
Le droit inégal au travail
Dans les années 1930, l'emploi des femmes est également combattu en Suisse. Les campagnes à double revenu ont tenté de se débarrasser de la concurrence féminine.
Concurrence qualifiée
Les syndicalistes et les sociaux-démocrates partagent avec les adversaires du double revenu, autoproclamés conservateurs, la vision traditionnelle idéalisée de l’homme qui nourrit sa famille. Ils s’en servent pour qualifier le salaire des femmes mariées d’accessoire. Les campagnes contre le double revenu ne ciblent jamais les hommes qui exercent une activité lucrative, mais elles ne pointent pas non plus du doigt le travail des femmes mariées dans les usines, dans les exploitations artisanales et dans les fermes. Car si le salaire d’une ouvrière et la contribution des femmes dans la sphère privée servent incontestablement à subvenir aux besoins de la famille, l’argent gagné par une enseignante ou une fonctionnaire mariée symbolise au contraire le luxe. Ces femmes, qui sont perçues comme des personnes prises en charge du fait même de leur statut marital, devraient à ce titre laisser leurs emplois publics bien payés à des hommes ayant une famille à charge.
Des mesures efficaces
Sur le plan national, il ne s’avère pas nécessaire de durcir le dispositif légal durant la période de l’entre-deux-guerres. Pourtant, les campagnes contre le double revenu produisent des résultats. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Conseil fédéral souligne vouloir « veiller à ce que le nombre de cas continue à baisser […] et à ce que les situations particulièrement frappantes, disparaissent. » Rapidement, il peut se targuer de voir reculer la part de femmes employées dans les entreprises de la Confédération. Sur onze employés masculins, il n’y a désormais qu’une femme. En 1933 déjà, on ne recense plus que 82 cas où les deux époux sont employés fédéraux, sur un total de 32 000 fonctionnaires. Les quelque 500 couples travaillant pour le compte des Chemins de fer fédéraux ne sont pas considérés comme problématiques, dans la mesure où la majorité des femmes accomplissent un travail rudimentaire de garde-barrière mal payé. Même dans le secteur privé, la proportion de femmes exerçant une activité lucrative baisse de 44,6 % à 35,5 % entre 1920 et 1941.
Le célibat dans le domaine de l’éducation
Dès 1929, l’Association internationale pour le suffrage féminin s’élève contre toutes ces restrictions qui discriminent les femmes en lançant une résolution, et, dans les années 1930, l’Alliance de sociétés féminines suisses constitue une commission chargée d’étudier les conséquences de la crise sur les femmes exerçant une activité lucrative.
Ses études, ses statistiques et ses conférences restent cependant sans portée véritable alors que le combat politique orchestré contre le double revenu provoque des effets durables. Il ne se limite pas seulement à écarter sans délai des femmes qualifiées de la vie professionnelle, mais il a aussi des conséquences négatives à long terme sur le comportement des Suissesses en matière d’activité professionnelle et de rémunération. Découragées par les polémiques contre le travail féminin et étouffées par le carcan des conceptions idéalisées du rôle de la mère et de la femme au foyer, des femmes encore jeunes vont revoir à la baisse leurs ambitions professionnelles, voire y renoncer purement et simplement, bien au-delà de la fin de la Seconde Guerre mondiale.


