
Fortune à l’Est
La guerre de Trente Ans, qui décima l’Europe, n’épargna pas la Suisse, restée pourtant en dehors du conflit. Elle entraîna une émigration importante, vers le Nord mais aussi vers l’Est. Une décision qui fit la fortune de certains, parmi lesquels le batteur dְ’or Heinrich Schlatter.
En 1665, le père du petit Heinrich, meunier de son état, se fit en plus tailleur de pierres pour subvenir aux besoins de sa famille. La tâche était ardue: le prix de la nourriture augmentait rapidement, obligeant de plus en plus de personnes à s’endetter. De plus, la population de la Suisse, à la différence des pays touchés par la guerre, était nombreuse, ajoutant un poids supplémentaire au fardeau de la société. On ne s’étonnera donc pas que dans les années qui suivirent le conflit, des milliers de Zurichois, de Bernois et de Schaffhousois aient migré dans le sud-ouest de l’Allemagne. Des années auparavant, cette région avait perdu un tiers de ses habitants, victimes des horreurs de la guerre et des famines qui en découlèrent.
Une profession rare et recherchée
Cependant, la division confessionnelle de l’Europe, qui connut un premier pic au XVIe siècle avec les rébellions huguenotes et l’expulsion de ces croyants dans les territoires à majorité protestante, remit fortement en question le monopole de ces deux villes dans le domaine de la fabrication de feuilles d’or.
Les guildes d’artisans de l’Est critiquaient en effet la montée fulgurante des concurrents protestants bien formés. Dans ce contexte, Heinrich, son frère Jakob et 22 autres jeunes hommes décidèrent de poursuivre leur route. C’est ainsi qu’ils arrivèrent à Berlin, en 1687. Là, la vie économique reprenait des couleurs depuis l’accession au pouvoir du prince Frédéric Guillaume, au milieu du XVIIe siècle. Peu après son arrivée dans la ville allemande, Heinrich Schlatter épousa la «fille Catharina Typken». Il dirigeait par ailleurs une manufacture de broderies d’or et d’argent et une affaire d’accessoires de mode, deux activités suffisamment lucratives pour lui permettre de pourvoir aux besoins de sa femme et de leurs neuf enfants.
Aux ordres du tsar
Notre héros assuma des fonctions de haut fonctionnaire au sein de la toute récente École des mines. Son fils Johann Wilhelm, ou «Ivan Andreïevitch Slater», comme on l’appelait dans son nouveau pays, apprit le russe et révéla très vite des aptitudes en tant qu’ingénieur minier. Il fut le premier à rédiger en russe un livre sur l’exploitation des mines, bientôt suivi d’autres écrits sur le même sujet, salués par les connaisseurs. La famille Schlatter demeura en Russie. Il semble qu’elle avait trouvé sa fortune dans l’exil.


