Pour faire du cyclocross, il ne faut pas avoir peur de se salir.
Pour faire du cyclocross, il ne faut pas avoir peur de se salir. Musée national suisse / ASL

Les forçats de la route

Voyage dans l’histoire du cyclocross. Cette discipline a connu son heure de gloire dans les années 1970 et 1980. Tombée par la suite dans un oubli presque total, elle connaît un certain renouveau.

Nils Widmer

Nils Widmer

Nils Widmer est historien, collaborateur scientifique pour Swiss Sports History et doctorant à l’Université de Lucerne.

Le cyclocross est apparu au tournant des XIXe et XXe siècles dans le sud de la France. À l’époque, les coureurs sur route passaient l’hiver sous le soleil de la Côte d’Azur. Là, ils se préparaient à la saison suivante en avalant les kilomètres, tantôt sur routes classiques, tantôt sur des pistes et autres chemins de traverse, n’hésitant pas, si nécessaire, à porter leur vélo sur l’épaule ou à gravir en courant les pentes les plus escarpées. Ainsi est née une nouvelle discipline, dont les premières courses ont eu lieu en 1902. Le principe n’a pratiquement pas changé depuis: parcourir plusieurs fois de suite un circuit clairement balisé lors de courses de 20 à 60 minutes selon la catégorie. Les athlètes empruntent principalement des prairies, mais aussi des forêts et des champs. En cas d’intempéries, de neige ou de pluie, le terrain se transforme vite en un parcours du combattant dans la boue. En principe, l’itinéraire choisi est plutôt plat, mais il n’est pas rare qu’il soit entrecoupé d’obstacles (pentes raides, voire escaliers) obligeant à porter le vélo. Les vélos utilisés ressemblent beaucoup aux vélos de route, avec notamment le guidon recourbé si caractéristique. Leur structure, cependant, est plus stable, et leurs pneus plus profilés.

