Des terroristes allemands en terre jurassienne

En décembre 1977, une fusillade entre des douaniers suisses et des membres de la Fraction armée rouge éclate près de la frontière. Le terrorisme est à nos portes.

Hervé de Weck

Hervé de Weck

Hervé de Weck est un historien spécialisé dans les questions militaires et a été rédacteur en chef de la Revue Militaire Suisse de 1991 à 2006.

En septembre 1977 et mars 1978, une série d’événements sanglants et mystérieux se produisent dans la région de Porrentruy. Des rumeurs persistantes prétendent qu’ils sont liés, ce qui aggrave l’inquiétude. L’aspirant officier Rudolph Flükiger disparaît à Bure, on retrouve ses restes un mois plus tard en France; deux terroristes allemands ouvrent le feu sur des gardes-frontières à Fahy; le caporal Rodolphe Heusler de la police cantonale est retrouvé mort près de Porrentruy; Alfred Amez, restaurateur à Grandfontaine, est retrouvé mort près de Lyon.

Au plus fort de ses activités, le groupe terroriste allemand Baader‑Meinhof compte un noyau actif de quelques douzaines de membres. Les femmes sont les plus nombreuses et les plus fanatiques. Grâce à des holdups, le groupe dispose de fonds importants et d’armes performantes. Sa propagande est intense auprès des étudiants; plusieurs intellectuels ouest‑allemands se laissent séduire. Le groupe assassine des personnalités du monde économique et judiciaire de la République fédérale, enlève le patron des patrons, Hans Martin Schleyer

Fusillade à la frontière

Le 2 décembre 1977 au poste de douane de Fahy, deux membres de la Rote Armeefraktion, Gabriele Kröcher-Tiedemann et Christian Möller, tirent huit coups de feu sur deux gardes-frontière, qui veulent les contrôler. Les deux terroristes reprennent leur voiture et roulent jusqu’à l’entrée de Porrentruy; ils se rendent à pied à la gare où ils prennent un taxi. La police parvient à les arrêter à l’entrée de Delémont.

Ils ont des armes, des munitions, des cartes de la région. Dans les bagages de Gabriele Kröcher-Tiedemann, des cartes d'état-major de régions italiennes, des faux papiers, un plan de l'ambassade d'Israël à Bruxelles, des documents chiffrés, un rapport sur l’affaire Schleier, 2 fusils, 1 couteau, 20'000 dollars, partie de la rançon de 2 millions de dollars payés, quelques semaines avant, pour la libération de l'industriel autrichien Walter Michael Palmers. Les deux terroristes semblent avoir séjourné en Ajoie, à Lucerne et à Zurich. Selon Le Démocrate de Delémont, la Rote Armeefraktion aurait eu une base arrière dans le Nord du Jura bernois, où elle compte quelques sympathisants, ce qui lui garantit des fonds, des matériels, des armes, des contacts avec Me Payot, intermédiaire avec le Gouvernement allemand.

Un juge reçoit des lettres de menace

Alors que dans la région, on ne cesse de parler de l’affaire Flükiger, des terroristes allemands, de la mort du caporal Heusler, de celle d’Alfred Amez, des lettres anonymes menacent le juge collaborant à l’instruction, laissant entendre que l’on s’en prendra à ses enfants. De nuit, des gendarmes surveillent son domicile. Parmi eux, celui qui sera jugé pour le meurtre de Rodolphe Heusler! Personne ne les contrôle, certains, oubliant leur mission, partent boire des verres en ville, d’autres font de si sérieuses libations dans leur local de garde que la carrosserie de leur voiture en souffre le matin venu.

Deux journalistes du quotidien La Suisse de Genève, MM. Wisard et Noverraz, bien connus comme journalistes de boulevard, établissent une relation étroite entre la mort de l’aspirant Flükiger, l'enlèvement du patron des patrons allemands et la fusillade de Fahy. Selon eux, un rapport des Renseignements généraux français affirmerait que le patron des patrons a transité par la Suisse.

Même si la plaque tournante Suisse-France-Allemagne permet de profiter des failles de coopération entre services de renseignements et de police des trois pays, Hans-Martin Schleyer a pu être transporté, avec moins de risques, d'Allemagne en France, via la région Sarreguemines – Karlsruhe. La frontière franco-jurassienne, avec ses innombrables passages non contrôlés, pose en effet un problème qui n'a certainement pas échappé aux terroristes: dans une zone rurale, le passage d’un véhicule étranger, à des heures inhabituelles, risque fort d’être remarqué par des autochtones. A l’époque où Schleyer se trouve aux mains de ses ravisseurs, un habitant de Fahy, parti vers 23 heures chercher un objet dans son chalet au lieu-dit La Fiatte, aperçoit pourtant, près d’une grange, une Mercédès avec des plaques allemandes. Il appelle le chef de district de la police à Porrentruy, qui lui conseille d’aller se coucher!

Le 5 septembre 1977, la RAF enlève le président du patronat allemand, Hanns Martin Schleyer. Photo: Keystone/DPA/Db

En 1975, Gabriele Kröcher-Tiedemann (à droite) est libérée suite à l’enlèvement de Peter Lorenz, un dirigeant politique de la CDU. Après une fusillade à la frontière suisse, elle est à nouveau arrêtée et incarcérée à la prison d’Hindelbank (BE), où elle restera quelques années. Photo: Keystone/DPA/Manfred Rehm

Caporal Rodolphe Heusler de la police cantonale bernoise.

20.12.1977

Au poste de douane de Fahy, Gabriele Kröcher-Tiedemann et Christian Möller ouvrent le feu sur deux gardes-frontière

28.12.1977

Opération de police dans les fermes et les granges aux frontières de l’Ajoie

12.-13.01.1978

Une grenade explose dans un bureau de la Cour suprême du Canton de Berne, protestation contre la détention des deux terroristes

02.03.1978

Le caporal Heusler de la police cantonale bernoise est abattu de six balles de pistolet près de Porrentruy, dans une maison délabrée, refuge de toxicomanes. Deux lettres anonymes adressées à la police de Porrentruy réclament la libération de Kröcher-Tiedemann et Möller

04.03.1978

Le juge d’instruction fait l’objet de menaces. Son domicile est surveillé

12.-13.07.1978

Un engin explose à l’Hôtel de ville de Berne

13.10.1978

Attentat à Bâle en relation avec la détention de Kröcher-Tiedemann et Möller

L’histoire du Jura

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