L’Antiquité romaine a séduit l’écrivain bâlois Claude Cueni. Photo: Sebastian Magnani/Ex-Press.

« Il faut pouvoir sentir la crasse des ruelles »

Claude Cueni est un auteur de romans historiques de renommée internationale. L’écrivain bâlois nous parle de recherches et de visites de musées et nous dit pourquoi son nouveau roman se passe dans le futur.

Schweizerisches Nationalmuseum

Schweizerisches Nationalmuseum

Le Musée national Suisse est le musée d’histoire culturelle le plus visité de Suisse.

Claude Cueni, en quoi se différencie le travail sur un roman historique de l’écriture d’une œuvre fictive ?

Claude Cueni : On peut écrire un roman-fiction de 500 pages en un an. Pour un roman historique solide qui trouve grâce aux yeux des historiens, il faut compter au moins une année consacrée aux recherches.

Comment vous y prenez-vous ?

Tout dépend de l’époque décrite. Mon premier roman historique « Cäsars Druide » (réédité sous le titre « Das Gold der Kelten »), qui met en scène la guerre des Gaules, m’a demandé environ 10 années de recherches. Ceci était probablement dû à mon manque d’expérience. J’ai lu à peu près tous les ouvrages de référence disponibles en allemand, en français et en anglais, j’ai franchi le col du Hauenstein sous une pluie torrentielle, équipé comme un légionnaire romain, accompagné de mon fils j’ai appris à faire la cuisine romaine chez des archéologues écossaises, j’ai visité en Italie et en France tous les lieux importants de mon ouvrage. Une expertise de l’université de Bâle certifie que mon roman tient compte des résultats les plus actuels de la recherche. Ce livre a été un flop en Suisse, mais cette histoire d’un Celte spastique est un best-seller en Espagne et en Amérique du Sud.

Avez-vous rassemblé autant d’informations pour chacun de vos romans historiques ?

Les romans historiques qui ont suivi m’ont demandé moins de recherches. D’une part parce que j’ai acquis entre-temps une plus grande expérience, d’autre part parce que nous disposons de beaucoup plus de sources fiables pour les XVIIIe et XIXe siècles : nous avons la presse, les journaux personnels et plus tard la photographie. Même s’il est probable que l’on n’utilise que cinq pour cent de ces informations, il est absolument nécessaire de comprendre l’époque dans son ensemble, il faut pouvoir sentir la crasse des ruelles et savoir quelles conceptions de l’amour régnaient alors, comment on se nourrissait et comment on se soignait.

Y a-t-il certaines époques qui vous sont plus proches que d’autres ?

Depuis mon enfance, l’Antiquité romaine a été ma grande passion. Plus tard, le siècle des Lumières et la Révolution m’ont enthousiasmé. Entre-temps, j’éprouve un vif intérêt pour le XIXe siècle, cette période d’accélération marquée par l’industrialisation et mille inventions qui ont jeté les fondements du niveau de civilisation suivant.

Vous avez écrit que les romans historiques rendent heureux parce qu’ils nous offrent la possibilité de comparer différentes époques et d’apprécier le présent. Aimez-vous lire des romans historiques ?

Je lis tant de littérature spécialisée que je n’ai plus le temps de lire des romans. On mesure son propre bonheur en fonction du bonheur ou du malheur des autres. Ayant passé la plus grande partie de ma vie dans des époques révolues, je considère que, malgré tous les coups durs, la chance m’a souri.

La visite d’un musée peut-elle avoir un effet comparable ?

Oui. Visitez un musée consacré à la chirurgie dentaire et vous ne pourrez plus prétendre que vous aimeriez vivre au XVIIIe siècle. L’apport des musées historiques est considérable ; ils élargissent notre horizon et permettent de comprendre pourquoi nous sommes devenus ce que nous sommes aujourd’hui. Grâce à des technologies modernes, de nombreux musées sont devenus des attractions qui s’adressent à toutes les classes d’âge.

Claude Cueni, photo: Sebastian Magnani/Ex-Press.

Dans votre dernier roman « Godless Sun » votre regard se porte non plus sur le passé mais sur le futur. Est-ce là une extension du concept de roman historique ?

De nombreux auteurs de romans historiques écrivent également des romans de sciencefiction. La raison en est simple : qui connaît le passé et le présent finit par se faire une idée d’un possible futur. Certains auteurs de science-fiction qui se fondent sur des recherches sérieuses peuvent tout à fait étudier les tendances évolutives de la société. Cependant, « Godless Sun » est plus proche de la réalité. Il traite de l’athéisme sur arrière-fond de crise migratoire. Durant l’Antiquité, il était possible de stopper une invasion en négociant avec les meneurs. Aujourd’hui, nous avons affaire à des millions d’individus en quête d’une vie meilleure.

Vous dites : « Tout a une date de péremption ». L’écriture n’est-elle pas une manière de préserver, en particulier dans le cas des romans historiques ?

Sur le plan du contenu, il n’y a pas de date de péremption. Mais chaque époque a sa propre langue et notre perception des personnages historiques dépend de l’ère du temps. Jules César est ainsi passé par tous les stades : homme d’État averti ayant imaginé l’euro avant l’heure ou Hitler de l’Antiquité. De même, John Law a été selon les orientations idéologiques de l’observateur un spéculateur, un imposteur, un boursicoteur de génie ou encore le fondateur de la finance moderne. Pour moi, il a été l’homme qui n’a jamais baissé les bras.

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