Photo datant de l’époque de la création de l’école de sport de Macolin (BE), années 1940
Photo datant de l’époque de la création de l’école de sport de Macolin (BE), années 1940 Musée national suisse

Jeunesse et Sport: transpi­rer pour la patrie?

Politique de santé, éducation, armée... ces groupes d’intérêt ont tous exercé une influence sur le sport depuis le XIXe siècle au moins. C’est ce que montre l’histoire du programme fédéral d’encouragement du sport «Jeunesse et Sport» et des institutions qui l’ont précédé.

Simon Engel

Simon Engel

Simon Engel est historien et responsable des relations publiques de Swiss Sports History.

Dans quel but devrait-on faire du sport? C’est sur cette question somme toute philosophique que se prononça la population (masculine) suisse le 27 septembre 1970. Par 74,6% des suffrages exprimés, elle approuva l’introduction d’un nouvel article dans la Constitution fédérale selon lequel la Confédération doit encourager «le sport, en particulier la formation au sport», sous la désignation Jeunesse et Sport. Un an avant la votation, le Conseil fédéral avait précisé ce que l’on entendait exactement par-là dans son message: «Il faut [...] que l’organisation de la gymnastique et du sport cesse d’être encouragée au seul titre de la préparation en vue du service militaire. [...] C’est un problème qui touche la santé publique et l’éducation.» Dès lors, l’adoption de ce nouvel article constitutionnel en 1970 marqua un tournant au sens d’une démilitarisation de l’encouragement fédéral du sport, puisque celui-ci était jusqu’alors réglé dans le cadre de l’organisation militaire: à partir de 1874, la Confédération avait en effet imposé aux cantons l’éducation physique obligatoire à l’école pour tous les garçons âgés de 10 ans révolus afin de les préparer au mieux au service militaire. À l’issue de la scolarité obligatoire, la préparation sportive de la jeunesse devait par ailleurs être affinée lors de l’école de recrues dans le cadre de l’Instruction militaire préparatoire.
Leçon de gymnastique dans un lycée bâlois, 1897.
Leçon de gymnastique dans un lycée bâlois, 1897. Musée national suisse
Un examen plus approfondi révèle toutefois que si sur le plan purement formel et juridique, l’encouragement du sport parmi la jeunesse suisse devait très certainement servir des objectifs militaires, on avait en réalité essayé dès le départ de concilier des principes pédagogiques et militaires. La raison tenait surtout au fait que les cours d’éducation physique étaient conçus et dispensés par des enseignants civils, et non des instructeurs militaires. Des exercices de marche et d’ordre faisaient certes partie du plan d’études, mais ceux-ci étaient de plus en plus supplantés par des formes d’athlétisme et de jeu, appréciées par la population. La Seconde Guerre mondiale mit brièvement davantage l’accent sur la dimension militaire du sport: le football ou la lutte devaient par exemple servir à développer la résistance et l’endurance. Après-guerre, les projets pédagogiques et de santé publique s’imposèrent définitivement dans la gymnastique scolaire, et «l’éducation à la performance physique et à la résistance» ne figurait plus que dans l’introduction de l’École fédérale de gymnastique de 1960.
Instruction militaire préparatoire à Reiden (LU), 1898.
Instruction militaire préparatoire à Reiden (LU), 1898. Musée national suisse
Quant à l’Instruction militaire préparatoire qui avait été envisagée, elle ne fut jamais mise en œuvre à grande échelle conformément aux souhaits de l’armée. En vertu de l’Organisation militaire de 1874, des exercices de tir et des marches devaient être organisés en plus des 50 heures de gymnastique. Cette disposition se heurta à la résistance des pédagogues comme des employeurs: les premiers s’opposaient à une orientation militaire trop marquée, tandis que les seconds voulaient voir leurs apprentis au travail et non sur le terrain de sport. L’instruction préparatoire ne put jamais être introduite sous cette forme pour des raisons financières (manque de fonds de la Confédération) et structurelles (trop peu de terrains de sport et d’enseignants). Seuls quelques cantons et communes mirent en place une instruction préparatoire volontaire encadrée par des officiers. Les frais de matériel étaient pris en charge par la Confédération.
Le canton de Zurich pratiquait l’Instruction militaire préparatoire. Mention d’excellence de 1899.
Le canton de Zurich pratiquait l’Instruction militaire préparatoire. Mention d’excellence de 1899. Musée national suisse
