La fin d’une époque: l’annuaire téléphonique imprimé a fait son temps...
La fin d’une époque: l’annuaire téléphonique imprimé a fait son temps... Archives des PTT

Le dernier annuaire téléphonique

Les derniers annuaires téléphoniques imprimés de Suisse ont été publiés en 2022. Créés en 1880 à Zurich, ils prennent désormais définitivement leur retraite. Petit retour en arrière.

Heike Bazak

Heike Bazak

Heike Bazak est historienne et responsable des Archives des PTT.

Les personnes qui ne sont pas nées avec le numérique se souviennent encore des lourds annuaires téléphoniques aux pages ultrafines et à l’écriture serrée. Jusque dans les années 1990, on les prenait régulièrement en main, que ce soit pour chercher un numéro de téléphone oublié, pour demander fébrilement un rendez-vous galant ou juste pour faire un canular enfantin. Ils se font désormais rares. L’histoire des annuaires téléphoniques est étroitement liée à l’évolution technique de la téléphonie. Les premiers essais avec le nouveau média de l’époque, le téléphone, eurent lieu en Suisse dès 1877 entre Berne et Thoune via une ligne télégraphique. Un adjoint consigna les résultats en ces termes: «D’après les essais que j’ai réalisés jusqu’à présent, j’ai l’impression que le téléphone est une merveille qui en est seulement à ses balbutiements et qui nécessite diverses diverses améliorations.» Les acteurs économiques étaient, quant à eux, enthousiasmés par ce nouveau moyen de communication. Wilhelm Ehrenberg, entrepreneur zurichois, déposa en 1880 une demande de concession auprès du Département fédéral des postes et des chemins de fer pour construire un réseau téléphonique à Zurich. Le Conseil fédéral décide d’octroyer la concession. C’est ainsi que le premier annuaire téléphonique de Suisse, intitulé Liste der Sprech-Stationen der Zürcher Telephon-Gesellschaft (liste des stations téléphoniques de la Société des téléphones de Zurich), parut à Zurich en 1880. Ce premier annuaire téléphonique de Suisse, qui se présentait sous la forme d’une fine brochure, comportait 99 entrées.
Annuaire téléphonique de la Société des téléphones de Zurich de 1880.
Annuaire téléphonique de la Société des téléphones de Zurich de 1880. Archives des PTT
Annuaire téléphonique bernois de 1881.
Annuaire téléphonique bernois de 1881. Archives des PTT
Peu après, la Confédération regretta sans doute cette décision, car dès l’année suivante, s’appuyant sur l’Ordonnance sur [l’]établissement de stations téléphoniques publiques de 1880, elle intervint activement dans la construction et l’exploitation de stations et de réseaux téléphoniques publics. Après le rachat du réseau zurichois, la Confédération prit finalement le contrôle de tous les réseaux publics dès 1886. Des lignes téléphoniques sont installées dans toute la Suisse, tout d’abord dans les centres économiques, puis entre les villes de ces derniers. Il est ainsi possible de passer des appels téléphoniques entre des villes et non plus seulement dans un réseau urbain. La première ligne téléphonique interurbaine de ce type vit le jour entre Zurich et Winterthour et fut mise en service en 1883. C’était un projet ambitieux pour la Confédération, car les coûts de construction du réseau téléphonique étaient très élevés. La Direction des télégraphes facturait environ 400 francs par kilomètre, ce qui équivaut actuellement à environ 128 000 francs par kilomètre. Néanmoins, la Confédération essaya de limiter le montant des taxes pour la téléphonie, afin de permettre au plus grand nombre de s’offrir un téléphone.
Installation d’un poteau téléphonique à Genève, vers 1900.
Installation d’un poteau téléphonique à Genève, vers 1900. Musée national suisse
Néanmoins, les coûts d’acquisition et les taxes de communication pour un téléphone privé étaient élevés dans les premières années de la téléphonie et – comme à chaque avancée en matière de télécommunication – un grand scepticisme régnait dans une large partie de la population. Ainsi, en 1881, seules quelques centaines de foyers disposaient d’une ligne téléphonique. Finalement, le scepticisme s’estompa face à l’utilité du téléphone. En 1882, on comptait déjà 1000 raccordements. En 1895, il y en avait 21 000, puis 50 000 en 1905 et environ 80 000 en 1915 dans toute la Suisse. Cependant, en raison du coût élevé d’un raccordement et des frais de communication, seuls les particuliers aisés possédaient généralement un téléphone. En revanche, on trouvait beaucoup de commerçants dans l’annuaire téléphonique, car un téléphone était un moyen de communication rapide et présentait à ce titre des avantages professionnels. Il en fut ainsi jusque dans les années 1920. Le fossé entre la ville et la campagne était clairement visible dans les entrées des annuaires téléphoniques, avec l’arrivée plus progressive des lignes téléphoniques dans les zones rurales. Il n’est donc pas étonnant que le téléphone se soit imposé plus tôt dans les centres urbains que dans les zones rurales.
L’hôtel et centre de cure Hochwacht Pfannenstiel faisait également sa publicité en 1923 avec son propre téléphone.
L’hôtel et centre de cure Hochwacht Pfannenstiel faisait également sa publicité en 1923 avec son propre téléphone. Musée national suisse
Dès 1925, 154 000 personnes disposaient d’un raccordement téléphonique en Suisse, pour une population d’environ 3,8 millions d’habitants. Après la Seconde Guerre mondiale, le nombre de raccordements continua d’augmenter. Ainsi, le rapport de gestion des PTT de 1945 fait état d’environ 415 000 raccordements. Avoir sa propre ligne téléphonique devint peu à peu la norme. Pour que les enfants apprennent le plus tôt possible à se servir d’un téléphone et d’un annuaire, on leur apprenait à l’école à manier les pavés et à y trouver le numéro de téléphone du boulanger ou de leur tante. Chaque nouveau raccordement entraînait une baisse des coûts. La croissance économique des années d’après-guerre contribua à leur augmentation fulgurante. En 1965, on recensait 1 466 000 raccordements, puis 3 277 000 en 1985, avant d’atteindre un pic de 4 318 000 en 1995. En vertu d’une directive des PTT de 1992, valable jusqu’à la libéralisation de 1997, une inscription dans l’annuaire téléphonique était obligatoire pour toutes les lignes fixes. Entre 1980 et 1997, pratiquement chaque ménage en Suisse possédait une ligne téléphonique Chacun d’entre eux, par conséquent, était recensé dans l’annuaire téléphonique. Pour les communes qui ne disposaient pas de répertoires d’adresses, les annuaires téléphoniques constituent des registres publics des habitants pour ces années. Cette production de masse d’annuaires téléphoniques représentait un véritable défi en matière de fabrication et une montagne de papier. Richard Erismann, ancien CEO de Swisscom Directories SA, se souvient d’une estimation selon laquelle on aurait pu remplir un wagon de Berne à Zurich avec le papier de tous les annuaires téléphoniques d’une année.
Collection d’annuaires téléphoniques obsolètes, 1966 (en allemand). SRF
Jusqu’en 2022, de nouveaux annuaires téléphoniques analogiques ont été publiés chaque année pour chaque commune de Suisse, mais le nombre de tirages et d’entrées ne cesse de diminuer. Fin 2022, l’ère des annuaires téléphoniques prendra fin et ceux-ci deviendront alors les vestiges d’un monde analogique.
Ce blog post a été publié à l'origine sur le blog du Musée de la communication.

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