En 2021, le papier peint a été soigneusement restauré et préparé pour être présenté au Château de Prangins.
En 2021, le papier peint a été soigneusement restauré et préparé pour être présenté au Château de Prangins. Musée national suisse

De la ferme au musée: le sauvetage d'un papier peint

Ce n'est que grâce à l'intervention de l'historien Maurice Jeanneret (1887-1961) qu'un magnifique papier peint provenant d'une ferme du Jura a pu être sauvé de la destruction en 1958.

Helen Bieri Thomson

Helen Bieri Thomson

Helen Bieri Thomson est historienne de l’art et directrice du Château de Prangins.

En août 1957, Maurice Jeanneret, alors vice-président de la Société d'histoire et d’archéologie du canton de Neuchâtel (SHAN), publiait dans la Revue des musées neuchâtelois un article consacré à un exceptionnel décor de papier peint aux Métamorphoses d’Ovide. Posé vers 1795 sur les murs d’un salon aménagé au premier étage d’une ferme jurassienne sise à La Cibourg, celui-ci était resté miraculeusement en place. Jeanneret profita de l’article pour lancer un appel: «Or, cet ensemble est menacé d'anéantissement. La maison a changé de mains, et le nouveau propriétaire prévoit, nous dit-on, des transformations d'où le ravissant salon aux Métamorphoses serait banni. Serait-il possible de le sauver, de lui donner un autre asile?» Il poursuivit en énumérant les difficultés liées à la dépose d'un tel décor puis en citant les institutions auxquelles il a songé pour accueillir cet ensemble.
Carte postale représentant la ferme de La Cibourg, où le papier peint ornait les murs d'un salon au premier étage de la maison de gauche.
Carte postale représentant la ferme de La Cibourg, où le papier peint ornait les murs d'un salon au premier étage de la maison de gauche. Musée national suisse. Photo: Manel Guedri
Le détail des réflexions de Maurice Jeanneret au sujet de la sauvegarde de ce décor apparaît à la lecture d'une correspondance comptant une soixantaine de courriers qu'il échangea entre autres avec Mariette Schaetzel, descendante de la famille Robert. Conservées aux Archives de l'Etat de Neuchâtel, ces lettres permettent de prendre la mesure de l'engagement de Maurice Jeanneret pour sauver cet ensemble exceptionnel tout en retraçant les péripéties liées à la dépose des papiers peints. En 1952, au décès de son père, Frédéric Robert, descendant de Charles-François Robert qui avait fait poser les papiers peints dans les années 1790, hérita de la ferme familiale. Trois ans plus tard, constatant qu'il lui était difficile de gérer ce domaine depuis Genève où il résidait, il décida de vendre la maison paysanne. Sa cousine, Mariette Schaetzel, très attachée à La Cibourg et au décor du salon en particulier, lui demanda de faire don des papiers peints à un musée neuchâtelois. Frédéric Robert accéda à sa demande et fit une réserve au sujet de ce décor dans l'acte de vente.
Notes de travail de Mariette Schaetzel.
Notes de travail de Mariette Schaetzel. Musée national suisse. Photo: Manel Guedri
Relevé des dimensions du salon in situ. Croquis de Maurice Jeanneret complété d’annotations d’une autre main, 29 mars 1957.
Relevé des dimensions du salon in situ. Croquis de Maurice Jeanneret complété d’annotations d’une autre main, 29 mars 1957. Archives de l’Etat de Neuchâtel
Ayant étudié l'iconographie des papiers peints et la généalogie de sa famille, Mariette Schaetzel transmit ses notes à Maurice Jeanneret. Ce dernier préparait en effet un exposé sur le salon de papier peint qu'il donna en février 1957 et qui formera la base de l'article publié en août de la même année dans la Revue des Musées neuchâtelois. En mars 1957, sans doute suite à sa conférence, la Société d'histoire et d'archéologie décida d'assurer la sauvegarde de ce décor et chargea Jeanneret des démarches. Celui-ci se mit de suite à la recherche d'une institution où exposer de manière satisfaisante l'ensemble. Ne disposant pas des dimensions de la pièce, il se rendit sur place pour faire lui-même un relevé. Parmi les options qu'envisageait Maurice Jeanneret, on peut citer les châteaux de Boudry, de Môtiers, des Monts au Locle et de Valangin. Le château des Monts parut dans un premier temps particulièrement adéquat puisque la commune du Locle était alors en train d'y aménager le futur musée d'horlogerie. Les papiers peints auraient pu venir y orner le salon principal. Au grand regret de Maurice Jeanneret et de Mariette Schaetzel, le conseil communal, après un préavis positif, finit par renoncer à cette proposition invoquant que «le déplacement de ces papiers nécessite d'ailleurs une somme trop importante par rapport à l'intérêt que cela représente pour notre ville.»
