À l’époque moderne, les hommes se battaient souvent en duel pour recouvrer leur honneur.
À l’époque moderne, les hommes se battaient souvent en duel pour recouvrer leur honneur. Wikimedia

Duel au Conseil national

Les parlements sont parfois le théâtre d’attaques verbales, voire physiques. Ce n’est pas le cas en Suisse. Dans notre pays, le respect mutuel et la volonté de trouver un compromis sont maîtres. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, comme le montre cet exemple datant de 1848.

Andrej Abplanalp

Andrej Abplanalp

Historien et chef de la communication du Musée national suisse.

Au Parlement suisse, la plupart des échanges sont civilisés. On s’écoute, on discute, on vote. Ensuite, les gagnants et les perdants vont déjeuner ensemble. En Suisse, les insultes et menaces sont rares en politique. Il n’arrive jamais qu’on en vienne aux mains dans la salle du Conseil national. Mais il n’en a pas toujours été ainsi... Une fois n’est pas coutume. En automne 1848, lors de la toute première session du Conseil national, une violente dispute a éclaté entre deux conseillers nationaux. Les choses n’en sont pas restées là: les deux hommes se sont affrontés en duel et l’un d’eux a été légèrement blessé. Mais reprenons tous les faits dans l’ordre.
En novembre 1848, le conseiller national tessinois Giacomo Luvini a accusé les troupes de la Confédération d’avoir porté atteinte à la souveraineté du canton du Tessin à plusieurs reprises. Rudolf Benz, conseiller national zurichois et commandant de ces soldats, a objecté et riposté en attaquant lui aussi Luvini. Il a qualifié le colonel tessinois de lâche, car celui-ci avait été vaincu par les Uranais à Airolo lors de la guerre du Sonderbund en 1847 et avait pris la fuite. Giacomo Luvini ne pouvait pas laisser passer cela. Il a alors provoqué le conseiller national zurichois en duel. Le 29 novembre, les deux belligérants ont croisé le fer. Selon l’Eidgenössische Zeitung, le combat de sabre a eu lieu sur le terrain d’exercice de la caserne de la cavalerie. «Il avait été convenu que le duel cesserait à la première goutte de sang versée», rapporte le journal le 3 décembre 1848. Rudolf Benz, blessé à la main lors de l’affrontement, a tout de même pu rentrer chez lui le jour même en calèche.
Gravure de 1858 représentant Rudolf Benz.
Gravure de 1858 représentant Rudolf Benz. Musée national suisse
Gravure représentant Giacomo Luvini, vers 1840.
Gravure représentant Giacomo Luvini, vers 1840. Musée national suisse
Si le duel a pu avoir lieu, c’est aussi en quelque sorte grâce à la police bernoise. Les duels étaient interdits depuis 1651. Malgré cela, les autorités ont fermé les yeux et observé la scène de loin, comme le note l’Eidgenössische Zeitung: «Le directeur de la police aurait eu vent de l’événement mais n’aurait pas osé l’empêcher, c’est pourquoi il s’est contenté de boucler de loin le lieu du duel et d’observer la scène à l’aide de jumelles.» Il était très courant de se battre en duel au XIXe siècle; c’était – pour caricaturer – le moyen pour les hommes de recouvrer un honneur blessé. Dans les milieux militaires et nobles, on avait rapidement recours aux armes pour obtenir «réparation». Même dans les universités, les pistolets et les sabres étaient monnaie courante. Il a fallu attendre 1937 pour que le premier code pénal suisse interdise au niveau national ce type de duel. Bien qu’ils se soient côtoyés pendant des années au Conseil national, Giacomo Luvini et Rudolf Benz n’étaient plus des amis proches. Fait anecdotique: Rudolf Benz est l’auteur du code pénal pour le canton de Zurich, publié en 1871. Alors même qu’il a affronté Giacomo Luvini en 1848, il a érigé le duel en infraction pénale: «Le duel est passible d’une peine d’emprisonnement de deux mois au plus, assortie d’une amende, tant pour l’initiateur du duel que son adversaire, quelle que soit la blessure corporelle en résultant.» Une seule question subsiste: avec quelle main Rudolf Benz a-t-il rédigé cet article de loi?

Autres articles