L’effondrement de la coupole principale marqua le paroxysme de l’incendie qui ravagea la gare de Lucerne.
L’effondrement de la coupole principale marqua le paroxysme de l’incendie qui ravagea la gare de Lucerne. SBB Historic

L’incendie de la gare de Lucerne

Le plus grand incendie de toute l’histoire des CFF se déclara 5 février 1971 dans la gare de Lucerne. D’une grande violence, il ravagea la plus grande partie du bâtiment de style Art nouveau.

Marc Ribeli

Marc Ribeli

Marc Ribeli est historien et s'occupe des archives de photos, de films et de vidéos chez CFF Historic.

La foule se pressait contre les parapets du pont de Lucerne pour regarder, fascinée, en direction de la gare. Une épaisse colonne de fumée gris foncé montait dans les airs tandis qu’un feu, dont les lueurs jaune et orange flamboyantes contrastaient sur le gris du ciel de ce froid matin de février, s’élevait du dernier étage du bâtiment. Les clichés de l’incendie de la gare de Lucerne qui nous sont parvenus sont impressionnants. Les sources iconographiques nous permettent de nous imaginer la dimension de l’événement et l’effet qu’il produisit; s’il fut court dans sa durée, ses répercussions furent durables.
La gigantesque colonne de fumée se voyait de loin, comme le montre ce cliché pris du Schweizerhofquai.
La gigantesque colonne de fumée se voyait de loin, comme le montre ce cliché pris du Schweizerhofquai. SBB Historic
La première fumée fut aperçue dans l’enceinte de la gare peu après 8 h; à 8 h 18, la police fut alarmée et arriva immédiatement avec une équipe de pompiers d’astreinte. Une fois sur place, le groupe entreprit, à l’aide d’échelles, de pénétrer dans les sinueux couloirs du dernier étage, en bois, du bâtiment qui accueillait les passagers. Il y régnait déjà de hautes flammes et une épaisse fumée. En dépit de l’aide apportée par les communes voisines, la police et le service de sécurité des CFF, les pompiers municipaux ne parvinrent pas à contrôler l’incendie. Le bâtiment dut être évacué et le feu combattu depuis l’extérieur. Par chance, toutes les personnes occupant les chambres mansardées purent sortir à temps et personne ne périt dans l’incendie, ce dont on ne fut cependant certain que par la suite.
Images de l’incendie de la gare de Lucerne. SRF
Les pièces du rez-de-chaussée furent évacuées, la halle des guichets et celle des quais interdites d’accès. En un court laps de temps, et au prix d’un travail acharné, le personnel des chemins de fer et de la Poste put mettre en sécurité plus de 100 000 lettres et chèques postaux, ainsi que transférer le contenu de plus de 1000 cases postales. À 8 h 52, le dernier train entra en gare. Les passagers durent quitter l’enceinte de la gare au pas de course, le brasier s’étant tellement propagé que l’on redoutait que l’immeuble ne s’effondre. La gare de Lucerne fut fermée au trafic marchandises, les trains rapides firent arrêt à la gare de marchandises et les trains régionaux dans les gares des communes voisines. Les quatre derniers trains quittèrent la gare à 9 h. Trois minutes plus tard, l’électricité était coupée. Le feu atteignit son paroxysme peu après 9 h lorsque la coupole du bâtiment accueillant les passagers s’effondra dans un fracas assourdissant. Il existe de nombreux films et photos de la scène, car les badauds suivaient l’évolution de l’incendie avec l’objectif de leur appareil photo depuis différents endroits situés aux alentours de la gare. Une fois la coupole écroulée, le feu s’empara du rez-de-chaussée. Les flammes détruisirent le kiosque, les guichets, le salon de coiffure, le comptoir des bagages à main, le Buffet, les vitrines et les toilettes. Plus tard, la petite coupole ouest éclata à son tour. Vers 13 h, les pompiers parvinrent à se rendre maîtres de l’incendie. L’électricité était coupée dans toute la zone entourant la gare, les trolleybus ne circulaient plus et les passages permettant aux voyageurs de passer sous les voies restaient dans le noir.
Le terrible incendie fut combattu de l’extérieur pour ne pas mettre de vies en danger.
Le terrible incendie fut combattu de l’extérieur pour ne pas mettre de vies en danger. SBB Historic
Le hall de gare envahi par les décombres de la coupole principale.
Le hall de gare envahi par les décombres de la coupole principale. SBB Historic

Plus de 220 tonnes de gravats

Le terrible incendie laissa derrière lui un champ de ruines: la grande coupole disparut entièrement, tandis que l’intégralité de l’aile ouest de la façade de principale, ainsi que toutes les salles du Buffet de la gare, de la halle aux guichets avec la caisse, la salle d’attente, l’espace réservé aux bagages ainsi que les toilettes furent détruites par les flammes. Plus de 220 tonnes de gravats durent être déblayées dans la seule halle aux guichets. En dépit de l’enquête qui fut menée, on ne sut jamais avec certitude quel avait été le point de départ du feu. L’incendie se serait très vraisemblablement déclenché en un endroit où, la veille, on avait utilisé un chalumeau pour réparer une gouttière endommagée.

Ce n’est pas tous les jours qu’en l’espace d’une demi-heure, les voies, les guichets, le service des bagages et des colis express, le bureau des rensei­gne­ments, le bureau de change, les locaux accueillant les voyageurs en attente et les restau­rants d’une grande gare sont dévastés au point de devenir inutilisables.

Face au plus grand incendie de leur histoire, les CFF réagirent sans émotion. La compagnie fixa tout de suite son regard sur l’avenir et concentra ses efforts sur la reprise rapide de l’exploitation. On mit promptement en place des solutions provisoires. Les trains purent de nouveau circuler sans retard notable grâce aux installations ferroviaires qui étaient restées intactes, et les offices postaux purent rouvrir dès l’après-midi. La population, en revanche, était loin d’éprouver un tel détachement: pour elle, il ne s’agissait pas seulement d’une des plus grandes gares de Suisse qui était hors service pour une certaine période. En l’espace de quelques heures, c’était l’un des bâtiments les plus renommés de Lucerne qui avait disparu. La coupole centrale, notamment, qui avait été construite plus de 75 ans auparavant et qui était visible de loin, était devenue un symbole de la ville. La disparition avait été abrupte et on évoqua encore longtemps avec nostalgie le «beau bâtiment de l’ancienne gare». L’événement se grava à tout jamais dans la mémoire collective des Lucernois.
La gare de Lucerne avant l’incendie, inaugurée le 1er novembre 1896.
La gare de Lucerne avant l’incendie, inaugurée le 1er novembre 1896. SBB Historic
La nouvelle gare de Lucerne fut inaugurée le 5 février 1991 à 9 heures et 3 minutes très exactement, soit à la même heure où, vingt ans plus tôt, jour pour jour, l’incendie de 1971 avait figé les aiguilles de l’ancienne horloge. L’entrée de l’ancien bâtiment, décoré par la sculpture en bronze de Richard Kissling, Zeitgeist, se dresse sur la Bahnhofsplatz en mémoire de l’ancienne gare, tout comme le tableau Nord et Sud de Maurice Barraud, qui a pu être retiré des décombres de l’ancienne halle aux guichets en n’ayant pratiquement subi aucun dommage, a trouvé sa place sur la nouvelle façade ouest.

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