La bataille de Schwaderloh le 11 avril 1499 (extrait).
La bataille de Schwaderloh le 11 avril 1499 (extrait). Chronique illustrée du lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schilling), S 23 fol. p. 369.

L’épreuve de force contre les Habsbourg

En 1499, la guerre de Souabe opposa les Confédérés à la maison de Habsbourg-Autriche et à la Ligue de Souabe. La Confédération remporta la victoire au prix de pertes nombreuses et cruelles, renforçant son autonomie par rapport au Saint Empire romain germanique.

James Blake Wiener

James Blake Wiener

James Blake Wiener est auteur, spécialiste en relations publiques dans le domaine du patrimoine culturel et co-fondateur de World History Encyclopedia.

Courte mais violente, la guerre de Souabe fut déclenchée en 1499 lorsque l’Ancienne Confédération refusa d’intégrer la Ligue de Souabe en 1488 et d’appliquer les réformes votées par la Diète de Worms en 1495. Après sept mois d’affrontements sanglants, Confédérés et Autrichiens conclurent la même année à Bâle un traité de paix dégageant les Suisses de l’influence du tribunal d’Empire et les exemptant de l’impôt impérial. Ce faisant, les Autrichiens reconnaissaient de facto l’Ancienne Confédération comme une instance politique autonome. Malgré cela, l’inimitié entre les Confédérés et les Souabes perdura encore jusqu’au XVIe siècle et même au-delà.
Territoire et sites historiques de la guerre de Souabe.
Territoire et sites historiques de la guerre de Souabe. Wikimedia / Marco Zanoli

Prémisses, provoca­tion et tensions internationales

Après la victoire de la Confédération sur le duché de Bourgogne lors des guerres du même nom (1474-1477), la Suisse s’est imposée comme une figure dominante au cœur de l’Europe occidentale. Beaucoup s’étonnent que l’Ancienne Confédération n’ait pas gagné sa place parmi les puissances européennes montantes. De fait, sa gestion des affaires étrangères manquait encore de clarté et de cohérence, le seul trait clair étant qu’elle se sentait menacée de l’extérieur. Les patriciens confédérés optèrent donc pour une politique préventive de réserve armée en attendant une occasion favorable. Après la défaite du duché de Bourgogne, les relations franco-autrichiennes des années 1480-1490 étaient émaillées de tensions au sujet des derniers territoires bourguignons et de certaines régions italiennes. La maison de Valois, du royaume de France, faisait valoir ses prétentions dynastiques sur Milan et gardait la mainmise sur les terres bourguignonnes. Les Habsbourg, de leur côté, considéraient le Milanais comme leur fief et cherchaient à intégrer au Saint Empire romain germanique les territoires de Bourgogne récemment conquis. Grâce à de judicieux mariages dynastiques, d’abord avec Marie de Bourgogne (1457-1482), héritière du vaincu, Charles le Téméraire (duc de Bourgogne de 1467 à 1477), puis avec Blanche-Marie Sforza (1472-1510), fille de Galéas Marie Sforza (duc de Milan de 1466 à 1476), Maximilien Ier (roi des Romains de 1493 à 1519) parvint à se positionner comme principal rival de la France dans la lutte pour le pouvoir sur l’Europe continentale. D’abord allié aux Confédérés pour combattre le duché de Bourgogne, Maximilien Ier perçut par la suite l’Ancienne Confédération comme un obstacle aux ambitions autrichiennes.
