
Poules en plastique et cercueil de Blanche-Neige
Plus de trente ans après la chute du mur, le musée Vitra Design propose une rétrospective du design allemand de 1949 à 1989. Avec le recul, les différences comme les points communs sont particulièrement visibles.
Le bâtiment de Frank Gehry sert actuellement de toile de fond à un objet design un peu moins prestigieux, mais tout aussi iconique à sa manière. Il s’agit de la Trabant bleu ciel. Contrairement à l’architecture de Frank Gehry, ce véhicule dont les formes nous semblent aujourd’hui des plus rudimentaires a vu sa production stoppée en 1989. La chute du mur et l’effondrement de la RDA ont en effet signifié l’arrêt de mort de cette petite voiture populaire. La «trabi», comme on l’appelait affectueusement, fit pourtant pendant des années l’objet de toutes les convoitises des citoyens de la RDA. Elle symbolisait une forme de liberté dans un État où les citoyens se trouvaient sous haute surveillance.

De la «Formgestaltung» au «design»
Ici et là, les commissaires de l’exposition jouent avec des effets de «(n)ostalgie», mettant en avant les coquetiers colorés en forme de poule en plastique d’Allemagne de l’Est ou encore les Birkenstock, ces sandales écolos des années 1970. Là encore, deux objets cultes.
Des univers de consommation parallèles
Le recul fait donc apparaître ces deux univers créatifs comme des déclinaisons différentes d’un même style influencé par le modernisme. Vu par la génération «smartphone», le cercueil de Blanche-Neige d’Allemagne de l’Ouest fait tout autant office de relique que la Trabant d’Allemagne de l’Est. Ces deux objets appartiennent à une époque révolue où l’utilité était impérative et le design au service des exigences nationales, pour ne pas dire nationalistes. Aujourd’hui en revanche, les secteurs de l’électronique, du sport et du luxe imposent des tendances mondiales en un rien de temps à grand renfort de stratégies marketing.
Excès et pénurie
Dans la zone d’occupation soviétique en revanche, qui donna naissance à la République démocratique allemande, la situation fut plus dure, car l’Union soviétique exigea des réparations en dédommagement des pertes subies pendant la guerre. Les structures industrielles, les usines et les installations ayant survécu au conflit furent démantelées et transportées à l’Est. Reconstruction d’un côté, démantèlement de l’autre: cette asymétrie s’amplifia encore par la suite. Les matières premières furent le seul point favorable à la RDA. Approvisionnée en pétrole par l’URSS, elle put donner un nouvel essor à son secteur pétrochimique, et plus particulièrement à sa production plastique. Ironie de l’histoire: dans l’industrie de la RDA, qui ne connaissait par ailleurs que les pénuries et la répression idéologique, le design était à la hauteur de son époque, mais inaccessible aux citoyens du pays. Le fauteuil de jardin pliant «Garden Egg» en plastique chic et à l’esthétique pop en est la parfaite illustration. Il fut créé pour être exporté à l’Ouest et obtenir les devises dont la RDA manquait cruellement.
Objets emblématiques de l’identité nationale
La République fédérale ayant choisi l’aigle prussien pour sa carte d’identité, la RDA dut trouver autre chose. Elle opta pour la couronne d’épis, le marteau et le compas (ce dernier symbolisant les intellectuels). Ses armoiries et ses pièces de monnaie portaient ainsi les symboles des classes sociales qui soutenaient la doctrine socialiste du régime. Et si le deutsche mark était fabriqué dans un alliage de cuivre et de nickel relativement lourd, le mark est-allemand était lui en aluminium, beaucoup plus léger. Il faisait donc plus bas de gamme et semblait moins digne de confiance. En fait, la RDA avait une utilisation très économe des matières premières et des matériaux de substitution, une attitude qui marqua de son empreinte l’activité de création du pays, bien que la nécessité fut souvent mère de l’invention.


