Extrait de la bande annonce du film "Hurricane", inspiré de la légendaire 303e escadrille de la R. A. F. YouTube

L’as des as

Comment Jan Zumbach (1915-1986) a combattu les nazis en tant que pilote de chasse dans la légendaire 303e escadrille de la Royal Air Force et a vécu sa soif d'aventure en tant que mercenaire après la guerre mondiale.

Claude Bonard

Claude Bonard

Ancien officier spécialiste au sein du Service historique de l'armée suisse. Ancien Secrétaire général de la Chancellerie d'État de Genève.

Alors que de nombreux Polonais se sont établis en Suisse, notamment depuis le XVIIIe siècle, des Suisses se sont expatriés en Pologne, souvent poussés par des raisons économiques. Les grands-parents de Jean Zumbach avaient fait le choix de quitter la Suisse et Jean naît le 14 avril 1915 à Ursynow, quartier situé aujourd’hui au sein de l’agglomération de Varsovie. Le garçon, portant les prénoms polonais de Jan Eugeniusz Ludwig, est pourtant détenteur d’un passeport suisse. Après des études sans histoires, en 1936, Jan souhaite devenir pilote; il camoufle sa nationalité suisse et arrive à s’engager dans les forces armées polonaises dans l’infanterie tout d’abord, puis assez rapidement dans l’aviation. Il passe son brevet de pilote, suit l’École des cadets officiers d’aviation avant d’être promu officier en 1938.
Jan Zumbach (troisième à gauche) avec d'autres pilotes de la 303e escadrille.
Jan Zumbach (troisième à gauche) avec d'autres pilotes de la 303e escadrille. Imperial War Museum
Il ne participe pas à la campagne de 1939 en raison d’un accident aux commandes de son appareil. Désireux de poursuivre la lutte et après un périple rocambolesque via la Roumanie et Beyrouth, il arrive à embarquer pour la France où il retrouve ses camarades polonais qui ont pu passer en France. En effet, après la défaite polonaise face à l’agression conjointe des armées d’Hitler et de Staline, plusieurs unités de l’armée polonaise réussiront à gagner la Roumanie avant d’être rapatriées en France. Jan Zumbach poursuit le combat jusqu’en juin 1940. Après la défaite de la France, environ 30 000 soldats polonais réussissent à gagner l’Angleterre. Ils poursuivent la lutte sous les ordres du Gouvernement polonais en exil du général Sikorski. Les pilotes polonais sont regroupés au sein de plusieurs escadrilles (squadrons). Jan Zumbach va s’illustrer à de nombreuses reprises au sein de l’escadrille de chasse No 303. Sa bravoure deviendra vite légendaire, à tel point qu’il devient le 17 mai 1942 commandant de l’escadrille, devenue mythique au sein de la Royal Air Force (R.A.F.). Il remportera avec la 303 au total 12 victoires homologuées, 2 en collaboration, 5 probables et comptabilisera aussi 1 appareil ennemi endommagé. D’autres sources mentionnent même 17 victoires. À l’issue de son temps de commandant d’escadrille, Jan Zumbach occupe plusieurs fonctions à responsabilité au sein de la R.A.F., au sein de laquelle il est devenu un personnage de légende adulé tant par les Polonais que par les Anglais.
Un Spitfire restauré sur un vol commémoratif. L'avion porte les marques de Jan Zumbach.
Un Spitfire restauré sur un vol commémoratif. L'avion porte les marques de Jan Zumbach. Wikimedia
Pilotes du 303e escadrille de la Royal Air Force. Jan Zumbach se tient à l'arrière-plan et porte des lunettes d'aviateur sur la tête. Photo couleur, vers 1940.
Pilotes du 303e escadrille de la Royal Air Force. Jan Zumbach se tient à l'arrière-plan et porte des lunettes d'aviateur sur la tête. Photo couleur, vers 1940. Wikimedia
Jan Zumbach est honoré pour avoir abattu son onzième avion ennemi.
Jan Zumbach est honoré pour avoir abattu son onzième avion ennemi. Imperial War Museum
Jan "Donald Duck" Zumbach dans son Supermarine Spitfire, sur lequel est indiqué le nombre d'avions ennemis abattus.
Jan «Donald Duck» Zumbach dans son Supermarine Spitfire, sur lequel est indiqué le nombre d'avions ennemis abattus. Wikimedia
Une fois la guerre terminée, il quitte le service actif en 1946 et s’installe en Suisse pour un temps, avant de s’établir en France où il fonde une famille et ouvre une boîte de nuit à Paris. En effet, comme pour beaucoup d’anciens «as» de l’aviation militaire, sa reconversion civile après tant d’années de guerre est difficile. Avec quelques anciens pilotes de chasse démobilisés, il crée aussi la société d’avions-taxis «Flyaway Ltd» et se livre à divers trafics avant de devenir, comme beaucoup d’autres à cette époque, «mercenaire». Une vie aventureuse qui convient bien à sa personnalité. Les troubles liés à la décolonisation en Afrique constituent un «âge d’or» pour les mercenaires. Au Congo, le dirigeant Moïse Tschombé fait sécession le 11 juillet 1960, proclame l’indépendance de la province du Katanga et lève une armée. Il recrute en partie ses cadres au sein de réseaux de mercenaires. Sous le pseudonyme de «Mister Brown», Jan Zumbach sera du nombre et met sur pied l’armée de l’air du Katanga.
Le président provincial Moïse Tschombé (à gauche, en lisant) et un officier d'état-major rendent visite à Jan Zumbach (au centre) et son «escadron» à Kalwezi (Congo).
Le président provincial Moïse Tschombé (à gauche, en lisant) et un officier d'état-major rendent visite à Jan Zumbach (au centre) et son «escadron» à Kalwezi (Congo). Photographie du livre «Mister Brown. Mein Leben als Flieger, Schmuggler und Abenteurer»
Quelques années plus tard, on retrouve «Mister Brown» au Nigéria en proie à la guerre causée par la sécession de la riche région du Biafra qui se constitue en république. On lui propose de devenir le commandant en chef de l’aviation du Biafra. Surnommé «Kamikaze Brown», Jan Zumbach accomplit plusieurs missions de combat comme pilote de B-26. Une fois le conflit terminé, il revient en France, sans toutefois mettre un terme à ses activités aventureuses. Il rédige aussi des souvenirs publiés sous le titre de «Mister Brown. Aventures dans le ciel». Il meurt à Paris, le 3 janvier 1986, dans des circonstances inexpliquées. En Pologne et en Grande-Bretagne, Jan Zumbach fait figure aujourd’hui encore de héros national, d’«as des as» au passé glorieux de chevalier du ciel alors qu’en Suisse, il est presque oublié.
Couverture du livre des mémoires de Jan Zumbach, 1973.
Couverture du livre des mémoires de Jan Zumbach, 1973. La photo de couverture montre Jan Zumbach avec Moïse Tschombé. Amazon

Série: 50 person­na­li­tés suisses

L’histoire d’une région ou d’un pays est celle des hommes qui y vivent ou qui y ont vécu. Cette série présente 50 person­na­li­tés ayant marqué le cours de l’histoire de la Suisse. Certaines sont connues, d’autres sont presque tombées dans l’oubli. Les récits sont issus du livre de Frédéric Rossi et Christophe Vuilleu­mier, intitulé «Quel est le salaud qui m’a poussé? Cent figures de l’histoire Suisse», paru en 2016 aux éditions inFolio.

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