Des dinosaures sur le Monte San Giorgio

L’historien Benedikt Meyer nous conte l’histoire de la Suisse en 100 épisodes dans une nouvelle série. Le premier chapitre nous ramène 240 millions d’années en arrière.

Benedikt Meyer

Benedikt Meyer

Benedikt Meyer est historien et écrivain.

Les lames écumantes déferlaient alors sur les rivages du paléocontinent, vague après vague, million d’années après million d’années. Les dinosaures martelaient le sol, faisait retentir leurs cris depuis les airs, et quand il ne tombait pas des pluies diluviennes, l’air était terriblement chaud. Puis une fracture, qui ne devait rien à la chaleur, apparut à la surface de la croûte terrestre, et Pangée commença à se morceler (-250 millions d’années).

Les flots de l’océan Thétys se déchaînaient sur ce qui allait devenir la Suisse. La région faisait encore partie de la zone subtropicale et les eaux qui recouvraient le Tessin actuel étaient relativement peu profondes. Les animaux terrestres, comme le Ticinosuchus, un ancêtre du crocodile qui mesurait deux mètres cinquante de long, y traquaient leur nourriture, à l’instar des reptiles marins. Quelques spécimens ont d’ailleurs été ensevelis dans les sables à cet endroit-là et leurs corps se sont remarquablement bien conservés grâce à l’absence de courant et d’oxygène (-240 millions d’années).

Lorsque, non loin de là, la croûte terrestre se fractura quelques millions d’années plus tard, le magma échappé de la fissure forma un nouveau plancher océanique (-175 millions d’années), visible aujourd’hui sous la forme d’un basalte vert sombre, la serpentinite, dans la région de Bivio par exemple. Puis l’Eurasie se fragmenta pour donner naissance à deux microplaques, la Tisza et le bloc austroalpin, qui se chevauchèrent sous la pression de la plaque adriatique (-130 millions d’années). Une nouvelle chaîne de montagnes était née. Dans cette région du globe qui sera un jour la Suisse, reptiles marins, poissons, crabes et coraux naquirent,moururent et se déposèrent sur les fonds marins pour s’y transformer en sédiments. Le bassin océanique de la Thétys s’assécha et se remplit à plusieurs reprises avant que les derniers dinosaures ne foulent la planète (-66 millions d’années). Les mammifères et autres espèces prirent leur place.

Les sommets alpins sont apparus il y a plusieurs millions d’années. Comme le Cervin, que l’on voit sur cette photo historique, datant de 1928, prise par le pionnier de l’aviation Walter Mittelholzer. Photo: Musée national suisse

Lorsque la plaque africaine se mit à dériver vers le nord (-53 millions d’années), poussant le continent européen, la Thétys disparut progressivement et ce qui avait été le plancher océanique se comprima et se souleva. Les masses continentales s’écrasèrent l’une contre l’autre dans un silence assourdissant, l’Afrique remonta encore vers l’Europe, la chaîne alpine s’éleva sous la forme d’un massif aux doux sommets (-30 millions d’années). Naturellement, cela ne se fit pas sans frictions ni failles, certaines parties de la plaque africaine passèrent sur la plaque européenne, comme au sommet arrondi de ce qui allait devenir le mont Cervin. La ligne de démarcation de cet empilement de roches africaines et austroalpines est encore visible aujourd’hui tout près de la Cabane du Hörnli.

Pendant les millions d’années qui suivirent, l’érosion grignota les montagnes abrasées par les glaciers. Ces fleuves de glace façonnèrent le Cervin et le Creux du Van, découpèrent des arêtes acérées, charrièrent des débris rocheux dans le bassin du plateau suisse, qui s’emplit de sédiments et de molasse alpine. Et tandis qu’en Afrique, les singes s’essayaient au maniement des outils et à la posture debout (-3,6 millions d’années), fleuves et glaciers sculptèrent le plateau suisse, modelèrent gorges et vallées, déposèrent des moraines, formèrent des lacs, plantant ainsi le décor de tout ce qui allait se dérouler par la suite dans ce coin du globe…

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