Série: L’enseignement primaire en Suisse (2÷3)
Malgré l’amélioration des structures, le système scolaire rencontra de fortes résistances au XIXe siècle. A l’époque, les enfants étaient encore bien souvent une main-d’œuvre, et on ne voulait pas qu’ils passent leur temps en classe.
A l’époque de la République helvétique, l’école primaire reçut pour mission de préparer chaque enfant, selon ses capacités intellectuelles et physiques, à l’exercice de ses droits et de ses devoirs de citoyen, ce qui faisait de l’instruction populaire la plus noble mission de l’Etat démocratique. Bien que les deux sexes dussent recevoir la même formation, l’instruction des filles subit un revers avec la fermeture de nombreuses écoles de sœurs dont l’enseignement était gratuit. Philipp Albert Stapfer, ministre de l’Instruction publique, essaya, par son Enquête réalisée auprès de tous les instituteurs, de se faire une idée de la situation scolaire dans la République helvétique.
La politique éducative du début du XIXe siècle était marquée par des conflits entre confessions, partis politiques et cantons. Lorsque l’Etat helvétique fut dissous en 1803, les cantons récupérèrent leurs prérogatives en matière de politique scolaire. Mais il fallut attendre le tournant libéral des années 1830 pour voir s’opérer une refonte globale des systèmes éducatifs. Le slogan était désormais, selon les mots d’Heinrich Zschokke: « Instruire le peuple, c’est l’affranchir ». Du moins tous les cantons «régénérés » introduisirent-ils des écoles primaires obligatoires, et la lutte contre le « fléau de l’absentéisme » s’intensifia.
Durant tout le XIXe siècle, nombre de familles et de communes regimbèrent contre l’obligation scolaire imposée, qu’elles percevaient comme une uniformisation problématique du point de vue de l’Etat de droit. Une autre raison était le travail des enfants dans l’agriculture et les usines. C’est ainsi que dans une commune rurale comme Köniz, dans le canton de Berne, l’école d’été comptait près de moitié moins d’élèves que l’école d’hiver. Durant la première moitié du XIXe siècle, la lutte contre la scolarité obligatoire suscita la création dans les entreprises des « écoles de fabrique », où l’on faisait la classe le dimanche aux enfants travaillant durant la semaine. Au début du XIXe siècle, dans les cantons d’Argovie et de Vaud, le maximum d’élèves autorisés par école s’élevait respectivement à 80 et 60.
En raison de la législation sur l’instruction publique de 1832, l’école primaire, nouvellement créée, se subdivisa dans un nombre croissant de cantons en six années d’école quotidienne, suivies de trois années d’école « de répétition » ou « complémentaire ». L’école secondaire, qui permettait de poursuivre la scolarité, avait un contenu pédagogique plus approfondi. Les nouvelles lois sur l’enseignement primaire des années 1830 instituaient une école primaire de neuf à dix ans.
Les inspecteurs de l’école primaire en brossaient parfois un tableau assez sombre – comme à Berne, en 1843: on constatait une pénurie de maîtres, et seuls les cours de lecture et d’histoire biblique répondaient aux attentes. La plupart des bâtiments scolaires étaient délabrés et surpeuplés, bien que la fréquentation fût irrégulière, les instituteurs, à peine formés, touchaient un maigre salaire, l’équipement des écoles était insuffisant et la surveillance largement aléatoire. Dans les cantons qui n’avaient pas connu la Régénération, la situation était encore plus problématique: les réformes scolaires s’y appliquèrent plus tardivement et à Appenzell (Rhodes-Intérieures), par exemple, la scolarité obligatoire ne fut introduite qu’en 1858.
La constitution fédérale mène à un régime d’obligation
D’après la constitution fédérale de 1874, l’enseignement restait sous l’autorité des cantons, la loi fondamentale se contentant de prescrire ce que la plupart d’entre eux avaient déjà traduit dans les faits: un enseignement primaire obligatoire suffisant, sous la direction de l’autorité civile, et dispensé gratuitement dans des écoles publiques respectant la neutralité confessionnelle – ainsi que le droit de sanction de la Confédération contre les cantons qui ne satisferaient pas à ces obligations.
Instrument de la centralisation espérée par beaucoup, l’instauration d’un secrétaire confédéral à l’Instruction (décrié par les opposants au projet comme un « bailli scolaire ») fut rejetée par le peuple en 1882. Les cantons et la Confédération redoublèrent alors leurs efforts de coordination à l’échelon national. La Confédération subventionnait les écoles primaires (« centime de l’école primaire », idée de base: la subsidiarité) et les évaluait (par le biais des « examens pédagogiques de recrues », dans l’ensemble inadéquats), mais elle ne pouvait intervenir directement dans la politique scolaire des cantons.
Au tournant du XXe siècle, l’ensemble de la Suisse connaissait l’école obligatoire, dont les quelque 44 semaines annuelles de cours étaient consacrées à l’enseignement des matières suivantes: langue maternelle, lecture, écriture, calcul (parfois aussi géométrie), histoire, géographie, et parfois sciences naturelles, calligraphie, chant ou dessin et travaux ménagers, mais aussi gymnastique et religion. A cela s’ajoutait fréquemment la comptabilité, l’hygiène, l’arpentage, l’instruction civique, l’arboriculture, l’économie agricole et l’agronomie, le dessin technique et éventuellement une seconde langue. L’objectif de cette école primaire laïque déconfessionnalisée, ce n’était plus le bon chrétien lecteur de la Bible, mais le bon citoyen et l’homme d’affaires avisé. Un conflit naquit en outre de la controverse sur la mixité et la justification des cours de travaux manuels ou d’économie domestique pour les jeunes filles.
Si dans les grandes villes, les deux sexes étaient séparés à l’école, à la campagne, le nombre élevé d’enfants et les moyens financiers limités des communes ne permettaient pas les classes non-mixtes. Dans les écoles primaires, la mixité finit par s’imposer, mais les écoles secondaires (I et II) maintinrent la séparation jusque dans la première moitié du XXe siècle. Les milieux ecclésiastiques prirent la défense des cours de travaux manuels pour les filles, tout en rejetant un enseignement mixte qui leur paraissait mettre en péril les « bonnes mœurs ». En outre, on attribuait aux garçons et aux filles des aptitudes intellectuelles différentes.
Partie 3: La transformation de l’école, qui a cessé de privilégier les garçons pour s’adresser à l’ensemble de la population