Des skieurs profitent de la poudreuse. Photographie de Jacques Naegeli (1885–1971), Gstaad.
Des skieurs profitent de la poudreuse. Photographie de Jacques Naegeli (1885–1971), Gstaad. © Archives Jacques Naegeli, Cabinet des estampes, BN

À la recherche de la neige

La Suisse et la neige entretiennent une histoire particulière, qui va du ski à la recherche sur les avalanches. Avec le réchauffement climatique, la neige fond et la Suisse n’échappe pas à ce phénomène. Que s’est-il donc passé? Comment la neige tombera-t-elle à l’avenir? Enquête sur la piste de l’or blanc.

Hannes Mangold

Hannes Mangold

Hannes Mangold est commissaire d’exposition et responsable de la médiation culturelle à la Bibliothèque nationale suisse.

Les premières neiges sont tombées sur Terre il y a près de 2,4 milliards d’années. Dans la région de la Suisse actuelle, un homo sapiens a probablement senti des flocons sur sa peau pour la première fois il y a plus de 46 000 ans. Ce n’est que depuis deux siècles que l’espèce humaine est devenue un facteur déterminant dans l’histoire de la neige. Le moteur à combustion provoque le réchauffement du climat, la neige fond, et la Suisse n’est pas épargnée. Alors que la neige naturelle devient aujourd’hui une denrée rare, les régions montagneuses souffraient encore récemment d’un excès de neige. Jusqu’au XIXe siècle, la neige était annonciatrice d’une période de stérilité et de privation. On parlait d’«enfer blanc» en raison du danger mortel qu’elle représentait. Les sentiments romantiques suscités aujourd’hui par la joyeuse danse des flocons et les sommets enneigés sont étroitement liés au succès du tourisme hivernal. À l’aube du XXe siècle, une élite anglaise a apporté avec les sports d’hiver une nouvelle source de revenus particulièrement bienvenue dans les montagnes. Cette pratique a été encouragée et, avant la Seconde Guerre mondiale, les Alpes suisses s’étaient déjà imposées au plan national et international comme la destination touristique hivernale par excellence. Promesse d’amusement, la neige en abondance est également l’or blanc des montagnes.
1951: avalanche meurtrière à Airolo. Photo tirée d’un album privé de l’écrivaine et psychologue italo-suisse Edvige Livello.
1951: avalanche meurtrière à Airolo. Photo tirée d’un album privé de l’écrivaine et psychologue italo-suisse Edvige Livello. © Fonds Edvige Livello, archives littéraires suisses, BN

Avalanches

Ces neiges d’antan étaient un véritable trésor mais restaient sources de danger. Comment profiter des avantages de la neige tout en évitant les événements tragiques qu’elle pouvait provoquer? Au fil des siècles, la population montagnarde avait acquis de vastes connaissances sur les avalanches. Vers 1900, les instances officielles suisses commencèrent elles aussi à investir dans la recherche sur la neige. Ce nouveau poste de dépenses trouva une légitimation politique grâce notamment aux travaux d’éminents précurseurs comme Louis Agassiz ou Alfred de Quervain. Ces efforts culminèrent en 1943 avec l’ouverture de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches à Davos. La Suisse joua alors un rôle de premier plan dans l’étude des profils de neige, des risques de glissement de terrain et des structures cristallines. Durant l’hiver 1950-1951, d’énormes masses de neige tombent du ciel, entraînant des avalanches en série. La «mort blanche» fait plus de 250 victimes dans l’arc alpin. Cette catastrophe est l’occasion de relancer les investissements dans la recherche sur la neige. Les efforts se concentrent sur la prévention, mais aussi sur le sauvetage. Si au XIXe siècle, les personnes ensevelies étaient recherchées par des chiens, on mise désormais sur la technologie. L’armée, notamment, fait des expériences à l’aide d’aimants et d’ondes radio. Dans les années 1960, elle teste les premiers détecteurs de victimes d’avalanches en conditions réelles. Un fabricant privé les commercialise avec succès à partir de 1975 sous le nom de «Barryvox». Le légendaire saint-bernard Barry est définitivement relégué au musée.
Sauvetage de victimes d’avalanches au Saint-Gothard avec l’aide d’un chien, vers 1839.
Sauvetage de victimes d’avalanches au Saint-Gothard avec l’aide d’un chien, vers 1839. Musée national suisse

Carottes de forage

Pendant le boom économique de l’après-guerre, le ski se hisse au rang de sport national et le secours en avalanche s’appuie sur de nouveaux travaux scientifiques. En parallèle, la recherche sur la neige et la glace emprunte de nouvelles voies. Les innovations en physique nucléaire permettent de dater avec une relative précision les plus petits échantillons de matériaux. Le physicien bernois Hans Oeschger joue un rôle déterminant dans l’application de ce travail aux carottes de glace. Les glaciers – comme le comprennent les climatologues – sont constitués d’une multitude de couches microscopiques, composées de neige tombée au cours des millénaires précédents et gelées. Les carottes de glace permettent d’accéder à ces couches. Elles fournissent des informations sur l’histoire du climat qui remontent bien plus loin que n’importe quel enregistrement humain. La Suisse a largement participé à cette démonstration: le climat a subi des changements beaucoup plus rapides que ce que l’on pensait jusqu’à présent. Depuis que l’humanité brûle des énergies fossiles à grande échelle, la température connaît une hausse sans précédent. La connaissance de la neige, de la glace et des glaciers a contribué à prouver scientifiquement que le réchauffement climatique est bien provoqué par l’homme.
Carotte de forage de l’Oeschger Centre for Climate Change Research (OCCR), 2006.
Carotte de forage de l’Oeschger Centre for Climate Change Research (OCCR), 2006. Wikimedia / Laurent Augustin

Prévisions

Grâce à l’étude de la longue histoire de la neige, la climatologie peut aujourd’hui prévoir l’évolution du climat. Quelle sera la température en Suisse au cours des prochaines décennies? Quelles seront les conséquences pour la neige dans les Alpes? À l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches, le climatologue Christoph Marty a étudié ces questions. Il est parvenu à la conclusion qu’il neigera toujours en Suisse dans cinquante ans. Cependant, les chutes de neige vont se raréfier. De plus, la couverture neigeuse restera moins longtemps et se retirera vers les sommets. La fonte des glaciers s’accélère également.
L'institut pour l'étude de la neige et des avalanches, Ciné-Journal suisse, 7.5.1943 YouTube/Bibliothèque nationale suisse
Cette disparition partielle de la neige et de la glace aura de graves conséquences sur les régions de montagne et affectera massivement les sports d’hiver. À des altitudes inférieures à 2500 mètres, il fera bientôt trop chaud même pour la neige artificielle. Il est bien possible que dans deux générations, on ne puisse plus pratiquer le ski en Suisse qu’en intérieur et dans quelques rares stations luxueuses de haute altitude. Pour stopper cette fonte massive, la seule solution est de réduire drastiquement les émissions nocives pour le climat. En avons-nous la volonté sociale et individuelle? C’est aujourd’hui que tout se décide.
Piste de neige artificielle à Savognin le 15 décembre 2016.
Piste de neige artificielle à Savognin le 15 décembre 2016. © Christof Sonderegger/Prisma

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