Arrivée à Berne à l’automne 1944 des partisans ayant fui les vallées de l’Ossola. Ils furent ensuite transférés dans différents camps d’internement.
Arrivée à Berne à l’automne 1944 des partisans ayant fui les vallées de l’Ossola. Ils furent ensuite transférés dans différents camps d’internement. Archives de l’État de Berne, FN Nydegger L 139

Les partisans de l’Ossola dans les camps d’internement suisses

En 1944, de nombreux partisans des vallées de l’Ossola se réfugièrent en Suisse, où ils furent internés dans des camps isolés.

Raphael Rues

Raphael Rues

Historien, Raphael Rues est un spécialiste du Tessin et de la présence germanofasciste dans le Nord de l’Italie.

Au cours de l’automne 1944, la plupart des résistants des vallées de l’Ossola fuirent vers la Suisse voisine. Il s’agissait pour eux de la seule issue possible après l’effondrement de la République d’Ossola, une zone libre entre le 10 septembre et le 23 octobre, et sa reconquête par les troupes allemandes et fascistes. Ces combattants désespérés avaient pris part aux derniers combats acharnés pour tenter d’enrayer la progression de l’ennemi dans la région. Celle-ci débuta le 10 octobre 1944 et se solda par la capture de Domodossola seulement quatre jours plus tard, ainsi que par la fuite des derniers partisans en Suisse le 23 octobre. À l’issue de cette victoire éclair, les fascistes déclarèrent que près de 50 000 personnes s’étaient réfugiées en Suisse, un chiffre largement exagéré étant donné que la région ne comptait alors que 80 000 habitants. L’objectif était sans doute d’enjoliver le succès des forces fascistes. On estime de nos jours le nombre de réfugiés à 10 000 maximum, dont environ 3000 partisans.
Partisans de l’Ossola en Suisse alémanique, printemps 1945.
Partisans de l’Ossola en Suisse alémanique, printemps 1945. Casa della Resistenza / Fondo Azzoni
Ces partisans en fuite doivent principalement leur salut à la volonté et à l’action d’une poignée de politiciens cantonaux: le conseiller national valaisan Karl Dellberg, le conseiller d’Etat tessinois Guglielmo Canevascini, et le syndic de Locarno Giovan Battista Rusca. Les trois hommes évoluaient sur un terrain extrêmement glissant, car l’admission de combattants – une désignation qui s’appliquait de facto aux partisans – aurait pu remettre en question la neutralité de la Suisse et entraîner de sérieux problèmes avec les Allemands. C’est pourquoi Karl Dellberg, entre autres, fit valoir auprès de la Berne fédérale que ces personnes étaient persécutées politiquement et qu’il s’agissait d’une urgence humanitaire. Cette aide informelle aux marges de la légalité sauva la vie de milliers de personnes. Sans cette intervention, les civils auraient été déportés et les partisans capturés exécutés. La population frontalière valaisanne et tessinoise, très éprouvée par les événements et sachant parfaitement ce qu’impliquaient réellement l’occupation allemande et la présence fasciste de l’autre côté de la frontière, fut sans doute le levier qui poussa les politiciens locaux et cantonaux à prendre des décisions qui, fondamentalement, ne relevaient pas de leur compétence. De l’autre côté, l’Église, la Croix-Rouge et plusieurs autres organisations s’efforcèrent notamment d’aider la République d’Ossola. À leur arrivée en Suisse, les partisans éreintés ne reçurent toutefois pas une hospitalité chaleureuse.
Le conseiller national valaisan Karl Dellberg aida les partisans en évoluant souvent dans des zones grises juridiques.
Le conseiller national valaisan Karl Dellberg aida les partisans en évoluant souvent dans des zones grises juridiques.   Treize Etoiles, Médiathèque Valais – Martigny
Les réfugiés, qui avaient souvent vécu dans de mauvaises conditions d’hygiène, étaient pour la plupart infestés de poux. Ils furent immédiatement désinfectés après avoir franchi la frontière, vêtements compris. De longs interrogatoires s’ensuivirent, à la recherche de renseignements militaires et d’éventuels contacts en Suisse. Leurs biens (notamment les sommes d’argent) furent également contrôlés. Tous ces éléments furent consignés dans des procès-verbaux d’interrogatoire afin que les informations d’ordre militaire puissent être transmises au major Max Waibel . Son bureau évalua alors leur valeur dans la pure tradition des services secrets. Ce traitement austère s’explique par le fait que le système d’asile de la Suisse était directement géré par l’armée depuis 1939. L’accent était mis non pas sur les réfugiés, mais sur des considérations géopolitiques et stratégiques parfois empreintes d’une peur diffuse de la propagation du communisme.
Max Waibel (au centre) examina les procès-verbaux d’interrogatoire des réfugiés.
Max Waibel (au centre) examina les procès-verbaux d’interrogatoire des réfugiés. Keystone
Procès-verbal d’interrogatoire d’un partisan de l’Ossola daté du 16 octobre 1944.
Procès-verbal d’interrogatoire d’un partisan de l’Ossola daté du 16 octobre 1944. Archives fédérales suisses

