Sport et publicité. Un partenariat parfois fructueux, parfois moins, mais toujours empreint d’émotion. Publicité pour le magazine «Sport» dans les années 1980.
Sport et publicité. Un partenariat parfois fructueux, parfois moins, mais toujours empreint d’émotion. Publicité pour le magazine «Sport» dans les années 1980. Musée national suisse

Sport et publicité, une histoire d’amour tourmentée

De nos jours, le sport est avant tout une affaire d’argent. S’il n’en a pas toujours été ainsi, force est de constater que l’argent gouverne le monde, et par extension celui du sport, depuis bien longtemps.

Michael Jucker

Michael Jucker

Michael Jucker est historien du sport, directeur de Swiss Sports History et co-directeur du musée du club de football de Zurich.

Qu’elle fasse la promotion de compagnies aériennes asiatiques, de produits financiers chinois, d’entreprises de vente par correspondance ou de boissons sucrées poisseuses, difficile aujourd’hui de s’imaginer le sport sans publicité. Les clichés sportifs, les enregistrements TV et les vêtements de sport arborent d’innombrables noms et logos de sponsors. Avec l’avènement de plateformes comme Instagram et Tiktok, le déferlement de contenu promotionnel s’est encore exacerbé. La publicité génère des bénéfices colossaux, ce depuis déjà bien des années. Prenons une photographie de sport de haut niveau contemporaine: difficile de ne pas remarquer les imprimés sur les maillots, les panneaux publicitaires, les casques et pantalons ornés de noms de sponsors ou les banderoles d’arrivée. L’œil a fini par s’habituer à ce matraquage visuel permanent. Nous avons appris, dans une certaine mesure et de manière inconsciente, à ne pas faire cas de la publicité qui nous entoure. Nous reconnaissons également très vite les photographies issues du sport amateur ou les clichés anciens, où font non seulement défaut les corps surentraînés, mais aussi les murs de sponsors, les noms et les imprimés sur les maillots. Autre indice: les photographies anciennes renvoient souvent à des marques depuis longtemps disparues.
Match de foot opposant Aarau à Servette, avril 1985.
Match de foot opposant Aarau à Servette, avril 1985. Musée national suisse / ASL
La publicité et le sport entretiennent une relation de longue date. Celle-ci, loin d’être née d’un coup de foudre, a pris la forme d’un rapprochement hésitant et ponctué de nombreuses péripéties. L’origine de ce lien remonte à la fin du XIXe siècle: ainsi, en 1896, l’entreprise américaine Kodak soutenait déjà les premiers Jeux olympiques modernes, organisés à Athènes. Un choix des plus stratégiques, soit dit en passant, la symbiose entre la photographie et le sport étant alors en train de s’amorcer. 1912, on signait déjà des contrats publicitaires de plusieurs millions lors des Jeux de Stockholm. Si la publicité à grande échelle demeura longtemps exclue des compétitions, Kodak posa les premiers jalons de l’étroite relation qui devait unir la promotion commerciale et le monde sportif. D’Ovomaltine comme boisson promettant de meilleures performances aux épreuves de ski ou de cyclisme, aux appareils photo, en passant par les montres et chronographes pour la mesure du temps, les produits présentaient toujours un lien, ne serait-ce qu’indirect, avec le sport pratiqué.
Le coureur cycliste André Brulé ne jure que par l’Ovomaltine. Photo du Tour de Suisse de 1949.
Le coureur cycliste André Brulé ne jure que par l’Ovomaltine. Photo du Tour de Suisse de 1949. Musée national suisse / ASL
Dans les médias imprimés également, notamment dans les nouveaux magazines de sport, figura très tôt de la publicité en lien avec ce domaine, notamment pour des vélos, ballons de football, raquettes de tennis et autres équipements.
Page d’annonce du Schweizer Sportblatt, mars 1898.
Page d’annonce du Schweizer Sportblatt, mars 1898. e-periodica
L’arrivée des retransmissions sportives à l’ère de la télévision, et l’octroi des droits de diffusion à partir de 1960, donnèrent lieu à un véritable boom publicitaire et médiatique: la machine serait désormais inarrêtable. La relation d’abord chaotique entre le sport et la publicité devint par la suite un mariage de convenance symbiotique. Les images animées amenèrent de nouveaux noms d’entreprises et de sponsors dans les foyers, de manière incontrôlée et dans des quantités auparavant inimaginables. Ce flot inédit d’images n’était guère du goût des chaînes publiques: en effet, alors encore majoritairement dépourvue de publicité, la télévision servait ainsi de canal indirect à la promotion de produits. En Suisse, comme dans de nombreux autres États européens, une stricte interdiction publicitaire s’appliquait encore aux retransmissions sportives.
En 1976, le FC Zürich était le premier club de football suisse à faire place à de la publicité sur ses maillots.
En 1976, le FC Zürich était le premier club de football suisse à faire place à de la publicité sur ses maillots. Musée du FC Zürich