L’empereur Maximilien Ier, peint par Albrecht Dürer, 1519. À droite, un gros plan de ses armoiries.
L’empereur Maximilien Ier, peint par Albrecht Dürer, 1519. À droite, un gros plan de ses armoiries. Kunsthistorisches Museum de Vienne, Gemäldegalerie
En 1488, la haute noblesse souabe fonda la Ligue de Souabe, sous l’égide de Frédéric III d’Autriche, empereur du Saint Empire romain germanique de 1452 à 1493. En Bavière, la maison Wittelsbach, de plus en plus puissante, causait une inquiétude croissante aux Habsbourg, qui craignaient de la voir s’allier à la France ou à l’Ancienne Confédération. L’Autriche tenta quelques approches diplomatiques dans l’espoir de rallier cette dernière à la Ligue de Souabe. Mais les Suisses étaient convaincus que l’organisation était dirigée contre eux. En 1488, ils refusèrent catégoriquement de la rejoindre; quelques années après, ils rejetaient les réformes impériales voulues par Maximilien Ier adoptées en 1495 par la Diète de Worms et obligeant les Suisses à se soumettre à l’autorité juridique et économique de l’Empire. Lorsque la Suisse renouvela son alliance militaire avec Charles VIII, roi de France de 1483 à 1498, et reçut pour cela du royaume de France de généreux subsides sous forme de pension, l’agitation à Vienne se fit plus forte. En 1497, l’Ancienne Confédération conclut avec les Ligues rhétiques une alliance d’aide et d’assistance mutuelles. La situation, déjà tendue, devint explosive.
Des nobles souabes se rendent à la déclaration de fondation de la ligue. Les queues de renard sur leurs lances sont un symbole de malhonnêteté et d’hypocrisie. Représentation propagandiste suisse, dans la chronique du lucernois Diebold Schilling (1513).
Des nobles souabes se rendent à la déclaration de fondation de la ligue. Les queues de renard sur leurs lances sont un symbole de malhonnêteté et d’hypocrisie. Représentation propagandiste suisse, dans la chronique du lucernois Diebold Schilling (1513). Chronique illustrée du lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schilling), S 23 fol., p. 325.
La déloyauté et l’arrogance des Confédérés irritaient tout autant l’Autriche que ses alliés souabes. Ils n’attendaient que le moment idéal pour attaquer la Confédération et ses soutiens. Les soldats souabes, mercenaires tristement célèbres, se montraient particulièrement impatients de pourfendre leurs voisins suisses. Eux et les soldats suisses se disputaient les places au service des maisons royales européennes, les uns comme les autres maniant la lance et la hallebarde avec habileté.

