Entrée de Heinrich Wölfli à Jérusalem, 1520-1521.
Entrée de Heinrich Wölfli à Jérusalem, 1520-1521. ETH Zurich

Un noble Lucernois à Jérusalem

Comment Jost von Meggen (1509–1559) a fait un pèlerinage à Jérusalem non seulement à cause de la religion.

Jean-Jacques Langendorf

Jean-Jacques Langendorf

Directeur d’études à l’Institut de stratégie comparée de Paris.

En 1580 paraît à Dillingen sur le Danube (Allemagne), chez Johannes Mayer, un volume en latin de 280 pages portant le titre de Peregrinatio Hierosolymitana (Pèlerinage à Jérusalem). Son auteur, Jodocus a Meggen, c’est-à-dire Jost von Meggen, est un person­nage important qui est, comme on dit, né avec une petite cuillère en argent dans la bouche. Il voit le jour à Baden dont le père, noble lucernois, est le gouverneur. Il va recevoir une éducation très soignée, militaire et huma­niste, entre autres à Bâle auprès de Henricus Glareanus et à Orléans. Il acquiert de vastes connaissances littéraires et maîtrise neuf lan­gues, dont le grec, le latin et un peu d’hébreu. De retour à Lucerne, il épouse Appolonia von Ballmoos, qui ne lui donnera pas d’enfants. Il est d’abord nommé gouverneur des termes de Baden, puis occupe de hautes fonctions poli­tiques à Lucerne. En 1548, il est désigné par le pape Paul III comme capitaine de la garde suisse pontificale. Il occupera cette fonction jusqu’à sa mort.
Jérusalem au 16ème siècle, Sebastian Münster: Cosmographiae universalis Lib.VI., 1552.
Jérusalem au 16ème siècle, Sebastian Münster: Cosmographiae universalis Lib.VI., 1552. ETH Zurich
En mai 1542 Jost se met en route pour son pèlerinage à Jérusalem. Il n’y est pas poussé, comme tant d’autres, uniquement par des motifs religieux, bien que sa foi soit solidement enracinée et sa culture biblique très vaste. C’est un homme curieux et cultivé, qui entend aussi s’informer sur les régions qu’il va traverser. Il s’intéresse à la fortification, à l’administration, à la fiscalité mais aussi aux vestiges antiques, aux sites religieux, aux paysages, à la végétation. Et, bien sûr, au mode de vie des habitants, aux lan­gues et dialectes qu’ils parlent, en tête les Grecs mais aussi les Arabes ou les Turcs qui dominent la Palestine. Avant tout von Meggen veut faire profiter les futurs voyageurs de ses expériences. Grâce à Dieu, il dispose d’une bourse bien garnie car il s’agit d’un périple coûteux. Il y a les frais du transport en bateau, élevés, d’hé­bergement, de péage, la location des chevaux, des ânes, des mules, des chameaux, l’entrée dans les sites divers, les guides, les drogmans, sans parler d’innombrables bakchichs.
Page de titre de l’édition originale en latin du Pèlerinage à Jérusalem de Jost von Meggen, Dillingen, 1580.
Page de titre de l’édition originale en latin du Pèlerinage à Jérusalem de Jost von Meggen, Dillingen, 1580. archive.org
Après avoir visité la côte adriatique, Meggen gagne Venise et, depuis là, la Crète puis Chypre. De Limassol, il s’embarque pour Jaffa, où il arrive le 24 août. Le 27, il est à Jérusalem. Dans l’église du Saint-Sépulcre, il est fait chevalier de l’Ordre du Saint-Sépulcre et nous donne une description détaillée du rituel. Avec ses autres compagnons, car il ne voyage jamais seul, il visite les alentours de la ville sainte, dont Bethléem, et pousse jusqu’au Jourdain. Fin septembre, depuis Jaffa, il regagne Chypre puis, de là, s’embarque pour la Crète puis pour Alexandrie, visitant ensuite Le Caire, Suez, le mont Sinaï. Il revient en Italie via la Crète, Malte et Naples. En avril 1543, il est à Rome et en mai de nouveau à Lucerne, après un voyage d’une année. Grâce à ses moyens financiers, von Meggen a pu choisir un itinéraire compliqué, avec des zigzags et des retours en arrière. Le pèlerin pauvre, lui, optait pour la voie la plus directe : Venise-Chypre-Jaffa-Jérusalem et retour. Mais au vu des informations recueillies par notre noble lucernois, nous ne nous en plaindrons pas…

Série: 50 person­na­li­tés suisses

L’histoire d’une région ou d’un pays est celle des hommes qui y vivent ou qui y ont vécu. Cette série présente 50 person­na­li­tés ayant marqué le cours de l’histoire de la Suisse. Certaines sont connues, d’autres sont presque tombées dans l’oubli. Les récits sont issus du livre de Frédéric Rossi et Christophe Vuilleu­mier, intitulé «Quel est le salaud qui m’a poussé? Cent figures de l’histoire Suisse», paru en 2016 aux éditions inFolio.

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