Après l’entrée des forces allemandes sur le territoire italien en 1943, la situation se détériore à la frontière méridionale de la Suisse.
Après l’entrée des forces allemandes sur le territoire italien en 1943, la situation se détériore à la frontière méridionale de la Suisse. Istituto storico Piero Fornara - Fondo Resistenza

Naissance et dispari­tion de la République indépen­dante d’Ossola

Au cours de l’automne 1944, le val d’Ossola est libéré par des partisans qui proclament la république. Le Tessin leur assure un soutien décisif. Suite à la reconquête menée par les troupes allemandes, des milliers de personnes se réfugient en Suisse.

Raphael Rues

Raphael Rues

Historien, Raphael Rues est un spécialiste du Tessin et de la présence germanofasciste dans le Nord de l’Italie.

C’est au plus tard à partir du 8 septembre 1943, date de l’armistice en Italie, que la Seconde Guerre mondiale imposa ses marques sur le quotidien des Tessinois en dépit de la neutralité suisse. Le cessez-le-feu conduisit à l’occupation immédiate de l’Italie par les forces allemandes et à l’effondrement de l’appareil d’État de la péninsule. Le canton du Tessin, entouré de régions italiennes, devint une base de premier ordre pour l’organisation et la mise en œuvre d’opérations alliées et, notamment, une destination de retraite proche et sûre pour les partisans ossolans.

De l'automne 1943 à l'été 1944

Dès le 13 septembre 1943, la région du Verbano supérieur est occupée jusqu’à la frontière tessinoise par le premier bataillon du deuxième régiment de la division blindée de la Waffen-SS Leibstandarte SS Adolf Hitler. Cette unité, précédemment détachée sur le front de l’Est, atteint rapidement les rives du lac Majeur. Le commandant du bataillon a pour ordre de «… nettoyer la zone située entre le lac Majeur et la frontière suisse». Les casernes, les hôpitaux et les centres de convalescence improvisés sont pris en main et perquisitionnés. Les officiers et soldats appréhendés sont déportés vers le Reich. La présence allemande dans le nord de l’Italie provoque un déplacement massif d’unités de soldats dissoutes et d’anciens prisonniers alliés vers la région du Locarnese. Ils sont accompagnés par de nombreux civils et par une trentaine de familles juives, au total quelque 150 personnes, qui parviennent à rejoindre le Tessin à l’automne 1943. Cette affluence plonge rapidement la région dans une situation de crise humanitaire. Pour y faire face, l’Armée suisse met en place deux camps de rassemblement près de Locarno, l’un à Quartino et l’autre à Cugnasco. À la mi-octobre 1943, la quasi-totalité des réfugiés est évacuée vers le nord par des trains de nuit traversant le Saint-Gothard. Au total, près de 20 000 soldats et civils quittent le Tessin pour des centres d’internement en Suisse alémanique et romande. Au cours de cette période, la Leibstandarte Adolf Hitler extermine au moins 50 Juifs dans la région d’Intra-Meina-lac d’Orta. Contrairement à d’autres crimes de guerre orchestrés par les Allemands dans la région, la participation du bataillon à ce massacre donnera lieu à quelques procès. En 1968, deux officiers sont ainsi condamnés à la réclusion à perpétuité à Osnabrück, trois autres à des périodes de détention de longue durée. Ils retrouveront toutefois leur liberté dès 1970 en raison d’un vice de forme durant le procès!
Soldats SS devant le Grand Hôtel des Îles Borromées de Stresa. Cette photographie a été prise à l’automne 1944, après une opération dans le val d’Ossola.
Soldats SS devant le Grand Hôtel des Îles Borromées de Stresa. Cette photographie a été prise à l’automne 1944, après une opération dans le val d’Ossola. Susanne Pauli, NS-Familien Geschichte Göttingen

Le Tessin: plaque tournante de l'information

Les réactions à l’occupation allemande se multiplient à partir de fin janvier 1944. Les SS et la gendarmerie lancent à cette date leurs premières campagnes dans le val d’Ossola. Celles-ci culmineront avec la bataille de Megolo: le 13 février 1944, douze partisans, dont le capitaine Filippo Maria Beltrami et son adjoint, le lieutenant, Antonio Di Dio, trouvent la mort. La résistance continue de prendre de l’ampleur au printemps 1944. L’ultimatum concernant l’appel au service dans l’armée néo-fasciste de Benito Mussolini expire le 25 mai 1944. Malgré les menaces de peine de mort qui pèsent sur les objecteurs de conscience, l’effectif des forces partisanes n’a de cesse d’augmenter. Cette situation incite les Allemands à intensifier leur activité dans la région, ce qui conduira à l’assassinat d’environ 200 partisans en juin. Dirigés par le lieutenant-colonel Ernst Weis, 4200 soldats épurent la région du val Grande située au nord d’Intra. Mais les lourdes pertes infligées aux groupes partisans ne permettent pas aux Allemands d’asseoir leur contrôle. Bien au contraire: c’est au plus tard à compter de cette date que la région de Locarno devient une composante essentielle du mouvement partisan. D’une part, les combattants d’Ossola peuvent aisément franchir la frontière et, d’autre part, le Tessin devient une terre de résistance majeure contre les Allemands et les fascistes. C’est ici que prennent forme l’information et la coordination, et qu’une assistance sans formalités peut être portée à intervalles réguliers.
Antonio Di Dio photographié en 1944.
Antonio Di Dio photographié en 1944. Wikimedia
La progression des Alliés en Italie centrale et la libération de Rome sont une source importante de motivation pour les partisans. Les promesses des forces aériennes alliées et les messages ad hoc diffusés par Radio Londres renforcent cette ardeur. Les résistants comptent fermement avec le soutien aérien des Alliés.

