Portrait de Paracelse par Augustin Hirschvogel, 1540. Portrait von Paracelsus von Augustin Hirschvogel, 1540, extrait.
Portrait de Paracelse par Augustin Hirschvogel, 1540. Portrait von Paracelsus von Augustin Hirschvogel, 1540, extrait. Wikimedia

Le savant errant

Comment le savant Paracelse (1493–1541) a voyagé à travers l'Europe toute sa vie et est devenu l'un des médecins les plus célèbres.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est historien et membre du comité de la Société suisse d’histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIe siècle et du XXe siècle.

C’est à Einsiedeln, vers 1493, que naquit Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim, dans une famille issue de la basse noblesse de Souabe. Élevé dans la proximité immédiate d’un centre de savoir, la vie de cet enfant était prédestinée. Orphelin de mère, passant ses premières années à regarder son père, Wilhelm Bombastus, mener ses expériences au fond de son atelier entre ses alambics, ses cornues et son athanor, le petit Philippus ne tarda pas à développer une seconde nature pour les sciences. Son penchant était évident et n’échappa pas à son père. En 1502, le docte paternel, féru de chimie et de médecine, quittait les terres de Schwytz pour la Carinthie, emmenant avec lui son fils afin de l’initier à l’humanisme, à l’alchimie et aux plantes sept années durant. Première étape d’une vie de voyages pour le jeune garçon!
Voilà à quoi cela aurait pu ressembler chez Paracelse et le laboratoire de son père: Laboratoire pharmaceutique au fond d'un magasin.
Voilà à quoi cela aurait pu ressembler chez Paracelse et le laboratoire de son père: Laboratoire pharmaceutique au fond d'un magasin. Wellcome Images / Wikimedia
De retour en Suisse, l’apprenti scientifique, âgé alors de seize ans, allait poursuivre la voie tracée par son père et continuer à se former auprès des religieux et des ingénieurs des mines schwytzoises de fer, de plomb et de cuivre. Doué, il est recommandé et intègre l’université de Bâle, début d’une «tournée» académique qui le mènera à Vienne puis à Ferrare.
À l’âge de vingt-deux ans – nous sommes en 1516 –, Philippe obtient son doctorat en médecine, souscrivant dans la foulée à la coutume du temps en se choisissant le patronyme de «Paracelse», afin d’affirmer aux yeux de tous son statut académique. Tourné vers le monde, le jeune médecin décide alors de quitter l’Italie du Nord qui n’est, à ce moment, pas la contrée la plus sereine d’Europe. Assoiffé de connaissances, curieux du savoir de ses pairs, il tourne d’abord les yeux vers la France de François Ier et se rend à Paris et à Montpellier. Jusqu’en 1524, il arpente ainsi l’Europe, visitant au rythme de ses intérêts Lisbonne, Oxford, puis les Pays-Bas où il s’enrôle comme chirurgien-barbier dans l’armée en 1519, l’année du couronnement impérial de Charles Quint. Il intègre ensuite les troupes danoises comme médecin, et assiste au siège de Stockholm en 1520, mettant ses talents au service des soldats blessés, en testant à des fins thérapeutiques l’arsenic, le soufre et le cuivre. L’année suivante, il prend la route des États italiens en passant par les monts métallifères slovaques afin d’y récolter des échantillons d’or et d’argent, et parvient enfin à Venise. Les batailles étant l’école la plus prodigue pour les médecins, il s’enrôle une nouvelle fois comme chirurgien militaire dans les troupes de la Sérénissime qui guerroie alors aux côtés de François Ier contre les Habsbourg dans une énième guerre d’Italie.
Venise vers 1500.
Venise vers 1500. Minneapolis Institute of Art