Avant de partir à la guerre, ils jurèrent que tout homme qui abandon­ne­rait ses camarades ou ferait preuve de lâcheté serait massacré sur le champ, car ils croyaient que les soldats manifes­te­raient plus de courage et de pugnacité si, par peur de mourir, ils n’avaient pas peur de la mort…

Balcus, humaniste milanais évoquant les soldats suisses dans sa Descriptio Helvetiae (vers 1500)

Une guerre courte et des succès confédérés

Désireux de préserver les intérêts autrichiens au Tyrol et à Milan, Maximilien Ier chercha à étendre la domination impériale jusqu’aux cols des Alpes et sur les rives du lac de Constance. Cette démonstration de force inquiéta fortement les habitants de Suisse orientale, ce qui eut pour effet de renforcer l’alliance entre les Ligues rhétiques et les cantons de l’Est. Début 1499, les troupes tyroliennes envahirent le val Müstair, un axe de circulation stratégique entre l’Autriche et Milan. Dans les Grisons, l’avancée autrichienne fut rapidement freinée, mais les soudards avaient eu le temps de piller Müstair et d’endommager considérablement le monastère de Saint-Jean. Il s’ensuivit une guerre ouverte, touchant les territoires d’ouest en est, de l’Alsace au Sud-Tyrol. Si Maximilien Ier avait enjoint les régions allemandes du Saint Empire romain germanique à le soutenir dans la lutte contre les Confédérés, ses garnisons comptaient essentiellement des Tyroliens et des Souabes. Lever des troupes et les financer constituait un défi pour le souverain. Mener contre l’Ancienne Confédération une guerre unifiée se révélait une entreprise ardue et coûteuse. Les pillages suisses, jusqu’au cœur des territoires impériaux et souabes, assuraient un butin et un capital à même de satisfaire les soldats suisses. Berne, au départ hésitante, rechignait à participer à la guerre. Mais les dix cantons finirent par envoyer des soldats combattre aux côtés des Ligues rhétiques. Voulant à tout prix éviter une unité allemande au sein du Saint Empire romain germanique, Louis XII, nouveau roi de France (qui régna de 1498 à 1515), fournit aux Confédérés d’importants moyens financiers.
À Bruderholz, près de Bâle, Lucernois, Bernois et Soleurois déciment une troupe autrichienne.
À Bruderholz, près de Bâle, Lucernois, Bernois et Soleurois déciment une troupe autrichienne. Chronique illustrée du lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schilling), S 23 fol., p. 362.
De nombreuses localités furent détruites durant la guerre, comme ici Maienfeld.
De nombreuses localités furent détruites durant la guerre, comme ici Maienfeld. Chronique illustrée du lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schilling), S 23 fol., p. 357.
En quelques mois, la Confédération remporta six grandes victoires: Hard en février 1499, Bruderholz un mois plus tard, Schwaderloh et Frastanz en avril, Calven en mai et Dornach en juillet. La guerre de Souabe ne se déroula pas comme celle de Bourgogne, marquée par de grandes batailles. Le conflit se jouait dans de petits pillages aux frontières et des escarmouches dans les montagnes, dépouillant au passage villages, hameaux et églises de tout objet précieux. Les Suisses massacraient les troupes itinérantes qui croisaient leur chemin, à de très rares exceptions près. Les Confédérés étaient convaincus qu’ils pouvaient gagner la guerre s’ils parvenaient à protéger le Plateau suisse des attaques. Ils maintinrent des voies de communication stratégiques avec leurs éclaireurs envoyés dans le Jura et le long du Rhin, qui les informaient des mouvements des Souabes et des Autrichiens. La force et l’ingéniosité des Suisses suscitaient l’admiration en maints endroits, y compris chez leurs ennemis. Dans les deux camps, toutefois, la cruauté de la guerre entraîna de très nombreuses pertes humaines. Selon une estimation, rien qu’entre janvier et juillet 1499, 200 villages auraient été réduits en cendres et 20 000 personnes tuées de part et d’autre du Rhin. Des dizaines de milliers de civils périrent, de faim pour beaucoup d’entre eux. La Suisse, la Souabe et le Tyrol furent littéralement submergés de réfugiés. Dans les régions les plus durement touchées par la guerre, la peste se déclara bientôt, réclamant son tribut de vies humaines. On rapportait aussi de plus en plus de cas de personnes attaquées par des bêtes sauvages ayant pris goût à la chair humaine à force de manger les cadavres privés de sépulture.

… les Turcs et les Hussites eux-mêmes montraient davantage d’humanité avec leurs prisonniers.

Jakob Wimpfeling (1450–1528), philosophe allemand, à propos de la cruauté des Suisses envers les Souabes
Les Confédérés menèrent une guerre sanguinaire. Les troupes devaient jurer de ne faire aucun prisonnier. Après la bataille de Schwaderloh, les femmes et les ecclésiastiques rassemblent les corps des ressortissants locaux sur le champ de bataille.
Les Confédérés menèrent une guerre sanguinaire. Les troupes devaient jurer de ne faire aucun prisonnier. Après la bataille de Schwaderloh, les femmes et les ecclésiastiques rassemblent les corps des ressortissants locaux sur le champ de bataille. Chronique illustrée du lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schilling), S 23 fol., p. 371.