La république indépen­dante d'Ossola et Locarno

Durant l’été 1944, les partisans lancent donc de nombreuses initiatives et parviennent à faire reculer près de 300 soldats allemands vers la Suisse. Une grande partie du val d’Ossola est libérée avant fin août et la capitale Domodossola est provisoirement abandonnée par les troupes allemandes et fascistes le 10 septembre 1944. Cette campagne de libération, mise en œuvre sans coordination entre les différents groupes de partisans, permet l’institution de la «République indépendante d’Ossola». La nouvelle «république libre» se maintiendra moins de 40 jours, du 10 septembre au 17 octobre 1944. Elle est dirigée par d’anciens réfugiés politiques dont la plupart reviennent du Tessin quelques jours auparavant. L’aide tessinoise s’amplifie rapidement. Denrées alimentaires, argent voire armes et munitions passent la frontière. Dans le même temps, le Tessin et la République d’Ossola tissent très rapidement de nouvelles relations économiques permettant l’exportation de produits vers la Suisse, seul moyen de survie pour une région encerclée par les fascistes. Plusieurs hommes politiques tessinois, dont les sociaux-démocrates Guglielmo Canevascini et Francesco Borella, ainsi que le maire de Locarno, Giovan-Battista Rusca, se rendent dans la république indépendante et veillent au renforcement du soutien helvétique. Ces contacts politiques impliquent également une reconnaissance officieuse, mais essentielle, du nouvel État sur la scène politique.
Mardi 20 juin 1944, deux officiers allemands devant un groupe de partisans à Fondotoce, province de Verbania. Ce groupe de 45 personnes sera fusillé dans les heures qui suivront.
Mardi 20 juin 1944, deux officiers allemands devant un groupe de partisans à Fondotoce, province de Verbania. Ce groupe de 45 personnes sera fusillé dans les heures qui suivront. Casa della Resistenza Fondotoce / Ester Bucchi

Reconquête et afflux de réfugiés

La situation évolue rapidement lorsque les Allemands décident de reprendre la région début octobre 1944. Forte de quelque 3200 soldats appartenant essentiellement au corps des SS, l’armée allemande traverse Gravellona et Cannobio. Les conditions météorologiques défavorables et la résistance farouche des partisans entravent l’avancée ennemie pendant un certain temps. Mais les derniers jours de la République d’Ossola sont désormais comptés et le Tessin connaît une nouvelle crise humanitaire, la seconde depuis 1943. Ils sont des milliers, notamment femmes et enfants, à fuir par crainte de représailles. Ce cortège est rejoint par des partisans puis, après la chute de Domodossola le 17 octobre 1944, par une grande partie du gouvernement. De fait, les persécutions actives de l’occupant touchent les partisans tout autant que la population civile. Plusieurs incidents éclatent à la frontière. Le soutien aérien promis par les Alliés restera lettre morte.
Armando Calzavara (à gauche), chef de partisans, en 1945 à Milan. Pendant la guerre, il dirigea un groupe de résistants dans la région de Cannobio. Par la suite, il occupa un poste de manager chez Olivetti à Zurich pendant plusieurs années.
Armando Calzavara (à gauche), chef de partisans, en 1945 à Milan. Pendant la guerre, il dirigea un groupe de résistants dans la région de Cannobio. Par la suite, il occupa un poste de manager chez Olivetti à Zurich pendant plusieurs années. Casa della Resistenza Fondotoce / Ester Bucchi
Une activité intense règne à l’hôpital La Carità de Locarno. Cinquante partisans blessés y sont admis le 13 octobre. La vague de réfugiés en direction du Tessin augmente de jour en jour. Un officier du Service de renseignements de l’Armée suisse estime qu’au moins 1780 partisans et 18 000 civils passent en Suisse durant l’automne 1944. Ceux qui ne parviennent pas à franchir la frontière sont exécutés ou déportés. Suite à l’effondrement de la république indépendante, les troupes fascistes éliminent 525 partisans et déportent 625 personnes vers le Troisième Reich. Sans l’aide du Tessin et du Valais, le nombre de disparus dans la vallée aurait été bien plus élevé.

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