Mai 1945: la princesse Gina rencontre le capitaine Eichenberger, commandant des gardes-frontière suisses à Schaanwald.
Mai 1945: la princesse Gina rencontre le capitaine Eichenberger, commandant des gardes-frontière suisses à Schaanwald. Liechtensteinisches Landesarchiv, B 413/001/016, photo: Baron Eduard von Falz-Fein, Vaduz

La princesse Gina et la Croix-Rouge

Durant les dernières semaines de la Seconde Guerre mondiale, un nombre toujours plus important de civils se réfugièrent en Suisse et au Liechtenstein, où ils furent pris en charge par des bénévoles. Parmi eux, la princesse Gina. Cette expérience l’incitera à fonder la Croix-Rouge du Liechtenstein.

Günther Meier

Günther Meier

Günther Meier a été rédacteur en chef du Liechtensteiner Volksblatt. Il écrit du Liechtenstein pour le Neue Zürcher Zeitung.

Bien que le Liechtenstein ait été épargné par les combats de la Seconde Guerre mondiale, l’afflux de réfugiés à ses frontières révéla les privations et les craintes des personnes fuyant la guerre. Au cours des derniers jours d’avril 1945, un reporter du Liechstensteiner Volksblatt était présent à la frontière avec l’Autriche: «La misère qui a passé notre frontière est à peine croyable. Qui ne l’a pas vue de ses propres yeux ne peut s’en rendre compte». Ces réfugiés venus d’horizons très différents avaient en commun le souhait de se mettre en sécurité: «Les travailleurs étrangers aux vêtements déchirés et aux uniformes élimés côtoient des femmes jadis issues de milieux aisés, dont le manteau de fourrure est parfois la seule richesse qu’elles ont réussi à sauver. Tous font la queue pour un bol de soupe. La même idée les anime: sortir de cet enfer!» Le gouvernement du Liechtenstein réagit en débloquant une aide d’urgence, avec le soutien de nombreux bénévoles qui s’affairèrent à préparer de la soupe, à réconforter les personnes désemparées ou encore à distribuer de la nourriture pour la suite du périple des réfugiés vers la Suisse.
Le poste-frontière de Schaanwald fut submergé par les réfugiés à partir de fin avril 1945.
Le poste-frontière de Schaanwald fut submergé par les réfugiés à partir de fin avril 1945. Liechtensteinisches Landesarchiv, B 413/003/046, photo: Baron Eduard von Falz-Fein, Vaduz
Parmi la multitude de bénévoles figurait la princesse Gina de Liechtenstein. Celle-ci apporta une aide active aux réfugiés durant cette période qui lui inspirera la création d’une organisation de secours. Le Volksblatt la décrit encourageant les bénévoles et les incitant à continuer à aider les personnes dans le besoin: «Elle intervient en personne, ici en distribuant des dons, là en adressant des paroles réconfortantes. Le pays tout entier est fier de cette grande dame, une âme noble si bienveillante, prête à aider son prochain.» De cette volonté d’aider, il n’y a qu’un pas jusqu’à la création de la Croix-Rouge du Liechtenstein par la princesse consort avec le soutien énergique, mais aussi financier, de son conjoint le prince François-Joseph II.
La princesse Gina à l’œuvre à la frontière du Liechtenstein en mai 1945.
La princesse Gina à l’œuvre à la frontière du Liechtenstein en mai 1945. Liechtensteinisches Landesarchiv, SgAV 01 N 012/068, photo: Baron Eduard von Falz-Fein, Vaduz
Un communiqué dans la presse liechtensteinoise annonça la fondation de la Croix-Rouge du Liechtenstein le 30 avril 1945: «Née du souhait de notre vénéré prince, dirigée par notre chère princesse Georgine, mère de notre nation, et reconnue par le gouvernement princier, une Société nationale liechtensteinoise de la Croix-Rouge s’est formée dans cette situation d’urgence. À l’image de ses sociétés sœurs dans d’autres pays, elle entend, dans l’esprit et sous le signe de la Croix-Rouge, en temps de guerre comme de paix, faire face à la détresse sous toutes ses formes, où qu’elle se présente.» Ce communiqué était accompagné d’un appel à devenir membre de la Croix-Rouge.

