Le mesmérisme, représenté dans une gravure du XVIIIe siècle.
Le mesmérisme, représenté dans une gravure du XVIIIe siècle. Wikimedia

Charles Dickens, un talent caché pour l’hypnose

L’auteur du conte «Christmas Carol» et du roman «Olivier Twist» était aussi un fervent adepte du magnétisme animal, ou mesmérisme. Il administra notamment ses «soins» à la femme d’un banquier suisse.

Katrin Brunner

Katrin Brunner

Katrin Brunner est une journaliste indépendante, spécialisée dans l'histoire et chroniqueuse de Niederweningen.

Émile de la Rüe, né à Genève en 1802, était l’un des citoyens les plus renommés de Gênes. Il y dirigeait aux côtés de son beau-frère William Granet la plus vieille banque suisse de la ville, la «Banque De la Rüe Frères», fondée en 1758. Entretenant des rapports étroits avec les milieux bancaires et politiques, l’illustre famille de la Rüe façonnait la vie sociale de la cité ligurienne. En octobre 1830, Émile épousa Augusta Granet, fille d’un banquier anglais également venu à Gênes pour y faire des affaires. Déjà bien connus, les bals dansants des de la Rüe prirent dès lors un nouvel essor, la femme d’Émile se révélant une hôtesse d’exception.
Le Palazzo Brignole Sale, où la famille de la Rüe organisait des nuits de bal endiablées.
Le Palazzo Brignole Sale, où la famille de la Rüe organisait des nuits de bal endiablées. Wikimedia
C’est probablement lors de l’un des bals donnés au Palazzo Brignole Rosso que la famille rencontra l’écrivain anglais Charles Dickens en 1844. Ce dernier, parti pour un voyage familial de plusieurs mois à travers l’Italie, faisait alors étape à Gênes. Si Augusta de la Rüe était vue comme l’épouse parfaite du riche banquier, elle souffrait en réalité d’insomnies, de maux de tête et de spasmes étranges. À cela s’ajoutait sa crainte d’un être surnaturel, qu’elle nommait «Le Fantôme» et qui, selon ses dires, lui apparaissait régulièrement. À cette époque, Charles Dickens, en plus d’être un écrivain notoire, s’adonnait à cœur joie au mesmérisme. Convaincu que les techniques qu’il pratiquait pouvaient aider Augusta, il lui proposa ses services. L’écrivain s’intéressait alors depuis plusieurs années à cette variante particulièrement controversée de l’une des premières formes d’hypnose. Il était l’élève enthousiaste du professeur de médecine John Elliotson, qui défendait envers et contre tous le mesmérisme, auquel il attribuait une grande efficacité.
Charles Dickens, écrivain et adepte du mesmérisme, sur une photographie de 1858.
Charles Dickens, écrivain et adepte du mesmérisme, sur une photographie de 1858. Wikimedia
Charles Dickens était si épris de cette méthode qu’il se mit à «mesmériser» sa famille et ses amis. Lorsqu’il fit la connaissance d’Augusta de la Rüe à Gênes en 1844, ce passe-temps ludique prit néanmoins un caractère plus sérieux. En prodiguant ses «soins» à la femme du banquier, l’écrivain constata que l’intéressée était hautement réceptive à l’hypnose. Le mesmérisme semblait réellement l’aider: elle disait avoir retrouvé le sommeil et affirmait se sentir plus détendue. Le traitement s’apparentait de plus en plus à des séances entre un thérapeute et une patiente. Il est difficile, du haut de notre XXIe siècle, de déterminer dans quelle mesure le mesmérisme pratiqué sur Augusta de la Rüe améliorait réellement son bien-être. Peut-être que les entretiens suffisaient à eux seuls à rétablir quelque peu son équilibre mental. Dans une lettre adressée à Émile de la Rüe, Charles Dickens se montre impressionné par l’affection que l’époux porte à sa femme: «... jamais je n’ai eu le moindre doute quant à la réelle profondeur, à l’intensité et au sérieux de votre dévouement à Madame de la Rüe, ou à la veillée affectueuse et assidue que vous avez assurée auprès d’elle dans toutes ses souffrances. Croyez-moi, j’admire et ressens votre ténacité face à une telle épreuve...»

Mesmérisme

Franz Anton Mesmer (1734-1815) développa le «magnétisme animal» durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il avança la théorie qu’une influence extérieure agissait sur les fluides corporels du sujet, influence qu’il exerçait lui-même par la suggestion et la transmission de son énergie corporelle. Ses méthodes thérapeutiques faisaient, et font encore, l’objet de nombreuses controverses au sein de la communauté scientifique.
Une séance de mesmérisme, immortalisée sous la forme d’une gravure en 1794.
Une séance de mesmérisme, immortalisée sous la forme d’une gravure en 1794. Wikimedia
Portrait de Friedrich Anton Mesmer.
Portrait de Friedrich Anton Mesmer. Wikimedia
Charles Dickens et sa famille retournèrent en Angleterre en 1845. L’épouse de l’écrivain, qui n’avait jamais été particulièrement enchantée de voir son mari passer autant de temps avec une autre femme, n’était certainement pas fâchée de rentrer. La trêve qui s’ensuivit pour la famille de la Rüe fut de bien courte durée. En avril 1849, la ville fut secouée par un soulèvement de plusieurs jours: les citoyens de Gênes se révoltèrent contre le royaume de Sardaigne. La ville fut bombardée sans interruption durant de longues heures. Tandis que la plupart des étrangers quittèrent la cité par la mer, les de la Rüe se réfugièrent à Sampierdarena, un quartier génois qui constituait alors une commune autonome. Émile de la Rüe succomba à la variole en 1870 alors qu’il revenait d’un voyage à Venise. Charles Dickens décéda la même année des suites d’une attaque. Quant à Augusta, elle leur survécut 17 ans.

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