Maurice Jeanneret donne une conférence sur le papier peint en février 1957. Extrait de la bande dessinée l'Histoire du papier peint de La Cibourg de Fanny Vaucher.
Maurice Jeanneret donne une conférence sur le papier peint en février 1957. Extrait de la bande dessinée l'Histoire du papier peint de La Cibourg de Fanny Vaucher. Musée national suisse
Entretemps, l'article de M. Jeanneret était paru et semble avoir suscité beaucoup d'intérêt. Des rumeurs couraient selon lesquelles le nouveau propriétaire de La Cibourg voulait désormais garder les papiers peints pour lui et ne plus les céder à un musée. Quelque peu alarmé, le vice-président de la Société d'histoire et d’archéologie décida d'accélérer les choses et demanda à Mariette Schaetzel l'autorisation d'entreprendre leur transfert au château de Valangin. Ce fut chose faite le 9 juillet 1958, près d'un an après la parution de l'article. Le décor fut découpé en plusieurs morceaux, démonté et transporté à Valangin. Une des difficultés avait été de se mettre d'accord avec le nouveau propriétaire qui exigeait que la SHAN prît à sa charge les frais de remplacement des boiseries dans cette pièce. En effet, les papiers peints ayant été collés à même le bois, il était inconcevable de les détacher de leur support. Le montant de ces travaux fut largement dépassé et causa un litige entre Paul Grandjean, alors conservateur des Monuments et sites du canton, et le propriétaire qui prit un avocat. Il s'en fallut de peu pour que l'affaire passât devant les tribunaux mais en fin de compte le service cantonal semble avoir eu gain de cause. Pour la petite histoire, le montant payé par les Monuments et sites pour la dépose et le remplacement des boiseries représenta alors le quart de leur budget annuel!
Le château de Valangin en hiver, 2009.
Le château de Valangin en hiver, 2009. Wikimedia / Marie-Rose Python
Au château de Valangin, deux ou trois panneaux furent exposés périodiquement mais le gros du décor fut entreposé au galetas pendant plus de 60 ans. Consciente que cette solution n’était pas optimale et soucieuse de rendre ce décor accessible au public et d'en assurer la meilleure conservation possible, la SHAN fit don de l’ensemble du décor au Musée national suisse en 2011. Conquise par l’exposition Papiers peints. Poésie des murs présentée l’année précédente au Château de Prangins, la Société estima que le Musée national était l’institution la mieux à même d’accueillir dans ses collections et de préserver pour la postérité cet intérieur imposant.
Le papier peint dans l'exposition «Ovide dans le Jura» (2022) au Château de Prangins.
Le papier peint dans l'exposition «Ovide dans le Jura» (2022) au Château de Prangins. Musée national suisse

Ovide dans le Jura. L'étonnante histoire d'un papier peint

18.02.2022 30.10.2022 / Château de Prangins
Vers 1795, un marchand de vin du nom de Charles-François Robert et sa femme s’offrent à l’occasion de leur mariage un somptueux décor de papier peint aux Métamorphoses d’Ovide. Ils l’installent au premier étage de leur ferme La Bise noire, à La Cibourg, non loin de La Chaux-de-Fonds. Que vient faire un décor digne du palais des Tuileries dans une maison paysanne du Jura bernois? Cette exposition examine sous toutes ses faces cet exceptionnel salon et raconte l’histoire rocambolesque de son propriétaire haut en couleur. Lorsque vin rime avec papier peint et que pâturages et contrebande font bon ménage!

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