Ella Maillart devant le consulat anglais en Iran, 1939-1940.
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Des pistes de ski à l’Orient

Sportive, voyageuse et écrivaine, Ella Maillart avait de multiples talents. Histoire extraordinaire d’une brillante Suissesse.

Benedikt Meyer

Benedikt Meyer

Benedikt Meyer est historien et écrivain.

L’air salé de la mer, l’odeur de la neige fraîchement tombée. Les épices des marchés, les gaz d’échappement de la Ford, l’air du désert, l’odeur de renfermé des caves où l’on se drogue, celle du papier de ses livres... Peut-être devrait-on raconter l’histoire d’Ella Maillart avec des odeurs.

Ella Maillart, née en 1903 à Genève, est la fille d’un commerçant en fourrures fortuné. Enfant, elle se levait à quatre heures du matin le dimanche pour aller skier avec sa mère. À 13 ans, elle gagna ses premières régates, à 16 ans elle fonda le premier club féminin de hockey sur terre en Suisse romande, et à 19 ans, elle rejoignit la Corse en voilier avec une amie, puis navigua jusqu’en Grèce et en Bretagne avec d’autres camarades. À 21 ans, elle participa aux régates olympiques; elle fut la seule femme de la compétition. L’hiver, elle prit part à des compétitions avec l’équipe nationale de ski. Elle fut secrétaire, actrice, cascadeuse et capitaine de l’équipe suisse de hockey.

Ensuite, elle commença à voyager et à écrire. Moscou, la Crimée, le Caucase, le Kirghizistan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan. En 1934, alors qu’elle visitait la Mandchourie, elle rencontra à Pékin le journaliste du New York Times Peter Fleming et fit route avec lui pendant sept mois, traversant le Tibet jusqu’au Cachemire indien. Sites marécageux, déserts, montagnes... Ce fut un voyage très tranquille, raconta-t-elle plus tard avec enthousiasme. Le silence, le calme: peut-être faudrait-il aussi raconter l’histoire d’Ella Maillart avec des sons. Et pourquoi avec pas des couleurs. Quoiqu’il en soit, sa biographie relate tout ce qui se passait dans les années 1920 et 1930: tourisme, mobilité, sport, films. Avec du talent, de l’argent et le courage d’entreprendre des aventures, l’inconcevable était possible.

Ella Maillart travailla également comme journaliste voyage.
Keystone/Str

Au mois de février 1939, à Genève, Ella Maillart mit ses bagages dans la Ford de son amie Annemarie Schwarzenbach, fille d’un industriel et d’une comtesse, petite-fille d’un général, journaliste, écrivaine, lesbienne, morphinomane, et la seule de la famille Schwarzenbach opposée au nazisme. Elle passèrent près de Zurich, où la Landi venait d’être installée, traversèrent les Balkans en direction d’Istanbul, de Téhéran, et enfin vers Kaboul.

Le voyage fut marqué par des réussites et des échecs. Ella et Annemarie rejoignirent l’Afghanistan, mais l’addiction ne quitta pas cette dernière. Annemarie Schwarzenbach ne put se libérer de sa dépendance et Ella Maillart, déçue et désillusionnée, la quitta à Kaboul en septembre 1939, peu de temps après avoir appris l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Annemarie Schwarzenbach voyagea ensuite aux États-Unis puis rentra en Suisse. En 1942, elle fit une chute à vélo en Engadine. Elle succomba à ses blessures deux mois plus tard. Quant à Ella Maillart, elle passa les années de la guerre auprès de maîtres spirituels, puis mit par écrit ses récits de voyages, fut guide touristique, et devint fervente défenseuse de l’environnement. Plus âgée, elle se retira de plus en plus à Chandolin, où elle mourut en 1997. Peut-être devrait-on raconter ses aventures dans des histoires. Ou peut-être qu’un simple regard dans ses grands yeux bleu clair suffit pour tout apprendre.

Une vie en images: Annemarie Schwarzenbach.
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