Hans Bringolf, deuxième depuis la droite, en uniforme de cavalier.
Hans Bringolf, deuxième depuis la droite, en uniforme de cavalier. Musée national suisse

Docteur en droit, attaché militaire, escroc, héros

Comment Erich Hans Ormund Bringolf (1876–1951) de Schaffhouse a couru après l’argent et le prestige à travers le monde entier - et toujours en fuite devant la justice.

Jean-Jacques Langendorf

Jean-Jacques Langendorf

Directeur d’études à l’Institut de stratégie comparée de Paris.

Son père est un homme en vue, riche entrepreneur et colonel de cavalerie dans l’armée suisse. C’est aussi un cynique, qui méprise le monde. Dans les veines de sa mère, russe d’origine, coule un sang passionné et belliqueux car elle est proche parente de deux généraux. Ses parents se haïssent et vivent dans leur maison de Schaffhouse dans un état de perpétuelle hostilité. «De ma mère rien; de mon père, une amoralité absolue», note Bringolf. Quant à lui-même, il se juge ainsi: «Fantaisie déréglée, naturel de meneur, incapacité d’obéir» avec un «amour immodéré de l’argent pour le dépenser». Son père meurt en 1892, lui laissant sa fortune. Il se lance dans des études de droit à Heidelberg, devient membre d’une société d’étudiants, livre de nombreuses mensurs, boit immodérément et finit par soutenir une minuscule thèse, dont il est loin d’être certain que ce soit lui qui l’a rédigée. Il s’intéresse peu aux femmes. Ce qu’il recherche, c’est la compagnie de la haute aristocratie, qu’il amadoue par sa munificence. Il attache une importance démesurée à la gastronomie, offrant des banquets fastueux à des hôtes innombrables. Un jour, il fait servir à 25 convives un potage dans lequel nagent des paillettes d’or.
«Dr Bringolf comme attaché », illustration tirée de l'autobiographie de 1927.
«Dr Bringolf comme attaché », illustration tirée de l'autobiographie de 1927. Musée national suisse
Photo non datée de Hans Bringolf dans un manteau d'hiver.
Photo non datée de Hans Bringolf dans un manteau d'hiver. Stadtarchiv Schaffhausen
À 19 ans, il fait son service militaire à Zurich dans la cavalerie et est promu lieutenant. Ses camarades le surnomment «feu le lieutenant Bringolf», tant il s’expose et prend des risques dans les manœuvres. Bientôt, il sera nommé attaché militaire de la Confédération à Berlin. Là, avec l’idée de se marier pour se renflouer, il commence à courtiser, mais sans succès. À Vienne où il a été muté, ses avancées matrimoniales sont aussi vouées à l’échec. Et pourtant, désormais, le temps presse. «D’argent, il ne m’en reste plus. Je danse sur des charbons ardents. Je tourne dans un cercle vicieux.»
L'autobiographie de Bringolf avec le titre "Der Lebensroman des Leutnant Bringolf sel.", publiée en 1927.
L'autobiographie de Bringolf avec le titre "Der Lebensroman des Leutnant Bringolf sel.", publiée en 1927. Musée national suisse
Finalement, il rencontre une riche jeune fille et il est agréé par les parents. Le mariage est célébré dans d’énormes festivités. Mais l’immensité de ses dettes est découverte. L’union est rompue; le service diplomatique le congédie, sa société d’étudiants le rejette. La presse s’empare de l’affaire. On découvre qu’il a fait des faux en écriture, l’étau des créanciers se resserre. Il ne lui reste plus que la fuite: l’Espagne puis le Mexique où il traîne une existence misérable. Finalement, il s’engage pour une durée de trois ans dans l’armée des États-Unis. Au contact de la vie militaire, il se ressaisit ; il est nommé sous-officier, s’engage dans la police US des Philippines mais ne tarde pas à quitter son poste car ses méthodes d’instruction ne sont pas appréciées. Et la ronde reprend: avocat à Manille, recherche d’emploi en Chine, au Japon puis en Australie. Depuis la Nouvelle-Zélande, il gagne l’Amérique latine mais doit quitter précipitamment le Paraguay où il a été mêlé à une tentative de putsch. Pour survivre, il se fait plongeur ou cireur de souliers. Grâce à de faux documents, il se fait passer pour un diplomate helvétique. Démasqué, il s’enfuit, se cache dans la jungle amazonienne, y est retrouvé et écope de trois ans de prison à Lima. C’est l’antichambre de l’enfer mais c’est là qu’il se convertit au catholicisme. Libéré, il rejoint l’Allemagne en travaillant comme soutier sur un cargo. À Heidelberg, il reprend ses escroqueries, ce qui lui vaut une nouvelle condamnation à deux ans et demi de prison. Lorsqu’il est libéré, la guerre vient d’éclater. Désormais, la chance va lui sourire. Il s’engage dans la Légion étrangère, se conduit brillamment durant la bataille de la Somme et est nommé officier. Bientôt, il se retrouve sur le front bulgare. Promu capitaine, il est à la tête d’une bande de volontaires bosniaques et serbes. Son courage, ses coups de mains, lui valent le surnom de «Lion de Monastir», des citations à l’ordre de l’armée, de nombreuses décorations et même, en 1923, la Légion d’honneur.
Double page du livre «Un aventurier suisse sous les drapeaux de l’étranger», paru dans la 4e édition en 1950.
Double page du livre «Un aventurier suisse sous les drapeaux de l’étranger», paru dans la 4e édition en 1950. Musée national suisse
La chance lui sourit encore pour un temps. Il dirige un consortium en Sarre puis différentes entreprises commerciales. Mais son passé, en dépit de l’appui d’amis dévoués, finit toujours par le rattraper. En outre, dès qu’il gagne de l’argent son démon le reprend et il le dilapide. Moralement épuisé, il trouve un refuge à l’hospice de Hallau, sa commune d’origine, où il rédige ses Mémoires, témoignage d’une criante vérité, qui seront publiés en français par Blaise Cendrars.
Inhumation de Hans Bringolf en mars 1951 à la Bergkirche Hallau.
Inhumation de Hans Bringolf en mars 1951 à la Bergkirche Hallau. Musée national suisse

Série: 50 person­na­li­tés suisses

L’histoire d’une région ou d’un pays est celle des hommes qui y vivent ou qui y ont vécu. Cette série présente 50 person­na­li­tés ayant marqué le cours de l’histoire de la Suisse. Certaines sont connues, d’autres sont presque tombées dans l’oubli. Les récits sont issus du livre de Frédéric Rossi et Christophe Vuilleu­mier, intitulé «Quel est le salaud qui m’a poussé? Cent figures de l’histoire Suisse», paru en 2016 aux éditions inFolio.

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