Roues, courses, gloire. Cyclisme suisse

15.07.2022 16.10.2022 / Musée national Zurich
Sur route, en salle ou en plein champ : l’exposition Vélo présente le cyclisme suisse sous toutes ses facettes. Une collection de photographies pour découvrir l’histoire des étapes de montagne, mais aussi des acrobaties téméraires ou involontaires, des duels en salles ou sur route, et les bons vieux vélos de l’Armée Suisse.
En Suisse, les premiers championnats de cyclocross ont eu lieu en 1912, sous la houlette de l’association romande de cyclisme, l’Union Cycliste Suisse. Quatre ans plus tard, le Schweizerisches Radfahrer-Bund (Fédération des cyclistes suisses ), ancêtre de l’association Swiss Cycling, organise à son tour un championnat. Et à compter de 1924, les deux associations s’associent pour organiser les championnats de Suisse de cyclocross. Les Romands mènent la course lors des premières éditions, mais dès la fin des années 20, les athlètes de l’Oberland zurichois prennent la main, qu’ils conserveront longtemps.
Ferdy Kübler lors d’une course de cyclocross en 1940.
Ferdy Kübler lors d’une course de cyclocross en 1940. Musée national suisse / ASL
Si les premiers tournois sont surtout remportés par des coureurs sur route proprement dits, on voit avec les années se multiplier les spécialistes qui se consacrent en priorité au cyclocross. Ce qui n’empêche pas les cyclistes de conserver leur polyvalence. Ainsi, Ferdy Kübler, premier Suisse à remporter le Tour de France, fut sacré champion de Suisse de cyclocross en 1945. De la même façon, Albert Zweifel, qui comptabilise le plus grand nombre de victoires de l’histoire du cyclocross suisse, prit le départ du Tour de Suisse à 16 reprises – un record! Il joua d’ailleurs un grand rôle dans la popularité du cyclocross en Suisse entre les années 1970 et 1990. Mécanicien de formation, cet enfant de Rüti (ZH) remporta au cours de sa carrière professionnelle (1973-1989) cinq titres de champion du monde, cinq autres médailles lors des championnats du monde, divers titres suisses et plus de 300 courses. Son principal rival, Peter Frischknecht, était Suisse lui aussi, mais dut souvent se contenter de la deuxième place. Comme pour Ferdy Kübler et Hugo Koblet qui s’affrontaient sur route dans les années 1950, le public se divisait en deux camps, partisans de Zweifel d’un côté, ceux de Frischknecht de l’autre.
Albert Zweifel participant à une course sur route en 1976.
Albert Zweifel participant à une course sur route en 1976. Musée national suisse / ASL
Même année, même équipe, même cycliste, mais autre discipline: course de cyclocross en décembre 1976.
Même année, même équipe, même cycliste, mais autre discipline: course de cyclocross en décembre 1976. Musée national suisse / ASL
Dans les années 1970 à 1980, le public pouvait suivre régulièrement les actualités du cyclocross grâce à l’émission télévisée du dimanche soir – un rendez-vous hebdomadaire qui a sans doute beaucoup contribué à la popularité dont la discipline jouissait à l’époque. Le succès des athlètes suisses, cependant, n’explique pas à lui seul le nombre de reportages consacrés à ce sport. Il se trouve que les courses du dimanche se finissaient souvent l’après-midi et se déroulaient la plupart du temps dans l’Oberland zurichois: les journalistes n’avaient plus qu’à acheminer leurs pellicules jusqu’aux studios de Leutschenbach et à les développer, le dimanche soir, avant la diffusion du sujet consacré aux titres sport du weekend.
Championnat du monde de cyclo-cross 1970 à Luxembourg. YouTube / British Pathé
Les années 1990 ont vu décliner l’intérêt du public pour le cyclocross, malgré de nouveaux titres mondiaux pour la Suisse en 1988 et 1995. La discipline se trouvait fortement concurrencée par le VTT qui, inventé aux États-Unis dans les années 1970, avait vite conquis des amateurs en Suisse. Ainsi, Thomas Frischknecht remporta la médaille d’argent dès les premiers championnats du monde, en 1990 à Durango (États-Unis). Mais il pratiquait également le cyclocross dans les années 1990 et 2000, décrochant par deux fois le titre de champion de Suisse. À l’époque où le VTT ravissait le cœur de Suisses toujours plus nombreux, le cyclocross, lui, disparut pratiquement des radars sportifs helvétiques. Le succès des Suisses dans les compétitions internationales de VTT n’est sûrement pas étranger à cette évolution.
Mais l’essor du VTT eut aussi un autre effet, très différent. Depuis l’apparition de la discipline, on voyait des femmes disputer les compétitions au même titre que les hommes – on pense notamment aux premiers championnats de Suisse, en 1994. Dans le cyclocross, en revanche, les femmes suisses n’ont eu leur championnat national qu’en 2000, soit 88 ans après les hommes. On a en effet longtemps évoqué la difficulté de la discipline pour justifier de ne pas l’ouvrir aux femmes, supposées trop peu résistantes pour y participer. Un argumentaire que l’on retrouve dans de nombreux sports jusqu’à une date avancée du XXe siècle, et même au XXIe. Mais une fois que le sexe présenté comme faible eut fait ses preuves en VTT, la position devint difficile à tenir. Il se peut également que l’image des sports cyclistes, couramment associés à l’armée et aux sports de combat, ait joué un rôle dans l’acceptation tardive des athlètes féminines. Dans les troupes cyclistes de l’armée suisse, en effet, savoir traverser des terrains ingrats en deux roues ou vélo sur l’épaule était aussi important que dans le cyclocross. Si ces corps ont été dissous en 2003, les courses de cyclocross militaire, elles, ont perduré.
Troupe cycliste en opération, vers 1935.
Troupe cycliste en opération, vers 1935. Musée national suisse / ASL
Mais revenons à la société civile: ces dernières années, le cyclocross connaît un regain d’intérêt. Depuis 2018, la Suisse accueille à nouveau la coupe du monde de la discipline et en 2020, les championnats du monde ont eu lieu à Dübendorf. Les athlètes suisses ne sont plus dans le peloton de tête, aujourd’hui dominé par les Belges et les Néerlandais. Malgré tout, le cyclocross connaît une nouvelle jeunesse jusque dans sa pratique grand public: les fameux gravel bikes s’en inspirent largement, dotés eux aussi d’un cadre stable et, par rapport aux vélos de route, de pneus plus larges et plus profilés. Depuis 2020, le nombre de gravel bikes vendus dans les magasins spécialisés de Suisse a considérablement augmenté. Une tendance qui n’est pas sans lien avec le boom plus général du vélo que l’on observe depuis 2020 et le début de la pandémie de coronavirus.

Swiss Sports History

Ce texte est le fruit d’une collaboration avec Swiss Sports History, le portail consacré à l’histoire du sport suisse. Ce dernier a pour vocation de fournir des services de médiation scolaire ainsi que des informations aux médias, aux chercheurs et au grand public. Pour en savoir plus, rendez-vous sur sportshistory.ch.

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