Transfert d’appels manuel à la Centrale du Stand de Genève en 1923.
Archives des PTT, Tele_167_0069

Ne quittez pas! L’automatisation des centraux téléphoniques

Le 3 décembre 1959, les PTT remplaçaient le dernier central manuel de Suisse par un central entièrement automatique. Cette prouesse technologique novatrice scella également la fin de la «demoiselle du téléphone».

Luca Thanei

Luca Thanei

Luca Thanei est historien, spécialiste de l’histoire des techniques.

L’automatisation du transfert d’appels débuta en Europe peu après le tournant du siècle. Ce sont les Administrations impériales des télégraphes d’Allemagne et d’Autriche qui, au début du XXe siècle, équipèrent pour la première fois leurs centraux de sélecteurs rotatifs automatiques. En automatisant partiellement le transfert d’appels, elles voulaient répondre à la croissance fulgurante du nombre d’appels téléphoniques sur leurs réseaux. Comme dans les pays voisins, le nombre de communications téléphoniques augmenta brusquement en Suisse au début du siècle. L’«Administration fédérale des Télégraphes et des Téléphones» de l’époque a donc été amenée à renouveler et à étendre progressivement ses centraux téléphoniques manuels et à les adapter aux nouvelles technologies de commutation. Le premier central téléphonique semi-automatique de Suisse fut mis en service à Zurich-Hottingen en 1917.

Après les premières expériences de transfert d’appels semi-automatique sur le réseau local de Zurich et compte tenu de la croissance rapide et continue des communications téléphoniques, l’Administration fédérale des Télégraphes et des Téléphones décida en 1920 d’automatiser entièrement le transfert d’appels dans l’ensemble des grandes villes. Les centraux téléphoniques de Zurich, Lausanne, Genève, Berne et Bâle, notamment, devaient, le plus rapidement possible, fonctionner de manière entièrement automatique. Le premier central téléphonique entièrement automatique de Suisse fut mis en service à Lausanne le 29 juillet 1923. Un an plus tard, le central de Genève – Mont-Blanc était également équipé d’un système de transfert d’appels entièrement automatique. Saint-Gall – Winkeln suivit en 1925 et Zurich – Hottingen commença également à fonctionner de manière entièrement automatique en 1926. Les économies de personnel dans le transfert d’appels et l’infatigable fiabilité des sélecteurs rotatifs entraînèrent au cours des trois décennies suivantes l’abandon progressif des centraux manuels également sur tous les autres réseaux locaux de Suisse.

À la fin des années 1920, la nouvelle Entreprise des postes, téléphones et télégraphes suisses (PTT) décida de mettre en place les «indicatifs de ville» pour permettre le transfert d’appels automatique non seulement sur les réseaux locaux, mais aussi entre les différents réseaux. Tandis que les liaisons téléphoniques vers un autre réseau local devaient auparavant être transférées par deux opératrices (sur le réseau de l’appelant et sur celui de la personne appelée), les abonnés pouvaient désormais établir eux-mêmes certaines communications téléphoniques interréseaux. La première liaison téléphonique entièrement automatique avec indicatif de ville a été établie le 29 mars 1930 entre les réseaux locaux de Berne et de Bienne. La même année, les abonnés purent également passer eux-mêmes des appels téléphoniques entre Bâle et Zurich. Dans la mesure où les liaisons par le biais d’«indicatifs de ville» fonctionnèrent d’emblée parfaitement, il fallait s’attendre à ce que le transfert d’appels automatique soit mis en place aussi tôt ou tard pour des communications entre des réseaux locaux des zones rurales.

En 1917, des sélecteurs rotatifs étaient installés pour la première fois en Suisse, à Zurich-Hottingen. Le transfert d’appels était effectué désormais de manière semi-automatique.
Archives des PTT, T-00-C_Tele_184_0001

Des opératrices en plein travail devant un système de transfert d’appels semi-automatique à Porrentruy en 1925.
Archives des PTT, Tele_179

Transfert d’appels manuel à la Centrale du Stand de Genève. Date inconnue.
Archives des PTT, Tele_167_0069

Opératrice au central téléphonique d’Hottingen en 1953.
Musée national suisse

Ce fut effectivement assez vite le cas: au cours des deux décennies suivantes, l’automatisation croissante des centraux téléphoniques modifia profondément la structure du réseau téléphonique suisse. Disons pour simplifier que les PTT souhaitaient qu’autant d’appels que possible puissent être passés par un minimum de lignes téléphoniques. L’automatisation rapide des centraux téléphoniques a considérablement facilité la réalisation de cet objectif. En effet, alors qu’en mode manuel, chaque central téléphonique d’un «réseau maillé» devait être connecté 0directement à de nombreux autres centraux, les appels transférés automatiquement pouvaient être regroupés sur des nœuds avant d’être transmis à leurs destinataires. Une fois automatisé, un tel transfert d’appels centralisé fonctionnait 24 heures sur 24 et moyennant des coûts d’exploitation considérablement réduits. Après le succès des premiers «indicatifs de ville», les efforts des PTT, dans le domaine de l’automatisation, visèrent donc à réduire le nombre de lignes, à regrouper les transferts d’appels sur des nœuds de plus en plus gros et à faire des économies de personnel dans les centraux. C’est ainsi qu’un réseau automatisé en étoile vit le jour qui, lorsque son automatisation fut achevée, le 3 décembre 1959, comptait environ un million de raccordements.

Sur un réseau maillé, des centraux manuels sont raccordés directement avec le plus grand nombre possible d’autres centraux.
Archives des PTT, FC_2140

Sur un réseau en étoile, des centraux entièrement automatisés sont reliés par le biais de nœuds spécifiques.
Archives des PTT, FC_2140

Dans les archives des PTT à Köniz figurent des sources datant des années 1930 et 1940 qui révèlent que peu de temps avant d’être licenciées ou mutées en raison de l’automatisation, les opératrices ont dû apprendre aux abonnés à utiliser leurs téléphones désormais équipés de cadrans (ouvrir le fichier PDF). De nombreuses opératrices durent aller de maison en maison pour rassurer les abonnés et les aider à se servir de leurs nouveaux téléphones. Ces derniers avaient, en effet, tout simplement cessé de téléphoner après l’automatisation des centraux téléphoniques locaux. Ils avaient peur de commettre des erreurs de manipulation. Sur d’autres réseaux, les opératrices durent organiser des «Formations publiques pour abonnés à des réseaux automatiques», parfois avec des projections de films. En fonction de la météo et de l’avancement des travaux de récolte, ces formations étaient plus ou moins bien fréquentées. L’office des téléphones de Coire attribua même le manque d’intérêt des abonnés pour ces formations utiles à la «nature des Grisonnes et des Grisons». Nelly Iseli-Dällenbach raconte de première main dans le projet d’histoire orale des archives des PTT les difficultés rencontrées par les abonnés dans le maniement de leurs nouveaux téléphones. Les opératrices subitement licenciées ou mutées en réponse à l’automatisation et le rôle important d’intermédiaires qu’elles ont joué entre la nouvelle technologie et la majorité de la population, méritent toute notre considération.

Dans le projet d’histoire orale des archives des PTT, des employés de l’ancienne entreprise fédérale des PTT parlent de leur quotidien professionnel de l’époque, dont on trouve encore des traces aujourd’hui. Madame Iseli-Dällenbach également, qui commença à travailler comme opératrice aux PTT en 1930 et vécut donc les débuts de l’automatisation des centraux téléphoniques.
oralhistory-pttarchiv.ch/fr

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