
Et si un canton de Bienne avait été créé en 1815!
Dialogue virtuel à propos du diplomate, préfet, député, militaire, archéologue, artiste-peintre et bienfaiteur de sa ville Georges Frédéric Heilmann (1785-1862).
Difficile de faire plus bref pour le plus illustre Biennois du siècle…
– Qui était ce Heilmann qui vient de mourir? Jamais entendu parler!
– Vois-tu, c’était un très grand Biennois! Je l’ai bien connu, je peux même dire que nous avons été amis toute notre vie. Lorsque nous étions enfants, il habitait la maison voisine de la nôtre. Il était encore jeune quand il s’est fait connaître. C’était à l’époque de Napoléon, quand Bienne n’était pas encore bernoise, mais française. Il était revenu d’Allemagne, où il avait étudié le caméralisme et le droit. À Bienne, il avait pris le commandement de l’ancienne Garde nationale, dont il avait fait une compagnie de volontaires antinapoléoniens, lui l’ancien admirateur de l’Aigle! On était au début des années 1810, il avait à peine 25 ans.
D’abord, il a été envoyé en France, pour obtenir du général Schwarzenberg, commandant en chef des armées alliées, la reconnaissance que Bienne appartenait à la Suisse et n’avait pas à être traitée en ennemie par les armées antifrançaises. Il fut ensuite envoyé à Bâle pour rencontrer l’empereur d’Autriche qui lui confirma la promesse de Schwarzenberg. Puis, au printemps 1814, il représenta la ville de Bienne à la Diète fédérale à Zurich, toujours avec la mission de faire admettre sa ville au sein de la Confédération. En été 1814, il rédigea un projet de constitution pour un nouveau canton suisse réunissant autour de Bienne toute la partie sud – et protestante – de l’ancien évêché de Bâle.

– Non, ce n’était pas un diplomate. Par exemple, tu as entendu parler du projet de grands travaux pour empêcher les inondations dans le Grand Marais?
– Oui, bien sûr. On en a parlé à l’école. Il y a eu la visite d’un ingénieur avec un drôle d’accent, il venait des Grisons, paraît-il, un Monsieur Nicca, je crois. Il nous a expliqué qu’il a un projet pour détourner l’Aar à Aarberg et la faire aller directement dans le lac de Bienne.
– Donc, finalement c’était lui aussi un ingénieur, comme ce Monsieur Nicca?
– Non, il était militaire, comme moi. C’est difficile à expliquer. Après son retour de Vienne, il a été d’abord député au Grand Conseil bernois. Puis il a été nommé président du tribunal et pré-3 fet du district de Bienne, avant même que ce district soit créé, ce pourquoi on l’appelait lieutenant de préfet. Et c’est dans cette fonction qu’il a fait son fameux rapport sur les inondations.
Mais le goût du commandement militaire qu’il avait acquis avec sa petite troupe de volontaires le fit bientôt nommer major et, après quelques années, colonel commandant de bataillon et commandant de l’arrondissement militaire de Thoune.
Et malgré cela, il s’intéressait à tout et prenait beaucoup d’initiatives. Dans sa vie privée, il s’intéressait à la peinture, à la littérature et à la musique. Il continuait de cultiver le goût des collections que lui avait légué son père. Mais il était très engagé dans la vie publique de sa ville. Ainsi, c’est lui qui fonda, en 1820,la Caisse d’Épargne de Bienne.
Il n’y avait pas une manifestation, pas une fête qui ne le voyait pas à sa présidence. Certains se souviennent encore de sa participation à la tête des tireurs biennois à la Fête fédérale de tir à Bâle. En 1826, il organisa une collecte de maison en maison pour soutenir les Grecs dans leur lutte de libération contre les Turcs. En tant que membre de la commission cantonale des travaux publics, il soutint les projets de construction de routes de Bienne à Soleure et de Boujean vers le Jura.
Pourtant, était-ce que l’horizon étroit de sa petite ville – Bienne comptait à peine 3000 habitants dans les années 1820 – ou bien les aristocrates d’Ancien Régime qui gouvernaient encore le canton de Berne qui l’empêchaient de respirer librement? Ou bien est-ce que ses missions passées ou ses voyages à l’étranger lui avaient donné le goût de l’aventure ou d’horizons plus étendus? Toujours est-il qu’il s’enrôla à 44 ans comme officier dans un régiment bernois à Naples, auprès du nouveau roi des Deux-Siciles qu’il avait connu dans sa jeunesse. Il y restera un peu plus de quinze ans, éloigné de sa famille – il avait quatre enfants qui étaient encore jeunes – et de sa ville.
Et c’est sans doute cette absence prolongée qui le fit un peu oublier dans sa ville d’origine. Lorsqu’il rentra, en 1845, il était déjà un vieux monsieur de soixante ans et c’est normal que les jeunes de ton âge n’aient plus tellement entendu parler de lui. Pourtant il est resté actif, il s’est fait réélire au Grand Conseil et tu l’as nécessairement vu plus d’une fois en ville. Tu sais que c’est lui qui a fait construire ce qu’on appelle le «pavillon Felseck», un peu au-dessus du lac? Lui qui a poussé les autorités à aménager l’Allée du Pasquart qui mène au bord du lac et aussi à creuser le canal de la Suze qui traverse la ville?
– Exactement. Mais il y a encore deux qualités dont on ne parle jamais à propos de Georges Frédéric Heilmann. Lorsqu’il était officier à Naples, et qu’en fait il n’y avait aucune activité militaire, il s’est lancé dans des recherches archéologiques. Il a même pris la direction d’un musée archéologique à Nola, près de Naples, et a fait envoyer à la collection des arts de Berne toute une série d’objets antiques. Donc, toi qui veux absolument savoir ce qu’il était, tu pourrais dire que c’était un archéologue. Cela, c’est ce que les gens n’ont pas retenu de lui, mais c’est peut-être une des choses qui l’ont le plus passionné, avec le dessin et la peinture.
Et peut-être qu’un jour tu t’intéresseras aux livres de beaux-arts, et tu découvriras la reproduction d’un grand tableau de la baie Naples signé G.F. Heilmann de Rondchâtel. C’était lui.

Série: 50 personnalités suisses
L’histoire d’une région ou d’un pays est celle des hommes qui y vivent ou qui y ont vécu. Cette série présente 50 personnalités ayant marqué le cours de l’histoire de la Suisse. Certaines sont connues, d’autres sont presque tombées dans l’oubli. Les récits sont issus du livre de Frédéric Rossi et Christophe Vuilleumier, intitulé «Quel est le salaud qui m’a poussé? Cent figures de l’histoire Suisse», paru en 2016 aux éditions inFolio.