Ce principe de prise en charge fut étendu à partir de 1909: la Confédération se mit alors à soutenir financièrement les clubs de gymnastique, de sport et de tir qui organisaient l’instruction gymnique ou l’instruction au tir sur une base volontaire et qui assuraient l’éducation physique de la jeunesse masculine. À partir de 1941, les cours de chefs furent centralisés par la Confédération. Hormis quelques révisions mineures, l’ordonnance de 1909 forma le cadre juridique de l’encouragement fédéral du sport. De nos jours encore, elle constitue le principe de base de Jeunesse et Sport: Confédération et cantons encouragent ensemble l’éducation physique de la population sur le plan financier, tandis que les clubs assurent sa mise en œuvre. À l’origine, les clubs ne percevaient de fonds que pour organiser des cours d’instruction préparatoire spécifiques. Comme il était impossible de s’assurer que ces activités ne se mêlent pas aux entraînements habituels des clubs, on finit par autoriser officiellement l’utilisation de fonds publics pour l’entraînement.
L’école de sport de Macolin dans les années 1940.
L’école de sport de Macolin dans les années 1940. e-pics
L’instruction gymnique se composait dans un premier temps de disciplines comme la marche, la course, le saut, le lancer de poids, l’escalade et les jeux. L’année 1941 vit l’introduction d’examens et de cours à option en natation, cyclisme, ski, aviron et gymnastique aux agrès, mais aussi en radiotélégraphie militaire et en pontonnier. Bien que tous les examens et cours étaient consignés dans une sorte de livret de service, les cours de technique militaire furent retirés du programme dès 1947. L’instruction préparatoire au tir (soit l’éducation physique associée à une formation au tir) avait quant à elle déjà été abandonnée en 1934. La démilitarisation définitive de l’encouragement du sport avait donc débuté avant même le lancement de Jeunesse et Sport. Le programme d’instruction préparatoire fut officiellement rebaptisé «Enseignement postscolaire de la gymnastique et des sports» (EPGS) en 1959. Les participants n’avaient pas non plus l’impression de participer à un grand projet politico-militaire. L’historien Jean-François Martin se rappelle ainsi sa participation à un camp de ski dans le cadre de l’enseignement postscolaire: «[...] ça me donnait le droit de participer au camp de ski EPGS dont le prix défiait toute concurrence, pour lequel on nous prêtait des skis. Moi, ma famille ne faisait pas de ski, c’était une aubaine. Le premier jour, on avait un colonel qui venait nous remercier de nous préparer à défendre la patrie. Ensuite, il disparaissait et puis on faisait du ski. Ce dont je me rappelle, c’est que les moniteurs de gym étaient moniteurs EPGS parce que ça leur permettait d’avoir un petit subside. Je n’ai jamais eu l’impression qu’à la gym on me militarisait, même si j’avais un livret de service bien militaire.» L’ambition civile était claire, en dépit d’un cadre militaire.
Publicité pour l’Enseignement postscolaire de la gymnastique et des sports. Affiche de Peter von Arx, 1966.
Publicité pour l’Enseignement postscolaire de la gymnastique et des sports. Affiche de Peter von Arx, 1966. Musée national suisse
Quel a donc été l’effet la démilitarisation définitive de l’encouragement du sport à partir du milieu des années 1960, qui déboucha sur la mise en place de Jeunesse et Sport en 1972? Si les ambitions civiles en matière de sport bénéficiaient d’une situation favorable dans une période de paix relative, c’est précisément parce qu’elles accompagnaient les changements socio-économiques d’après-guerre: offrant davantage d’occasions de faire du sport, la société suisse de l’époque – qui reposait sur l’industrie et les services – était aussi plus sédentaire que la société agraire à laquelle elle avait succédé. Aujourd’hui encore, on mentionne les bienfaits pour la santé comme la principale raison de pratiquer un sport. Les profonds bouleversements de la société à la fin des années 1960 ont également contribué à ce que l’encouragement du sport pour les filles et les femmes soit enfin abordé de manière systématique. Pour finir, l’encouragement des sports populaires constitue toujours le socle des prestigieux sports d’élite qui sont censés représenter le pays sur la scène internationale. La débâcle des Jeux olympiques d’hiver de 1964 à Innsbruck, où la Suisse ne décrocha pas la moindre médaille, donna une forte impulsion en ce sens. Cela dit, une certaine dimension militaire persiste encore dans le sport: les terrains et les salles de compétition sont les théâtres de bien des guerres de substitution.

Swiss Sports History

Ce texte est le fruit d’une collaboration avec Swiss Sports History, le portail consacré à l’histoire du sport suisse. Ce dernier a pour vocation de fournir des services de médiation scolaire ainsi que des informations aux médias, aux chercheurs et au grand public. Pour en savoir plus, rendez-vous sur sportshistory.ch.

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