La roulette russe est une affaire de vie ou de mort. L’écrivain biennois Georges Surdez la fit connaître dans le monde entier.
La roulette russe est une affaire de vie ou de mort. L’écrivain biennois Georges Surdez la fit connaître dans le monde entier. Photos: Wikimédia / Musée national suisse

Le jeu dangereux d’un auteur biennois

Qui l’a inventé? Probablement des soldats russes. Et qui l’a fait connaître au monde? Très certainement un écrivain biennois. Voici l’histoire de la roulette russe.

Beat Kuhn

Beat Kuhn

Beat Kuhn est rédacteur régional au Bieler Tagblatt, dans lequel il publie de temps à autre de passionnants récits historiques.

Site web: Bieler Tagblatt
Georges Surdez voit le jour en 1900 au sein d’une famille francophone de la classe moyenne biennoise. Son père, Eugène, est horloger, tandis que sa mère, Marie, s’occupe du foyer et des enfants. Cette dernière a un côté mystique qu’elle exprime en tirant les cartes du tarot pour les voisins. Georges grandit avec trois sœurs aînées – dont l’une allait perdre la vie dans un accident de luge – ainsi qu’un frère aîné et un frère cadet. Le frère aîné se tuera plus tard en tombant d’un arbre. Il a également un frère et une sœur déjà adultes qui vivent aux États-Unis. Enfant, Georges aime lire des ouvrages sur Guillaume Tell et l’histoire de la Suisse, mais aussi sur la vie de Napoléon et la Légion étrangère, en plus de récits d’aventure américains. Alors que George a douze ans, sa famille déménage aux États-Unis. Eugène, qui ne se plaisait pas dans son métier d’horloger, y avait en effet déjà vécu pendant sa jeunesse. À New York, où les Surdez posent leurs valises, Georges devient l’étranger de service et subit les quolibets de ses camarades de classe. On le traite notamment de «sale Suisse». Il quitte l’école à 16 ans. À 19 ans, il part pour l’Afrique et s’installe en Côte d’Ivoire, qui est alors une colonie française. De là, il explore d’autres parties du continent, dont le Maroc et le Soudan.
Carte postale de Bienne, 1912.
En 1912, les Surdez quittèrent la paisible ville de Bienne... e-pics
Photographie de New York, 1912
... pour s’installer à New York. Wikimédia
De retour à New York, Georges fait deux découvertes qui vont changer sa vie: d’une part que l’on peut bien gagner sa vie en écrivant les récits d’aventure dont il était friand dans sa jeunesse, et d’autre part qu’il possède justement le talent nécessaire. Ces histoires courtes sont commandées et publiées par des magazines comme Adventure. Celui-ci devient son client principal et publie plus d’une centaine de ses textes. À partir de 1922, Il écrit d’abord à ses heures perdues, puis à plein temps. Ses premiers écrits sont principalement des romans policiers, dont une histoire d’amour qui se déroule en Afrique. En 1927, celle-ci est adaptée à l’écran par la société de production d’un certain Joseph Kennedy, le père du futur président des États-Unis. En 1928, Surdez obtient la nationalité américaine, encouragé par sa femme Edith, une enseignante qu’il avait épousée en 1922. Nettement plus âgée que lui, Edith ne semble à l’origine pas gênée par le fait que son mari soit un auteur de «pulps», considérés comme de la littérature de bas étage. En 1943, elle finit toutefois par le quitter pour un autre homme.
Couverture du magazine Adventure, janvier 1926.
Couverture du magazine Adventure, janvier 1926. Wikimédia
Récit de Georges Surdez dans le magazine Adventure, 1934.
Récit de Georges Surdez dans le magazine Adventure, 1934. Internet Archive
Surdez est également fasciné par le monde de la Légion étrangère, cette force d’élite française dans laquelle des aventuriers de tous horizons ont servi et servent encore. C’est aussi l’univers de Russian Roulette, un récit qui lui vaut une certaine renommée. Il paraît le 30 janvier 1937 dans l’hebdomadaire populaire Collier’s Illustrated Weekly. L’histoire traite d’une unité de la Légion étrangère stationnée en Afrique du Nord. Ses personnages principaux sont le sergent Burkowski, un Russe accro au jeu, et le sergent allemand Feldheim, qui tente de détourner son compagnon de cette addiction. Burkowski ne joue toutefois pas seulement pour l’argent: il joue aussi avec sa vie. Il survit à plusieurs parties de roulette russe, mais finit par mourir en se tirant volontairement une balle dans la tête. Dans le récit, Burkowski affirme que le jeu a été inventé par des officiers russes en Roumanie, en 1917, lors des derniers jours de la participation de l’Empire russe à la Première Guerre mondiale, alors que l’armée du tsar, démoralisée, battait en retraite. La roulette russe reposerait donc sur un contexte sinon réel, du moins plausible.

La roulette russe

La roulette russe consiste à insérer une seule balle dans le barillet d’un revolver, puis à faire tourner le barillet de sorte que l’on ignore où se trouve la balle. Un barillet comporte généralement six chambres et peut donc contenir six balles. Le joueur ou la joueuse pointe alors le revolver sur sa tempe et actionne la détente.
La roulette russe existait-elle réellement ou ne s’agit-il que d’une invention bien trouvée? Certains indices laissent effectivement penser que ce jeu dangereux était une vieille tradition dans l’armée russe et qu’il aurait pu déjà être joué en 1917, mais rien ne permet de le prouver. Il est en revanche clair que la première mention écrite de la roulette russe est l’œuvre du Biennois Georges Surdez dans son récit de 1937. Ce point est confirmé par l’Oxford English Dictionary, le plus important dictionnaire de la langue anglaise. Quoi qu’il en soit, le récit de Surdez fit de la roulette russe une réalité. En 1954, le chanteur de rhythm and blues Johnny Ace mourut d’ailleurs en perdant une partie. L’expression entra également dans le langage courant. De nos jours, elle est souvent employée comme synonyme d’une démarche à haut risque, comme quand le secrétaire général des Nations Unies a parlé de «jouer à la roulette russe avec notre planète» en juin 2024. Notons que Georges Surdez mourut d’une mort naturelle en 1949.
Georges Surdez, dessiné pour le Blue Book of Adventures for Men, 1941.
Georges Surdez, dessiné pour le Blue Book of Adventures for Men, 1941. Document remis
Georges Surdez coucha pour la première fois la roulette russe sur le papier dans Collier’s Illustrated Weekly en janvier 1937.
Georges Surdez coucha pour la première fois la roulette russe sur le papier dans Collier’s Illustrated Weekly en janvier 1937. Document remis
Cet article est paru dans le quotidien Bieler Tagblatt. Il a été publié en langue allemande le 9 octobre 2017 sous l’intitulé «Dem Bieler, der Russisch Roulette bekannt gemacht hat, auf der Spur» dans une version plus détaillée.

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