Interne­ment en Suisse

Depuis le début de la guerre, la Suisse avait mis en place un système différencié de camps d’internement pour faire face à l’afflux de réfugiés. Il existait quatre grands types de camps: les camps de sélection pour l’enregistrement, les camps de quarantaine pour la visite médicale, les camps d’accueil pour les cas incertains et les camps définitifs, aussi appelés camps de travail, où les internés étaient finalement détenus sous surveillance militaire. À l’issue de son interrogatoire, chaque partisan était conduit dans l’un des nombreux camps définitifs en Suisse. Si la personne avait franchi la frontière au Tessin ou en Valais, elle était généralement transportée de l’autre côté des Alpes afin de créer la plus grande distance possible avec son point d’entrée et la frontière. Les partisans de l’Ossola finirent donc presque tous dans des camps d’internement en Suisse alémanique, pour beaucoup dans le canton de Berne: près de Thoune, à Mürren, Finsterhennen, au Gurnigel, à Büren an der Aare ou encore à Langenthal. D’autres furent transférés dans le canton de Zurich (Wetzikon, Girenbad et Wald bei Hinwil, Adliswil, Nänikon) ou d’Argovie (Bremgarten). Les camps étaient le plus souvent construits dans des endroits isolés afin d’éviter autant que possible les contacts avec la population civile.
Le camp d’internement de Büren an der Aare, vers 1940.
Le camp d’internement de Büren an der Aare, vers 1940. Archives de l’État de Berne, N Gribi 2.38
Les conditions y étaient généralement rudes. Les logements se composaient de simples baraques mal isolées, qui étaient particulièrement inadaptées au froid extrême de l’hiver 1944/1945. La plupart des camps étaient dépourvus de chauffage, ce qui rendait la vie encore plus difficile. Les repas étaient frugaux, et de nombreux partisans durent effectuer des travaux forcés en dépit de l’épuisement et de la malnutrition. Les résistants communistes, appelés garibaldini, furent transférés dans des camps particulièrement éloignés et inhospitaliers, à l’instar de celui du lac Noir (FR), où ils furent par ailleurs mis à l’isolement.

Retour en Italie

La situation évolua quelque peu au début du printemps 1945, et les camps se dépeuplèrent progressivement. Les départs concernaient essentiellement des partisans par centaines qui voulaient reprendre le combat en Italie. Il s’agissait techniquement d’évasions sur lesquelles les autorités suisses fermèrent souvent les yeux, l’essentiel étant que les partisans quittent rapidement et définitivement la Suisse. Les possibilités de travailler restèrent très limitées pour les partisans restants. L’armée, qui était responsable du travail des internés, ne traitait les offres d’emploi des entreprises suisses qu’avec une extrême lenteur. Il y aurait pourtant eu assez à faire, notamment dans l’agriculture et la sylviculture, car la plupart des hommes suisses étaient alors en service actif. Les candidatures et demandes de travail furent malgré tout traitées à un rythme glacial, et l’analyse de centaines de dossiers d’internés donne l’impression d’une bureaucratie fonctionnant au ralenti, surtout vers la fin de la guerre. D’un point de vue contemporain, cette lenteur constitue une aubaine pour la recherche historique puisqu’elle permet de retracer précisément les séjours des réfugiés.
Trois partisans de l’Ossola, photographiés à Berne au cours de l’automne 1944. En janvier 1945, Luigi Fumagalli (au centre) s’évada du camp du lac Noir et retourna dans le val Cannobina.
Trois partisans de l’Ossola, photographiés à Berne au cours de l’automne 1944. En janvier 1945, Luigi Fumagalli (au centre) s’évada du camp du lac Noir et retourna dans le val Cannobina. Archives de l’État de Berne, FN Nydegger L 139
L’«hospitalité» offerte aux partisans de l’Ossola prit fin avec la défaite de l’Allemagne. En Italie, la guerre se termina officiellement le 2 mai (en partie grâce à des négociations secrètes menées en mars 1945 à Ascona) et en Allemagne le 8 mai. Le retour des partisans fut une véritable odyssée. La Suisse, ravie de se débarrasser enfin de ces captifs gênants, organisa très vite des convois ferroviaires à n’en plus finir. La quasi-totalité des internés furent transportés à Côme au cours des premières semaines de mai. Ils durent ensuite rejoindre leurs foyers par leurs propres moyens, ce qui constituait une véritable gageure, puisque le réseau routier était en grande partie détruit. Leur voyage dura parfois des jours, voire des semaines.

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