Des partisans de la Divisione Piave dans la vallée de Cannobina en octobre 1944.
Des partisans de la Divisione Piave dans la vallée de Cannobina en octobre 1944. Casa della Resistenza Fondotoce Archive

Des Tessinois aux côtés des partisans italiens

Durant les deux dernières années de la Seconde Guerre mondiale, des partisans combattirent la Wehrmacht et ses alliés dans la région de Domodossola, en Italie. Des Suisses se joignirent à cette lutte en apportant leur aide, mais aussi en prenant les armes.

Raphael Rues

Raphael Rues

Historien, Raphael Rues est un spécialiste du Tessin et de la présence germanofasciste dans le Nord de l’Italie.

Après la signature de l’armistice italien de septembre 1943, l’Allemagne resserra son emprise sur le pays. La résistance au fascisme s’intensifia, et de petits groupes de partisans ne tardèrent pas à se former, y compris dans les environs de Domodossola, non loin de la frontière suisse. Dirigés par d’anciens soldats possédant une expérience militaire, ces groupes comprenaient aussi des civils, et même quelques Suisses! Plusieurs hommes, principalement originaires du Locarnais, soutinrent activement les partisans des vallées de l’Ossola, voire combattirent dans leurs rangs contre les Allemands et les fascistes italiens. Ce fut le cas de Silvio Baccalà de Brissago qui, la journée, exerçait le métier de jardinier au Gewerkschaftshotel Brenscino et, la nuit, accompagnait les partisans sur les sentiers du Gridone en direction de la vallée de Cannobina. Ou encore de Vincenzo Martinetti, le père de la chanteuse à succès tessinoise Nella Martinetti. Il combattit dans les rangs du groupe de partisans Divisione Piave, devenant rapidement l’un de ses membres les plus importants. Vincenzo Martinetti organisa le transport de matériel, d’armes ainsi que d’hommes et de femmes à travers la frontière. La résistance au fascisme dans les vallées de l’Ossola comportait de nombreuses facettes. Un examen plus approfondi s’impose afin de mieux la comprendre.
Carte de partisan de Vincenzo Martinetti, confirmant son appartenance à la Divisione Piave.
Carte de partisan de Vincenzo Martinetti, confirmant son appartenance à la Divisione Piave. Photo: RDB

Une multitude de petits groupes

Les groupes qui composaient la résistance locale étaient généralement décentralisés et peu structurés. Ils s’adaptaient sans cesse aux différentes situations et à la rudesse du terrain, seul moyen pour eux de relever des défis en perpétuelle et rapide évolution. En revanche, cela rendait impossible toute action coordonnée et étudiée d’un point de vue stratégique contre l’occupant. Du temps de la Seconde Guerre mondiale, quelque 80'000 personnes vivaient à Domodossola et dans ses environs. L’effondrement de la République d’Ossola en octobre 1944 entraîna la fuite de dizaines de milliers de personnes en Suisse, dont de nombreux résistants. Il est difficile de déterminer le nombre réel de partisans dans les vallées de l’Ossola. Une pratique courante parmi les groupes de résistants consistait à employer des désignations suggérant des effectifs largement supérieurs à la réalité (Bande, Brigate, Divisioni). Quelques dizaines de partisans pouvaient ainsi déjà former une brigade, tandis que quelques centaines de combattants constituaient une division. De telles exagérations visaient à perturber et à intimider l’adversaire. Les partisans espéraient en outre obtenir un ravitaillement plus important de la part des Alliés, une aide dont ils avaient urgemment besoin compte tenu de la faiblesse de leur équipement.
Des partisans de la Brigade Cesare Battistini à Verbania, avril 1945.
Des partisans de la Brigade Cesare Battistini à Verbania, avril 1945. Archivio Casa della Resistenza Verbania

