
Un 1er août à Helsinki
En 1975, le jour de la fête nationale suisse, le président de la Confédération Pierre Graber signa dans la capitale finlandaise Helsinki l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). Un signe de détente en pleine guerre froide.
«Le 1er août 1975 est peut-être le meilleur qu’on ait vu depuis longtemps», titra la Tribune de Genève au sujet de la cérémonie de signature de cette charte, que le quotidien interpréta comme un signal du Conseil fédéral en faveur d’une plus grande ouverture au monde de la Suisse et d’un engagement accru dans le domaine de la politique étrangère. L’Acte final d’Helsinki constitue en effet un document extraordinaire. Le fait qu’en pleine guerre froide, les représentants de tous les États européens de l’Ouest et de l’Est, y compris l’Union soviétique, ainsi que les États-Unis et le Canada, se réunissent autour d’une table pour proclamer leurs valeurs communes et s’engager à respecter les mêmes règles n’allait pas de soi.
Un groupe de travail des affaires étrangères mandaté par le Conseil fédéral supposa également que la proposition de Moscou avait avant tout une visée de propagande. Ses membres estimèrent que les Russes voulaient se poser comme les artisans de la paix, consolider le statu quo en Europe de l’Est, semer la discorde parmi leurs adversaires et faire obstacle à une trop grande concentration économique à l’Ouest. «Une grande méfiance est donc justifiée», avertirent les diplomates. Les mois qui suivirent montrèrent qu’en dépit du scepticisme ambiant, il existait un intérêt de principe pour l’organisation d’une conférence. À l’Ouest comme à l’Est, les gouvernements espéraient pouvoir améliorer la situation sur le continent en débattant de questions de sécurité multilatérales. Dans ce contexte, les revendications des membres des Communautés européennes, de l’OTAN ainsi que des États neutres et non alignés divergeaient sur certains points, et même le bloc de l’Est semblait moins monolithique que ce que l’on imaginait.
Les premières déclarations d’intentions des capitales européennes, de la Bretagne au Bosphore en passant par la mer de Barents, furent suivies par deux ans de conversations et de consultations exploratoires. Le ministre suisse des affaires étrangères et ses hauts fonctionnaires prirent également part à ces séries de visites et intensifièrent les réceptions de fonctionnaires étrangers à Berne, tandis que leurs propres déplacements à l’étranger atteignirent une fréquence inouïe selon les critères helvétiques de l’époque. Les échanges avec les autres États neutres furent les plus soutenus: «les points de vue de la Suède et de l’Autriche rejoignent en grande partie les nôtres». Parallèlement, les échanges de vues inédits avec les pays d’Europe de l’Est de l’autre côté du «rideau de fer» s’avérèrent eux aussi étonnamment fructueux pour la diplomatie suisse.
Six mois pour établir l’ordre du jour
L’influence de la Suisse sur les négociations
«En effet, c’est la première fois que se trouvent réunis les dirigeants de tous les pays membres de la famille européenne», déclara le président de la Confédération Pierre Graber le 30 juillet dans son allocution devant les chefs d’État et de gouvernement rassemblés au Palais Finlandia. «À première vue, nous devons le dire, les résultats paraissent modestes. Ils ne répondent certainement pas aux espoirs que certains avaient nourris», releva Graber d’un œil critique. «Et pourtant! Que des sujets aussi délicats aient pu être abordés et discutés en toute franchise, au niveau diplomatique, entre pays à systèmes politiques, économiques et sociaux différents, est déjà en soi un élément positif. Et le fait que les mêmes pays aient pu se mettre d’accord sur des textes qui ont au moins le mérite d’exister, est un gage supplémentaire d’espoir.»
Dans le contexte de la CSCE, la Suisse, qui à l’époque n’était membre ni de l’ONU, ni des Communautés européennes, put pour la première fois s’impliquer dans des questions centrales et contribuer à forger une politique paneuropéenne en tant qu’acteur autonome et respecté de tous. La CSCE marque un renoncement à l’idée du Sonderfall («cas particulier») helvétique selon laquelle la Suisse occuperait une position particulière, et donc le véritable début d’une normalisation de sa politique étrangère. Dans les années 1996 et 2014, le pays assuma un rôle central à la présidence de l’OSCE. En 2026, la Suisse présidera à nouveau cette organisation.
L’OSCE pourra peut-être un jour redevenir l’un des instruments d’une politique de sécurité paneuropéenne basée sur l’égalité de tous les États. Dans ce cas, ce 1er août il y a 50 ans aura vraiment été l’un des meilleurs qu’on ait vu depuis longtemps.
Recherche collaborative

Le présent texte est le fruit d'une collaboration entre le Musée national suisse et le centre de recherche Documents diplomatiques de la Suisse (Dodis). Inspiré par le 50e anniversaire de l'Acte final de la CSCE à Helsinki et la présidence suisse de l'OSCE en 2026, Dodis mène actuellement des recherches pour deux publications sur l'histoire de la CSCE/OSCE. Les documents cités dans le texte et de nombreux autres dossiers sur le sujet sont disponibles en ligne.


