assemblée constituante, afin qu'elle organise l'élection des premières autorités jurassiennes. La grève générale serait annoncée dans la soirée par le Groupe Bélier, par le Rassemblement jurassien et les partis politiques jurassiens. Des tracts seraient distribués le lundi matin dès 6 heures devant les entreprises, suivis d'une manifestation à Delémont.

Un dispositif de surveillance est programmé, afin de protéger l'Assemblée constituante, les responsables autonomistes, les accès au Jura, mais aussi de contrôler les «pro-bernois d'Ajoie». «En cas de nécessité», il y aurait une «riposte immédiate en Suisse», en particulier l’«arrestation de personnalités». Enfin, pour être entendu et émettre sur tout le Jura, les jeunes autonomistes avaient imaginé de voler un camion militaire! Ce dispositif est cautionné par les principaux ténors de l'Assemblée constituante, même si certaines des mesures prévues paraissent relever du fantasme.

Contrairement à ce qu’affirme Jean-Claude Rennwald, les constituants semblent ne pas avoir eu connaissance de ces planifications.

Jean-Claude Rennwald: La Suisse, 18. Dezember 1988.

A lire demain: le combat jurassien continue!

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