Un équipe­ment lacunaire

Certains partisans combattaient avec des couteaux, voire à mains nues. Seul un tiers d’entre eux disposait d’armes à feu, et celles-ci étaient souvent inutilisables, faute de munitions. Cette situation ne changea pas réellement au cours des 20 mois que durèrent les opérations de combat entre 1943 et 1945, formant un contraste flagrant avec le niveau d’équipement des troupes allemandes et fascistes. Ce déficit ne put être que partiellement comblé par des livraisons d’armes en provenance de la Suisse voisine. Ces armes passaient la frontière par les chemins de contrebandiers sur lesquels étaient jadis acheminés des denrées alimentaires et du tabac. Elles étaient fournies par les Alliés, mais provenaient parfois aussi de sources douteuses. Leur transport était généralement assuré par des Suisses, bien qu’il arrivait également que les partisans passent la frontière pour aller les récupérer. La frontière suisse était en particulier très perméable pour la Divisione Piave, dont Vincenzo Martinetti assurait la logistique.
Cette photo, prise en octobre 1944 dans la vallée de Cannobina, montre le piètre équipement des partisans des vallées de l’Ossola.
Cette photo, prise en octobre 1944 dans la vallée de Cannobina, montre le piètre équipement des partisans des vallées de l’Ossola. Archivio Casa della Resistenza Fondotoce
Tout comme celle de l’armement, la situation vestimentaire des partisans était marquée par une pénurie constante. Ils ne disposaient d’aucun uniforme; seule la couleur du foulard qu’ils portaient indiquait leur appartenance à une unité. Le reste de leur tenue était improvisé selon les possibilités (limitées) de chaque combattant. Certains restaient entièrement en civil, tandis que d’autres mêlaient des parties d’uniformes allemands et fascistes à des vêtements de tous les jours. Dès lors, les bandes de partisans ressemblaient parfois davantage à des carnavaliers qu’à des résistants.

Communisme contre anticommunisme

Les foulards des résistants avaient toutefois une autre fonction: ils indiquaient clairement à quel groupe politique leurs porteurs appartenaient. Ce choix n’était pas sans conséquence, puisque certains groupes étaient en opposition totale, au point de ne pas se prêter assistance mutuelle en cas de danger. Cinq groupes de partisans étaient actifs dans les vallées de l’Ossola entre 1943 et 1945, allant des fidèles de la monarchie aux combattants communistes. En simplifiant à l’extrême, on peut diviser les résistants en deux grands camps politiques: les unités Garibaldi, communistes, et les autres formations de partisans, plus ou moins anticommunistes.
Commandant des partisans communistes dans les vallées de l’Ossola, Eraldo «Ciro» Gastone entra régulièrement en conflit avec les autres groupes de résistants.
Commandant des partisans communistes dans les vallées de l’Ossola, Eraldo «Ciro» Gastone entra régulièrement en conflit avec les autres groupes de résistants. Wikimedia
Ces deux camps ne trouvèrent pratiquement jamais de terrain d’entente et n’eurent de cesse de se mettre des bâtons dans les roues. D’un côté comme de l’autre, il n’y eut aucune volonté de coopération dans le but d’élaborer une stratégie globale contre les occupants allemands et fascistes. Quand bien même un compromis aurait été trouvé, les moyens techniques auraient fait défaut pour échanger des informations. La communication entre les différents groupes de partisans était mauvaise: seules quelques formations disposaient de radios, et celles-ci étaient presque exclusivement utilisées de manière stationnaire. La plupart des informations étaient transmises par des jeunes femmes qui remplissaient la fonction d’estafette. Selon les estimations, chaque unité de résistants disposait de deux à trois estafettes. Ce mode de communication était lent et limitait fortement les possibilités de mener des opérations conjointes rapides. La résistance comptait également d’autres femmes dans ses rangs. À l’instar de Gisella Floreanini, partisane et membre du gouvernement de la République d’Ossola, où elle devint la première ministre féminine de l’histoire de l’Italie. Ou encore de l’infirmière Maria Peron, qui soignait les combattants blessés et les opérait si nécessaire. À Locarno également, les partisans de l’Ossola bénéficiaient du soutien d’une femme: Gaby Antognini. Cette Tessinoise cacha notamment des partisans échappés de camps d’internement suisses et les aida à repasser la frontière pour poursuivre le combat contre les occupants allemands et fascistes.
Maria Peron (à gauche) avec des partisans dans le val Grande, 1944.
Maria Peron (à gauche) avec des partisans dans le val Grande, 1944. Ce cliché témoigne également de l’armement disparate des partisans, qui constitua un problème permanent. Wikimedia / Associazione Casa della Resistenza di Fondotoce
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le frontalier et résistant tessinois Vincenzo Martinetti fut décoré par les organisations de partisans des vallées de l’Ossola pour services exceptionnels à la cause. Un tribunal militaire suisse le condamna à quatre mois de prison et à une amende pour violation de la neutralité. La peine de prison fut néanmoins assortie d’un sursis.

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