La cité des Doges, carrefour de civilisations, lieu de perdition et de connaissances proscrites depuis des siècles, antichambre d’un Orient lointain et mystérieux, inspire sans aucun doute Paracelse qui y réside jusqu’en 1525. Toujours porté par sa soif de découvertes, il reprend son chemin, cette année-là en direction de Salzbourg puis de Strasbourg, dont il devient bourgeois peu avant Noël 1526. À l’ombre de la cathédrale, il écrit son premier traité de médecine, les Neuf Livres Archidoxis, portant sur l’alchimie médicale, avant de retourner en Slovaquie recueillir de nouvelles substances nécessaires à ses expérimentations.
Kabbale astronomique et théologique de Paracelse, imprimée vers 1700.
Kabbale astronomique et théologique de Paracelse, imprimée vers 1700. Musée national suisse
Lors de son séjour alsacien, il parvient à sauver l’un des amis d’Érasme de passage à Strasbourg, un petit miracle médical dont l’écho se répand rapidement au sein des milieux humanistes rhénans. L’année suivante, Paracelse, précédé par sa réputation, est nommé médecin municipal de Bâle et professeur à l’université. Impulsif et certain de sa supériorité intellectuelle, récusant l’orthodoxie scientifique, il s’attire toutefois l’hostilité de son milieu en remettant en question Hippocrate et Galien, des références faisant autorité aux yeux de ses pairs, allant même jusqu’à brûler en public le Canon de la médecine d’Avicenne pendant la fête de la Saint-Jean. Se moquant éperdument du qu’en-dira-t-on, le médecin suisse prône alors l’expérimentation sur le corps humain au détriment de la médecine spéculative, ce qui ne manque pas d’attiser plus encore la répulsion et les craintes de ses concitoyens. Sa carrière bâloise, mise à mal par son caractère et ses études d’anatomie appliquée, ne survit pas à un nouveau scandale, celui d’avoir enseigné en suisse allemand et non en latin. Chassé de la cité, réduit au statut de savant vagabond, Paracelse part à nouveau sur les routes, voyageant de ville en ville, se rendant à Colmar, à Esslingen, à Nuremberg, puis à Saint-Gall et en Appenzell où il écrit l’une de ses œuvres majeures, le Paragranum. Liber quatuor columnarum artis medicae.
Page de Paracelse 'Astronomica et astrologica, publiée à titre posthume en 1567.
Page de Paracelse 'Astronomica et astrologica, publiée à titre posthume en 1567. Université de Strasbourg
Ses errances le conduisent ensuite à Ulm, Augsbourg, Munich et Sterzing ou il enraie une épidémie de peste. Durant ces années, il multiplie les traités et les études, s’intéressant à tous les sujets susceptibles d’éveiller sa curiosité. Il s’attaque ainsi à la syphilis, aux arts occultes, à l’astronomie et à l’astrologie, à la chirurgie, aux eaux thermales et aux maladies contractées par les mineurs. Il décrit les affections pulmonaires de ces derniers, proposant des mesures préventives qui font de lui un précurseur de la médecine du travail. En avril 1541, l’archevêque-duc Ernest de Bavière, curieux de rencontrer ce savant marginal, l’invite à Salzbourg pour l’entendre disserter sur les arts occultes, une marotte du prince de l’Église, et sur l’alphabet des Mages, inventé par Paracelse pour graver des talismans au nom d’anges protecteurs. C’est dans la petite cité autrichienne que Paracelse meurt, cinq mois après son arrivée, le 24 septembre 1541, à l’âge de 48 ans, épuisé par une vie de voyages et passée sur des creusets bouillonnant de mercure. Sa science lui survécut et connut un succès grandissant lorsque la Sorbonne condamna les thèses du médecin suisse en 1578.
Portrait de Paracelse, vers 1620.
Portrait de Paracelse, vers 1620. Musée national suisse

Série: 50 person­na­li­tés suisses

L’histoire d’une région ou d’un pays est celle des hommes qui y vivent ou qui y ont vécu. Cette série présente 50 person­na­li­tés ayant marqué le cours de l’histoire de la Suisse. Certaines sont connues, d’autres sont presque tombées dans l’oubli. Les récits sont issus du livre de Frédéric Rossi et Christophe Vuilleu­mier, intitulé «Quel est le salaud qui m’a poussé? Cent figures de l’histoire Suisse», paru en 2016 aux éditions inFolio.

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