Jean Lepautre d’après Jean Berain, «Garde-robes pour dames et pour hommes», 1678.
Alors que la coupe des vêtements ne varie guère à l’époque baroque, les tissus, broderies et accessoires permettent d’introduire des innovations, publiées dans la revue «Mercure galant». Jean Lepautre d’après Jean Berain, «Garde-robes pour dames et pour hommes», 1678. Bibliothèque nationale de France

Les débuts du système moderne de la mode

Les précurseurs des premiers magazines de mode sont apparus à Paris sous le règne de Louis XIV. Ils ont donné naissance aux tendances saisonnières telles que nous les connaissons, contribuant à la création du système moderne de la mode.

Joya Indermühle

Joya Indermühle

Dr Joya Indermühle est conservatrice au Musée national suisse.

«Rien n’est si inconstant que la mode», déclarait Jean Donneau de Visé, fondateur de la revue Mercure galant, dans l’édition de 1687. Si de nos jours, cette affirmation sur l’évolution constante de la mode paraît évidente, cette idée était révolutionnaire à l’époque du baroque. Notre compréhension moderne de la mode comme un phénomène en constante évolution, reflétant les changements sociaux et politiques, remonte à cette période. Le développement de la presse de mode et la promotion ciblée de la production de textiles français sous Louis XIV furent les moteurs de cette évolution.

L’âge d’or de la presse de mode française

Apparus dès le XVIe siècle, les livres de costumes illustrant la mode étaient très appréciés des artistes et collectionneurs, en particulier à l’époque de la Renaissance. L’un des plus connus est De gli habiti antichi et moderni di diverse parti del mondo («Costumes anciens et modernes à travers le monde») de Cesare Vecellio paru en 1590.
Représentations de la mode durant la Renaissance: Cesare Vecellio, «De gli habiti antichi et moderni di diverse parti del mondo», Venise, 1590.
Représentations de la mode durant la Renaissance: Cesare Vecellio, «De gli habiti antichi et moderni di diverse parti del mondo», Venise, 1590. The Metropolitan Museum of Art
Ces livres présentaient des costumes issus de différentes régions ou villes. Combinées aux innovations dans le domaine de la gravure sur cuivre, les images de mode imprimées ont gagné en popularité au cours de la période baroque sous la forme de planches individuelles ou de séries, et plus tard dans les premiers magazines de mode. Louis XIV a non seulement encouragé la fabrication de produits de luxe, mais il a également contribué à leur rayonnement international au moyen des gravures. Grâce à lui, la presse de mode française a connu son âge d’or entre 1672 et 1710. À Paris, la rue Saint-Jacques fut le théâtre de l’impression de centaines d’images de mode, toutes développées au format portrait à l’encre noire sur du papier blanc doté d’une simple bordure noire. Sur demande, ces images pouvaient également faire l’objet d’une coloration manuelle une fois imprimées. Les gravures de mode étaient également commercialisées sous forme de planches individuelles. Elles se transmettaient d’une personne à l’autre, de sorte que les actualités dans le domaine de la mode étaient diffusées en temps réel, à moindre coût et au-delà des frontières nationales et sociales. À cette époque, la mode ne se limitait toutefois pas aux vêtements. Elle était également définie par des attitudes et des décors en vogue, comme le Jardin des Tuileries ou les intérieurs les plus tendance, qui figuraient toujours en arrière-plan.
La mode ne se limite pas aux vêtements: elle est également définie par des attitudes et des environnements. Jean Dieu de Saint-Jean, «Femme de Qualité aux Thuilleries», 1668.
La mode ne se limite pas aux vêtements: elle est également définie par des attitudes et des environnements. Jean Dieu de Saint-Jean, «Femme de Qualité aux Thuilleries», 1668. Bibliothèque nationale de France

Une œuvre à mi-chemin entre le portrait et l’image de mode

Très vite, des artistes, éditeurs et commerçants avant-gardistes développèrent ce support à succès. Henri Bonnart est considéré comme étant à l’origine de l’idée du portrait en mode, vers 1683. En mettant en scène des personnalités de la haute société ou des membres de la cour avec des attitudes et des vêtements à la mode, il créa en quelque sorte la culture de la célébrité. Cette œuvre à mi-chemin entre le portrait et l’image de mode permettait non seulement de diffuser les nouveautés en matière de mode, mais suscitait également chez les lecteurs le désir de s’identifier aux personnalités et de les imiter. En ce sens, les images de mode nourrissaient le besoin de «voir et d’être vu».
Les images de mode existent alors également en couleur. Henri Bonnart, «Madame la Marquise D’Entragues», 1694.
Les images de mode existent alors également en couleur. Henri Bonnart, «Madame la Marquise D’Entragues», 1694. Museum of Fine Arts Boston