L'année 1976 a été le théâtre d'une lutte acharnée pour la publicité dans le football suisse. Agfa, un autre fabricant de pellicules et d’appareils photo (vraisemblablement un hasard), fut le premier sponsor à figurer sur les maillots du FC Zürich. Edi Nägeli, marchand de tabac, homme d’affaires actif et président du club, conclut un premier contrat avec cette entreprise germano-belge, qui s’était dissociée de la société controversée IG-Farben, démantelée après 1945. Le losange bleu, parfois rouge, orné du célèbre lettrage, trônait sur les maillots blancs du club de Zurich. La SSR (Société suisse de radiodiffusion), quant à elle, était hostile à la diffusion de publicité, d’autant plus lorsqu’elle était pratiquée de manière subreptice. Les matches et récapitulatifs du FC Zürich, alors champion de Suisse, cessèrent donc d’être diffusés. Cette décision marqua le début d’un féroce combat. Les perspectives de gain se faisant plus alléchantes, le FCZ ne renonça pas à la publicité, tandis que d’autres clubs comme le FC Bâle, Young Boys et le FC Lausanne-Sport lui emboîtèrent le pas durant la même saison. Dans ces conditions, la télévision suisse ne tarda pas à baisser les bras. Tandis que quasiment tous les clubs de football suisses affublaient leurs maillots de publicité, seul le Grasshopper Club Zurich demeura longtemps inflexible: ce grand club n’en avait tout simplement pas besoin.
Cigare et whiskey: voici à quoi ressemblait la publicité lors de la finale de la Coupe de football suisse de 1973 opposant le FC Zürich au FC Basel.
Cigare et whiskey: voici à quoi ressemblait la publicité lors de la finale de la Coupe de football suisse de 1973 opposant le FC Zürich au FC Basel. Dukas
La publicité sur les maillots, les sponsors et les banderoles publicitaires atteignirent donc leur apogée grâce, ou à cause des rediffusions télévisées. Auparavant, il était encore courant de promouvoir des marques de cigarettes ou d’alcool. Face à la prolifération incontrôlée de cette pratique, et pour des raisons de politique en matière de santé et de protection des jeunes, ce marché fut toutefois toujours plus fermement encadré. La publicité pour de la bière demeure malgré tout omniprésente dans les stades, bien que l’on puisse y lire «sans alcool» dans un coin, en tout petit. La publicité, qu’elle soit destinée à des maillots ou à des banderoles, doit aujourd’hui encore être approuvée par la fédération concernée. À défaut, les conséquences financières peuvent être lourdes, par exemple lorsque l’UEFA estime l’impression publicitaire trop importante lors des compétitions entre les clubs européens. Ou, pire encore, en l’absence pure et simple d’approbation: ainsi, alors que le FCZ menait une campagne de votation pour la construction du stade à venir, et que les joueurs s’élançaient sur le terrain avec leur maillot orné d’un «JA zum Stadion» («OUI au stade»), la commission disciplinaire de la Swiss Football League condamna rétroactivement le FC Zürich à verser une amende de 20 000 francs. Le club avait en effet omis de soumettre pour approbation cette publicité sur les équipements sportifs en temps utile.
La combinaison de ski de l’équipe masculine nationale de 1992 à 1998.
La combinaison de ski de l’équipe masculine nationale de 1992 à 1998. Keystone
La publicité est essentielle pour les clubs de sports, les athlètes, mais de nos jours également pour les fédérations. Les célèbres combinaisons à motif emmental de l’équipe de ski suisse ou les bonnets SKA ne sont pas les seuls exemples de publicité marquante. Les individus se transforment de plus en plus en panneaux d’affichage vivants, en des effigies commercialisables. Le phénomène qui se profilait déjà avec Bernhard Russi, puis avec Cristiano Ronaldo et plus récemment avec Roger Federer à l’ère de la télévision, a été exacerbé par les plateformes de réseaux sociaux. Notons à ce sujet qu’il existe aussi une différence de genre dans le monde de la publicité sportive: lorsque la joueuse de football suisse Alisha Lehmann fait la promotion de produits, ce contenu est porté à l’attention de plus de 13 millions d’abonnés. Davantage qu’en comptent Roger Federer et Xherdan Shaqiri réunis! Pourtant, la Fédération de football rémunère moins bien la footballeuse que ses homologues masculins lorsqu’elle dispute les matches de l’équipe nationale. Ce genre de cas, ainsi que d’autres situations incohérentes et conflits d’intérêts, sont encore peu étudiés d’un point de vue historique.
Les maillots imprimés ainsi que les banderoles publicitaires sont toujours les marqueurs d’une époque, l’emblème de l’association de deux partenaires. Bien souvent, ils constituent malgré eux des outils pour les personnes intéressées par l’histoire du sport et pour la recherche, qui sont ainsi en mesure de dater des pièces de collection ou des photographies et de les replacer dans leur contexte. Qui se souvient de l’époque où le FC St. Gallen faisait la promotion de nourriture canine, ou de la saison où les maillots du FC Luzern arboraient l’injonction «Siehe LNN»?

Swiss Sports History

Ce texte est le fruit d’une collaboration avec Swiss Sports History, le portail consacré à l’histoire du sport suisse. Ce dernier a pour vocation de fournir des services de médiation scolaire ainsi que des informations aux médias, aux chercheurs et au grand public. Pour en savoir plus, rendez-vous sur sportshistory.ch.

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