La bataille de Solférino entre l’Autriche et le royaume de Piémont-Sardaigne, soutenu par la France, transforma Henry Dunant. Témoin des blessures dont étaient victimes de nombreux soldats, le Genevois écrivit un livre à leur sujet. Ses idées ont été à l’origine de la création du CICR. Photo: Musée national suisse

Henry Dunant, héros tragique

Né le 8 mai 1828, le Genevois Henry Dunant est considéré comme le père de la Croix-Rouge. Ses idées humanistes ont changé le monde. D’abord soucieux de faire du profit grâce à son entreprise implantée en Afrique du Nord, ce capitaliste est pourtant devenu idéaliste à Solférino.

Andrej Abplanalp

Andrej Abplanalp

Historien et chef de la communication du Musée national suisse.

Henry Dunant est le cofondateur de la Croix-Rouge (CICR). Son livre Un souvenir de Solférino, consacré à la bataille décisive de la campagne d’Italie de 1859, a posé les bases d’un comportement plus humain en temps de guerre, ce qui a valu au Genevois de recevoir le prix Nobel de la paix en 1901. Mais on ferait erreur en voyant en Dunant un parfait humaniste. C’est pour des motifs économiques que cet entrepreneur s’est rendu en Italie du Nord, où il a été témoin – plutôt par hasard – du caractère impitoyable de la guerre.

Une société coloniale en Algérie

Après une formation d’employé de banque, Henry Dunant fonde une société coloniale en 1856. En Algérie, territoire conquis par la France, il fait construire un moulin moderne destiné à exporter de la farine de blé vers l’Europe. Dunant en escomptait des bénéfices substantiels, et ses investisseurs devaient eux aussi tirer profit de leur engagement en Afrique du Nord. Mais les Français lui accordent trop peu de terres et d’eau. Le projet est menacé. À Paris, les autorités compétentes se montrent peu enclines à discuter, incitant l’entrepreneur à s’adresser directement à l’empereur Napoléon III. Or, ce dernier avait quitté les bords de la Seine pour la Lombardie où, avec ses troupes, il combattait les Autrichiens aux côtés du royaume de Piémont-Sardaigne (voir encadré).

Portrait d’Henry Dunant. Photo: Musée national suisse

Au secours des soldats blessés

Lors de cette rencontre, Henry Dunant voulait remettre à l’empereur des Français un texte d’éloge qu’il avait rédigé. L’Empire de Charlemagne rétabli ou le Saint-Empire romain reconstitué par Sa Majesté l’Empereur Napoléon III, tel était le titre de l’œuvre destinée à gagner le monarque à sa cause. L’entrevue n’aura jamais lieu, mais le Genevois rencontre en revanche de nombreux soldats blessés dont personne ne s’occupait. Cette détresse relègue au second plan ses ambitions économiques. Il commence à aider les blessés, sans faire aucune distinction entre les belligérants, en s’attaquant aux cas les plus urgents. À son retour d’Italie du Nord, encore sous le choc de ce qu’il a vécu, il se met à décrire son expérience. Un souvenir de Solférino est imprimé en 1862 et tiré à 1600 exemplaires à compte d’auteur. Il distribue et envoie le livre à des personnalités éminentes des milieux politiques et militaires. Le Genevois y propose la fondation d’un Comité international de secours aux militaires blessés. Son idée trouve un terrain propice, et c’est ainsi que le CICR a vu le jour en 1863.

La campagne d’Italie de 1859

Pendant la campagne d’Italie de 1859, l’Autriche combattit le royaume de Piémont-Sardaigne, soutenu par la France de l’empereur Napoléon III. Le Piémont-Sardaigne voulait conquérir le royaume de Lombardie-Vénétie, possession autrichienne depuis le Congrès de Vienne en 1815. La France soutenait ce projet. Napoléon III projetait une Italie unie sous domination française et s’était par ailleurs vu promettre Nice et la Savoie. En mai et juin 1859, les belligérants s’affrontèrent à plusieurs reprises en Italie du Nord, notamment lors de la bataille de Solférino. Après leur défaite, les Autrichiens cédèrent la Lombardie à Napoléon III lors du traité de Zurich. Celui-ci remit la région au royaume de Sardaigne. La victoire contre l’Autriche était une étape supplémentaire vers l’unité italienne. L’Autriche, en revanche, perdait une grande partie de son influence dans la péninsule.

Sur le plan personnel, cependant, Henry Dunant ne connaît pas le même succès. Son entreprise en Algérie fait faillite, entre autres parce qu’il l’avait largement délaissée pour sa « mission humaniste ». En 1868, il est condamné par un tribunal genevois pour faillite frauduleuse, un an après avoir démissionné de son poste de secrétaire du CICR. Cette décision lui avait été fortement conseillée, voire imposée. Ayant perdu sa fortune et sa réputation, il entame un long périple à travers l’Europe. Seul le soutien financier d’amis et d’admirateurs évite à Henry Dunant d’être totalement réduit à la misère. À la fin des années 1880, après des années de malheur, il aboutit à Heiden. Une petite pension versée par ses proches lui assure un train de vie modeste en Appenzell. En 1895, le journaliste Georg Baumberger, originaire de Suisse orientale, découvre Dunant au cours d’une promenade et évoque cette rencontre dans un article. Celui-ci, rapidement diffusé dans toute l’Europe, restaure la réputation de Dunant. Nombreux étaient ceux qui le croyaient mort et sont surpris que le cofondateur de la Croix-Rouge soit encore en vie. La tsarine douairière Maria Feodorovna lui accorde une pension annuelle, améliorant ainsi la situation financière du Genevois. Sa renommée s’accroîtra encore lorsqu’il recevra le tout premier prix Nobel de la paix en 1901, aux côtés du pacifiste français Frédéric Passy. Dunant s’est éteint à Heiden en 1910.

Malgré les vicissitudes de sa vie, Henry Dunant est considéré aujourd’hui encore comme le père de la Croix-Rouge et révéré dans le monde entier. Son livre Un souvenir de Solférino a été la première impulsion permettant de civiliser la guerre. Pour autant que cela soit possible.

Le livre de Dunant «Un souvenir de Solférino» a jeté les fondements du CICR. Photo: Musée national suisse

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