Mercure galant, précur­seur des premiers magazines de mode

Jean Donneau de Visé franchit une étape supplémentaire en fondant Mercure galant en 1672, une revue consacrée aux nouveautés en matière de mode, de culture et de société. La mode étant considérée comme un style de vie, la revue publiait également des poèmes, des chansons, des récits de cour et de batailles tout comme des critiques de théâtre et des arias. La revue dut notamment son succès au style rédactionnel décontracté qui prenait la forme d’un échange. L’auteur tenait une sorte de conversation fictive et s’adressait directement à la lectrice: «Je vous avais promis, Madame, de vous mander toutes les modes nouvelles [...]», peut-on lire par exemple dans l’édition de 1672. Soutenue par le monarque français, la revue fut publiée tous les mois à partir de 1677 et joua un rôle déterminant dans la diffusion des nouvelles modes. Pour la première fois, une revue contenait des descriptions détaillées de vêtements, d’accessoires de mode et de tissus. Jean Donneau de Visé lança en outre les éditions Extraordinaires avec des gravures de mode, les plus connues ayant été dessinées par l’artiste de la cour Jean Berain et gravées par Jean Lepautre. Il s’agit des premières images publiées dans un magazine à parution régulière. Cette innovation ouvrit la voie à d’autres magazines de mode qui calquèrent leur ligne éditoriale sur cette association entre images et textes. En outre, ces gravures constituaient et constituent toujours l’une des principales sources d’informations concernant les vêtements baroques, étant donné la précision des images, accompagnées de descriptions. Nous savons par exemple qu’aux alentours du mois de janvier 1678, la coiffe de choix pour les dames était la «cornette fraisée de point de France». Les matières, les couleurs ainsi que les motifs des tissus et des accessoires tenaient la vedette. Tandis que les coupes n’ont que légèrement varié au fil du temps, les textiles ont toujours stimulé l’innovation. La provenance internationale des tissus, des processus de fabrication complexes et la ville de Lyon devenue capitale de la soie jouèrent un rôle-clé.
Créée en 1672 avec l’accord de Louis XIV, la revue «Mercure galant» rend compte des nouveautés en matière de mode, de culture et de société. Elle est considérée comme le précurseur des premiers magazines de mode. Les descriptions détaillées qu’elle contient constituent l’une des principales sources d’informations concernant la mode baroque.
Créée en 1672 avec l’accord de Louis XIV, la revue «Mercure galant» rend compte des nouveautés en matière de mode, de culture et de société. Elle est considérée comme le précurseur des premiers magazines de mode. Les descriptions détaillées qu’elle contient constituent l’une des principales sources d’informations concernant la mode baroque. Bibliothèque nationale de France
Le titre «Habit d’Hyver» témoigne du nouveau rythme saisonnier de l’industrie de la mode. En associant gravures détaillées et textes descriptifs, la revue fait figure de pionnière en matière de communication des dernières tendances.
Le titre «Habit d’Hyver» témoigne du nouveau rythme saisonnier de l’industrie de la mode. En associant gravures détaillées et textes descriptifs, la revue fait figure de pionnière en matière de communication des dernières tendances. Bibliothèque nationale de France

La mode au rythme des saisons

Alors que les matières premières, en particulier les fils de soie et de coton, devaient être importées, la France devint un centre de fabrication textile sous le ministre des finances Jean-Baptiste Colbert et Louis XIV. Lyon se hissa au rang de capitale de la production de soie grâce aux stricts contrôles de qualité de la «Grande Fabrique», une sorte de guilde. Plusieurs changements dans la conception des tissus étaient introduits chaque année dans le cadre d’une politique mercantiliste et protectionniste menée au milieu du XVIIe siècle à des fins de promotion ciblée du site de production de soie. Versailles lança également un calendrier dédié à la cour qui indiquait les vêtements ou accessoires à porter en fonction de la saison. Cette démarche entraîna la création d’un marché dans lequel le moment de la vente devint décisif. Quant aux producteurs de soie, ils répondaient à la demande en renouvelant les motifs, couleurs et qualités avec une diversité et une virtuosité inédites.
Tissus en soie de France, 1708-1710.
La variété de motifs, de couleurs et de qualités des étoffes de soie atteint son apogée durant l’époque baroque. Les soies dites «bizarres», par exemple, sont très appréciées. Elles présentent des combinaisons dynamiques de motifs aux proportions surprenantes, inspirés de l’Asie orientale. Tissus en soie de France, 1708-1710. Galerie Ruf AG, Stansstad
Afin de promouvoir la branche, Mercure galant relatait le travail des manufactures lyonnaises ainsi que des marchands et vendeurs d’étoffes parisiens, en révélant parfois leur identité. Le nouveau rythme saisonnier de la mode était décrit en détail dans la revue, dont la bonne marche des affaires dépendait en quelque sorte de ces évolutions constantes et des actualités sans cesse renouvelées. La synergie entre l’innovation des producteurs textiles et la diffusion des nouveautés par l’image et le texte a finalement conduit à l’établissement d’un système de mode moderne, focalisé sur l’actualité. Grâce aux gravures, une grande partie de la population européenne, y compris la Suisse, était au fait des tendances de Versailles et de Paris. Très peu de personnes étaient en mesure de s’offrir les tissus en vogue, mais chacun essayait de suivre la mode dans la limite de ses moyens. Ce système saisonnier de la mode, dont Paris était la référence, a perduré jusqu’au XXIe siècle. Il est aujourd’hui remis en question dans l’optique d’une exploitation prudente des ressources et d’une production durable.

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