La paix de Bâle et son héritage

Après la bataille de Dornach, Maximilien Ier avait bien compris que ses chances de soumettre la Confédération étaient minces. Sept mois de guerre intensive aux frontières avaient laissé l’Autriche et la Souabe exsangues et démantelé leur équipement. La résistance suisse avait gagné, mais les Confédérés eux-mêmes souhaitaient un accord de paix. Celui-ci fut signé à Bâle le 22 septembre 1499. Il dégageait la Confédération de l’influence du tribunal de l’Empire et l’exemptait de l’impôt impérial. La guerre de Souabe de 1499 fut le dernier grand conflit armé qui opposa la Suisse à l’Autriche. Elle aboutit au rétablissement du statu quo ante entre ces deux entités et à la reconnaissance autrichienne de l’intégrité territoriale des Ligues rhétiques. Maximilien Ier ne fit plus valoir aucune prétention habsbourgeoise en Suisse, soulignant par là même l’autonomie de la Suisse par rapport aux autres territoires allemands du Saint Empire romain germanique. Officiellement, la Confédération faisait toujours partie de l’Empire, mais elle n’était plus soumise aux décisions impériales – un compromis acceptable pour les deux partis. De leur côté, les puissances européennes reconnurent la souveraineté de la Suisse lors de la paix de Westphalie, signée en 1648. Conséquence des succès remportés lors de la guerre de Souabe, Schaffhouse et Bâle rejoignirent l’Ancienne Confédération en 1501. Bâle, ville ouverte sur le monde avec son université réputée, ses corporations prospères et sa lucrative activité d’imprimerie, apporta à l’Ancienne Confédération des richesses non négligeables, une considération internationale et un surcroît de sécurité sur la rive du Rhin. Les Suisses remportèrent également le droit d’exercer leur juridiction en Thurgovie, et le canton d’Appenzell entama des négociations pour devenir membre de plein droit de la Confédération, ce qui fut fait en 1513. Les Confédérés pouvaient maintenant porter leur attention vers le Sud, en direction de l’Italie.
Les négociations de la paix de Bâle, 1499.
Les négociations de la paix de Bâle, 1499. Chronique illustrée du lucernois Diebold Schilling (Luzerner Schilling), S 23 fol., p. 408
Par ailleurs, la guerre de Souabe fut le tout premier conflit à voir s’affronter deux armées pourvues de formations de piquiers. Le résultat fut un massacre, précurseur des tristes conséquences des guerres d’Italie (1494-1559). On appréhende quelque peu la brutale démesurée de la guerre de Souabe lorsqu’on sait qu’en Allemagne, on parle de la «guerre de Suisse» et en Autriche, de la «guerre d’Engadine». La Ligue de Souabe continua son activité politique jusqu’en 1534, jusqu’à ce que la Réforme protestante divise les esprits. Une forte rivalité perdura entre les Souabes et les Suisses jusqu’à une époque avancée du XVIe siècle, et même au-delà. Les pertes essuyées par les Souabes avaient forgé une nouvelle génération de soldats qui rêvait de faire mordre la poussière aux Confédérés. Leurs prières furent entendues puisque les troupes souabes vainquirent les Suisses à Marignan (1515), à la bataille de la Bicoque (1521) et à celle de Pavie (1525). Fait peu connu: la guerre de Souabe constitue un tournant dans l’histoire de l’artillerie. Sous le commandement de Maximilien Ier, l’Autriche fit pendant ce conflit de grandes avancées en matière d’uniformisation des calibres et des longueurs de canon. Il en résultat une précision accrue et une plus grande portée – une configuration dangereuse pour les soldats suisses qui combattaient sur les champs de bataille européens armés de piques et de hallebardes. Ces progrès technologiques marquèrent le début de la fin des piquiers suisses.
Étendard du comte de Sonnenberg, pris lors de la guerre de Souabe.
Bouclier pour les combats à l’épée, faisant vraisemblablement partie du butin ramené de la guerre de Souabe.
Des éléments du butin rapporté de la guerre de Souabe se trouvent aujourd’hui dans les collections du Musée national suisse, comme l’étendard du comte de Sonneberg ou un bouclier pour combats à l’épée. Musée national suisse

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