Des pois secs à la place de lingots d’or
Peu avant la fin de la guerre, le ministère allemand des Affaires étrangères transféra de grandes quantités d’or de Berlin à la légation allemande de Berne. Quelques heures après la capitulation, les coffres étaient vides. La chasse au trésor de Berne commença alors. En vain.
À la demande du Département politique fédéral, le Conseil fédéral prit le 8 mai 1945 la décision suivante:
Etant donné les événements militaires et politiques d’ampleur mondiale, le Conseil fédéral peut désormais reconnaître qu’il n’existe plus de Gouvernement du Reich officiel. […] Les représentations allemandes en Suisse doivent fermer et leurs locaux et archives officiels doivent être remis en mains sûrs à un futur successeur juridique du Gouvernement du Reich, qui n’est plus reconnu.
Afin que cela se déroule sans heurts étant donné la capitulation de l’Allemagne, le Ministère public de la Confédération ordonna dès la veille de manière confidentielle la réquisition et le scellé des bâtiments de la légation allemande des rues Willadingweg et Elfenstrasse à Berne par le Département politique fédéral le 8 mai à 14 heures, avec la protection de la police. L’inventaire des locaux qui eut lieu par la suite dévoila que les dernières heures du Reich allemand furent consacrées à l’élimination de grandes quantités de papier dans les installations de chauffage et à la suppression de toute trace des plaques tournantes d’or et d’argent nécessaires à la guerre dans les chambres fortes. L’inventaire du Ministère public de la Confédération rédigé après l’ouverture des armoires en acier rapporte sobrement:
une boîte avec des effets de déménagement, une boîte en fer contenant de l’huile, une autre boîte constituée uniquement de denrées alimentaires, conserves, etc., un carton contenant des pois secs portant l’inscription suivante: Directeur général Schroeder, Berlin W8, ministère des Affaires étrangères.
Ce qu’il restait en cet après-midi du 8 mai de plusieurs années d’activité extraterritoriale était le résultat soigné de semaines de mesures visant à faire disparaître les preuves à charge, les appareils de décodage, l’argent liquide et avant tout une quantité astronomique d’or. Un télégramme du procureur général de la Confédération Werner Balsiger adressé à la police du canton de Berne prouve que cette agitation autour de la légation n’est pas restée secrète:
Nous vous communiquons qu’en cas de transport de l’or par le ministre Köcher ou un autre fonctionnaire extraterritorial, aucune intervention policière ne doit être menée. Au contraire, il convient, pour des raisons informatives, de suivre le véhicule et de déterminer où l’or est transporté.
Alors que cela faisait longtemps que plus aucune note de protestation ne risquait d’être envoyée par Berlin et que le personnel diplomatique allemand en Suisse, dirigé de 1937 à 1945 par Otto Carl Köcher, était principalement occupé à prendre des mesures pour l’«après», la justice fédérale n’osa à aucun moment sortir de la couverture de son rôle d’observateur avant l’«heure zéro». La tête de la diplomatie helvétique entretint cette attitude et écrivit dans une note interne datant de fin avril:
La Suisse, qui a reconnu le régime d’Hitler et a entretenu avec lui des relations diplomatiques, se trouvera dans un dilemme lorsqu’il s’agira de décider comment dissoudre cette relation. Toutefois, il sera peu opportun de rompre les relations avec Hitler avant que les alliés ne déclarent la cessation de la guerre en Europe.
C’est ainsi qu’à Berne, durant la nuit du 7 au 8 mai 1945, plusieurs transports par automobile entre la légation allemande et japonaise purent être réalisés en toute tranquillité. Mais l’encre sur la déclaration de capitulation était à peine sèche que la chasse au trésor bernois commença. Karl Höbenstreit, gardien de longue date de la légation, se trouvait au cœur des enquêtes du Ministère public de la Confédération.
«Depuis début avril, j’ai remarqué qu’une à deux fois par semaine, de l’or était acheminé en voiture de Constance à la légation. Le poids de ces petites boites, au nombre d’environ 15 selon mes estimations, variait entre 20 et 30 kg. Elles portaient l’inscription suivante: Expéditeur – Ministère des Affaires étrangères, Berlin.»
Plus tard, on supposa qu’il avait pu s’agir d’une partie des capitaux des fonds secrets disponibles du Ministère des Affaires étrangères allemand, que le ministre Köcher mit en sécurité avec sa voiture de fonction. Mais ce n’était pas tout. Les coffres du 78 rue Willadingweg reçurent également de l’or par transport ferroviaire: «Jeudi 19 avril au soir, environ 1500 kg de colis sont arrivés à la gare de Berne», inscrivit Karl Höbenstreit dans le compte-rendu. «Il s’agissait de sacs dans lesquels se trouvaient des harasses qui contenaient de la paille, et au centre une petite boîte renfermant de l’or. Les sacs étaient plombés. […] Je devais seulement déballer les sacs et placer les harasses dans le coffre, sans les ouvrir.» Lorsqu’on lui demanda s’il savait où l’or avait été emmené, le très occupé gardien répondit: «Non. J’avais beaucoup à faire en raison de l’incinération des dossiers et n’ai par conséquent pas toujours pu voir ce qui était transféré dans le coffre, ou ce qui en était retiré.»
Trois ans plus tard, les enquêteurs avançaient encore à tâtons. Les déclarations des témoins restaient vagues ou se contredisaient. On parle aujourd’hui également de bijoux et d’une valeur totale de plus de dix millions de francs suisses; l’argent que d’éminents nazis auraient pu aider à cacher. Otto Carl Köcher, qui avait grandi à Bâle, fut arrêté par les Américains alors qu’il quittait la Suisse le 31 juillet 1945. Eux aussi étaient à la recherche de l’or de la légation bernoise, puisqu’en tant que puissance victorieuse, ils prétendaient à une part. Et le ministre Köcher? Il fut interné dans le centre de détention et se donna la mort le 27 décembre.