
Salles d’apparat suisses pour l’Amérique
Après l’inauguration du Musée national suisse à Zurich en 1898, ses salles historiques firent figure de référence pour les musées américains.
En parcourant le musée de Boston, il est toutefois difficile d’imaginer que le Musée national Zurich a constitué l’une des sources d’inspiration majeures de cette institution. Aujourd’hui, les deux établissements sont en effet très différents. Le Musée national Zurich a développé le concept fondateur d’un musée historique à vocation nationale. Le MFA est quant à lui devenu un musée international d’art et de design.
Au cours du XXe siècle, ces period rooms connurent un grand succès dans les musées américains. Comme l’a montré l’historienne de l’art Kathleen Curran, le musée de Boston puis le Metropolitan Museum de New York, tous deux fondés en 1870, jouèrent un rôle pionnier dans l’importation du modèle.
Vers 1900, l’expansion constante des collections incita les responsables du musée de Boston à envisager un nouveau bâtiment pour leur institution fondée en 1870. Ils envoyèrent en Europe une commission chargée d’explorer des modèles adaptés à l’architecture et à la future présentation des collections. Le voyage de la commission donna lieu à un rapport complet, véritable instantané d’un paysage muséal européen en pleine mutation à l’aube de ce nouveau siècle. Les musées nationaux, très en vogue en Europe depuis le XIXe siècle, retinrent tout particulièrement l’attention des muséologues venus d’une Amérique au passé encore récent. Le Musée national Zurich, inauguré en 1898, faisait alors figure de référence.
Le premier modèle du genre fut le Musée de Cluny. Fondé à Paris en 1832 par un particulier et racheté peu après par l’État français, il était principalement consacré aux monuments artistiques et culturels français du Moyen-Âge et de la Renaissance. L’architecture et l’artisanat se trouvèrent revalorisés par ce qui constituait en réalité une mise en scène de mobilier et d’objets hétéroclites datant du XVIe siècle. En dépit du succès qu’elle rencontra auprès du public, cette expographie n’en reste pas moins discutable du point de vue des historiennes et des historiens.
En cette période d’essor de la révolution industrielle, l’objectif était de proposer des repères en matière de goût esthétique et de stimuler les élans créatifs. De remarquables objets en tous genres furent ainsi rassemblés. Dans des salles entières, des vases ou des verres emplissaient des vitrines, invitant le public à les comparer. L’origine et le contexte historique de la création des objets étaient relégués au second plan. Si la sobriété du modèle de l’exposition didactique rencontra au départ un grand succès, la fréquentation du musée ne tarda pas à reculer: aucune histoire intéressante n’était racontée aux visiteuses et aux visiteurs.
Une nouvelle représentation de l’Histoire pour conquérir le public
Cette approche reposait sur le concept scientifique d’«histoire culturelle», qui puise également principalement ses racines dans l’espace germanophone. L’Histoire n’était plus seulement racontée comme une succession de dynasties et de guerres. De la religion à l’histoire du droit en passant par la science et les arts, les aspects sociaux, culturels et historiques étaient désormais considérés. L’idée était de développer une représentation exhaustive et plus authentique de l’Histoire. Cette nouvelle approche historiographique fut popularisée par des ouvrages tels que La civilisation de la Renaissance en Italie, de l’historien suisse Jacob Burckhardt, publié en 1860.
Leurs homologues de Boston et dans leur sillage, certains de leurs collègues, furent conquis par le concept mis en œuvre au Musée national Zurich. Celui-ci conjuguait de façon intéressante des formes de présentation variées, notamment des vitrines d’objets et des salles historiques. La commission du musée zurichois, dont faisaient partie le futur premier directeur Heinrich Angst, l’historien de l’art Johann Rudolf Rahn et le président de la ville de Zurich Hans Pestalozzi, avait, en collaboration avec les conservateurs et le maître d’œuvre Gustav Gull, en quelque sorte étendu l’édifice de l’intérieur vers l’extérieur, en s’appuyant sur les fonds existants. C’est ce qui explique le conglomérat de différents corps de bâtiment et sa pièce maîtresse, la «salle d’armes».
Les muséologues de Boston reprirent par la suite le modèle zurichois et aménagèrent dans leur nouvel édifice une aile regroupant des period rooms, dont une venue de Suisse: la Bremgarten Room datant du XVIe siècle. Celle-ci fut toutefois revendue en 1930. En 1906, le Metropolitan Museum de New York fit l’acquisition de la Flims Room, également appelée Swiss Room, qui s’y trouve encore aujourd’hui.
L’histoire complexe de cette Swiss Room, telle que Paul Fravi l’a reconstituée en 1982, montre de manière exemplaire à quel point la perception des productions artistiques et décoratives varie selon l’époque. Le salon d’apparat lambrissé, dans lequel trône un somptueux poêle en faïence, fut créé vers 1684 pour le «petit château» de Flims, qui appartenait à la famille Capol. Cette salle fait aujourd’hui figure de modèle du genre. En 1873 pourtant, l’historien de l’art Rudolf Rahn, qui joua un rôle majeur dans la fondation du Musée national Zurich, avait lui-même estimé que l’aménagement du petit château, certes «charmant», n’avait rien d’exceptionnel du point de vue artistique.
L’engouement pour ces salles historiques venues d’Europe, dans un pays qui cherchait encore sa place dans l’Histoire, se manifesta de manière très particulière, notamment pendant la première moitié du XXe siècle: plusieurs cloîtres européens furent achetés (The Cloisters, Metropolitan Museum, New York) et en 1903, la riche héritière Isabella Stewart Gardner, originaire de Boston, inaugura dans sa ville natale un musée aux allures de palais vénitien abritant du mobilier, des œuvres d’art et des sculptures d’origines variées. En Californie, le Hearst Castle (à partir de 1920), qui vira par la suite à la démesure, s’inscrit lui aussi dans cette tradition.
Dans les années 1970, de nombreuses period Rooms importées d’Europe furent revisitées, remisées ou vendues. Ce processus fut amorcé par des changements sociaux et une nouvelle approche de l’Histoire. On s’interrogea alors de manière critique sur le type de société qu’incarnaient les period rooms, généralement seigneuriales. Des artistes comme Ed Kienholz y apportèrent une réponse pour le moins caustique. Son installation Roxys (1960/61) reproduit à l’échelle réelle une maison close de Las Vegas dans les années 1940. Ironiquement, ce n’est pas une dans une collection américaine que l’œuvre a trouvé sa dernière étape temporaire, mais en Europe, au sein de la Fondation Pinault à Venise.
La collection
L’exposition présente plus de 7000 objets appartenant à la collection du musée et illustre, sur une période couvrant un millénaire, la production artisanale et les arts décoratifs en Suisse. Les salles d’exposition constituent par ailleurs d’importants témoignages de différentes époques : en établissant un lien entre les objets exposés et un cadre fortement marqué par la dimension historique, elles permettent aux visiteurs d’explorer le passé sous toutes ses facettes.