Une collabo­ra­tion étroite avec la Suisse

Pour la plupart des réfugiés, la destination n’était pas le Liechtenstein, mais la Suisse. Le 27 avril 1945, les deux pays conclurent un accord selon lequel le Liechtenstein appliquerait les mêmes règles en matière d’admission et de refoulement des réfugiés que la Suisse. Des membres de la police auxiliaire du Liechtenstein furent déployés pour protéger les frontières, mais subordonnés au Corps des gardes-frontière suisse. Le Liechtenstein se déclara prêt à installer des clôtures en fil de fer pour sécuriser les frontières. Les réfugiés qui n’étaient pas refoulés sur-le-champ à l’issue d’un contrôle à la frontière devaient être transférés à l’arrondissement territorial suisse de Buchs (SG).
Les autorités du Liechtenstein collaborèrent étroitement avec leurs homologues suisses au niveau de la frontière de Schaanwald. Parmi ces officiels, la princesse Gina.
Les autorités du Liechtenstein collaborèrent étroitement avec leurs homologues suisses au niveau de la frontière de Schaanwald. Parmi ces officiels, la princesse Gina. Liechtensteinisches Landesarchiv, B 413/001/007, photo: Baron Eduard von Falz-Fein, Vaduz
Un journaliste du Volksblatt décrit le contrôle, l’admission et le refoulement des réfugiés au poste-frontière de Schaanwald: «Depuis Schaanwald, les réfugiés sont transférés au point de rassemblement de Buchs en train ou, si nécessaire, au moyen de camions. Il en résulte une attente toujours plus longue derrière notre frontière pour les réfugiés qui ont passé le contrôle, mais qui doivent encore attendre le train. L’office princier de la construction a donc aménagé une petite aire avec des baraquements et des places assises pour rendre l’attente un peu plus agréable.» Tous les réfugiés ne purent cependant pas bénéficier du transport en train ou en camion. Comme le rapporta le Volksblatt, bon nombre d’entre eux se rendirent à pied au camp de Buchs lors de la première vague de réfugiés, fin avril 1945: «Les réfugiés du Reich se massent désormais aussi au poste-frontière de Schaanwald. Mercredi soir, un groupe de 30 a été conduit à pied à Schaan. Chacun tenait ses effets personnels dans un ballot, dans une boîte ou comme il pouvait. Nous avons vu parmi eux des hommes et des femmes encore vêtus convenablement, tandis que les vêtements des autres laissaient apparaître les difficultés et les épreuves qu’ils avaient traversées. Leurs visages marqués se sont éclairés en traversant notre pays. La liberté leur tendait les bas.» Un autre groupe d’une centaine de personnes aurait parcouru la route menant de Schaan à Buchs en chantant, marchant joyeusement vers la liberté.
Des rescapés du camp de concentration de Dachau passent la frontière à Schaanwald en mai 1945.
Des rescapés du camp de concentration de Dachau passent la frontière à Schaanwald en mai 1945. Liechtensteinisches Landesarchiv, B 413/005/009, Vaduz
Cependant, cette masse humaine n’était pas uniquement composée de femmes et d’hommes fuyant l’avancée des troupes alliées: des prisonniers ayant survécu à l’horreur des camps de concentration se trouvaient également parmi eux. Un article décrit ces rescapés: «Le mardi 1er mai sont apparus pour la première fois des détenus du camp de concentration de Dachau. Physiquement et mentalement dans un état indescriptible... Ils se tenaient serrés les uns contre les autres et étaient à peine conscients de ce qui les entourait. Leurs silhouettes misérables témoignent des souffrances physiques et morales que leur ont fait subir des sous-hommes.» Les reporters furent stupéfaits de découvrir que ces prisonniers des camps étaient parvenus à rejoindre en vie la frontière du Liechtenstein. Abandonnés sur place, les rescapés se seraient simplement satisfaits de l’absence de la Gestapo. Néanmoins, aucune plainte ne se fit entendre de la part de ces êtres réduits à l’état de squelettes: «Le fait de savoir qu’ils avaient échappé à l’enfer des camps de concentration, quelques paroles réconfortantes, un repas servi avec le sourire: tout cela les emplissait d’un profond bonheur.» La Croix-Rouge du Liechtenstein recensa plus de 1100 réfugiés franchissant la frontière lors de la seule journée du 1er mai 1945. Au total, plus de 7000 personnes se réfugièrent au Liechtenstein entre fin avril et début mai. À cette époque, la population de la principauté n’était que de 12 000 personnes.

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