
La déferlante des ondes
Les ondes électromagnétiques sont devenues un sujet de préoccupation majeure. 5G, wi-fi, valeurs limites d’exposition ou pollution électromagnétique sont autant de termes qui enflamment le débat actuel. Pourtant, ce scepticisme remonte à des décennies.
À l’époque, ce phénomène ne préoccupe personne, le nouvel appareil suscitant une euphorie sans pareille. Alors, à partir de quand a-t-on commencé à craindre que les signaux radio n’aient des effets néfastes sur la santé? Cette recherche de traces se concentre d’abord sur les manifestations ou les perceptions provoquées par les champs électromagnétiques (rayonnements non ionisants) provenant des émetteurs ou des antennes radio. Pour recontextualiser les lignes qui suivent, précisons que, jusque dans les années 1970, la radioactivité (rayonnements ionisants), clairement nocive, n’était pas un sujet de préoccupation particulier. Ainsi, dans les années 1960, environ 850 «fluoroscopes à chaussures» sont utilisés en Suisse pour vérifier l’ajustement des souliers aux rayons X, directement en magasin. Les cadrans de montres fluorescents au radium permettent de lire l’heure dans l’obscurité et les matériaux radioactifs autoéclairants sur les instruments militaires assurent l’efficacité de l’armée suisse, même de nuit.
Lors de la découverte du rayonnement cosmique ionisant (prix Nobel décerné à Viktor Franz Hess en 1939), les périodiques germanophones évoquent à nouveau le «rayonnement mortel». Ce terme, utilisé pour désigner aussi bien les radiations naturelles qu’artificielles, témoigne de la fascination pour la nouveauté et de la peur de l’invisible et de l’inexpliqué.
La position de Steiner vis-à-vis des télécommunications n’est donc pas clairement réactionnaire: il reconnaît également les avantages des nouvelles technologies. Cependant, l’anthroposophie actuelle peut tout à fait s’appuyer sur les écrits de son gourou de jadis pour asseoir sa vision critique des champs électromagnétiques.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les émetteurs nationaux en Suisse et à l’étranger sont considérés comme des canaux d’information sérieux et font partie de la défense spirituelle du pays. Des années 1940 aux années 1960, on trouve peu d’articles de presse critiques au sujet des installations émettrices. Pourtant, à cette époque, la question des champs électromagnétiques est de plus en plus présente dans la conscience collective. Les équipements électriques dans les foyers et les entreprises deviennent abordables et gênent souvent la réception des ondes radio, puis, plus tard, télévisuelles. Machines à laver, mixeurs et sèche-cheveux en fonctionnement, voire rames de tramway passant à proximité transforment une agréable session d’écoute radiophonique en véritable supplice.
L’association «Pro Radio» («Pro Radio Télévision» à partir de 1958), fondée en 1933 et financée par les PTT, la SSR, les fabricants et les distributeurs de radios ainsi que l’industrie de l’électricité, se saisit du problème. Des projections de films et des expositions se livrent à un travail d’information et la publication de prescriptions techniques œuvrent de manière préventive contre les perturbations. En outre, un «camion de promotion et de dépannage avec semi-remorque» sillonne les routes de Suisse à partir de 1949. Il transporte des électriciens spécialisés, qui dépannent les équipements, même dans les régions montagneuses reculées. Le service est très demandé. Selon les statistiques de l’association, on dénombre entre 1936 et 1983 plus de 300 000 «dépannages».
À Schwarzenburg, les PTT diffusent le programme de «Radio Suisse Internationale», initialement conçu pour les Suisses de l’étranger. Une première vague de protestation massive est documentée au milieu des années 1980. En juin 1986, 121 personnes adressent au conseil communal de Wahlern (BE) une pétition pour déplorer le dysfonctionnement de trayeuses, de ventilations, d’ordinateurs et de systèmes de réglage de chauffage, d’après le Freiburger Nachrichten. En novembre de la même année, le journal fait état de premières réclamations d’habitants en lien avec la santé, notamment des maux de tête, des troubles du sommeil, des troubles nerveux et de perpétuels «picotements dans certaines parties du corps». Les plaintes des riverains et les articles de presse effraient les PTT. Au début, le groupe public évalue la possibilité de s’implanter sur d’autres sites dans le Grand-Marais et dans le canton de Vaud. Le projet échoue: personne ne veut d’un émetteur à ondes courtes sur le pas de sa porte. La société présente alors dès 1987 un plan de rénovation de l’installation émettrice ainsi qu’un budget pour les travaux de dépannage, et prévoit à cet effet plusieurs millions de francs suisses.
Ces efforts peuvent aujourd’hui sembler amusants. Ainsi, les PTT proposent de remplacer par un modèle mécanique une machine à coudre électronique haut de gamme à l’éclairage défectueux. En matière de dépannage, l’entreprise possède cependant une solide expérience et combat habilement la technique par la technique.


Démolition de l'ancien émetteur national de Sottens. YouTube / RTS
Hans-Ueli Jakob, figure incontournable du mouvement de protestation contre l’émetteur à ondes courtes de Schwarzenburg, conclut en décembre 2021 dans le journal Der Bund que beaucoup ne se préoccupent pas du problème «jusqu’à ce qu’une antenne soit installée devant leur clôture». Martin Röösli, professeur en épidémiologie environnementale à Bâle, s’oppose à cet argument dans le périodique bâlois: «N’avoir aucune antenne à proximité et utiliser un téléphone portable constitue le meilleur moyen de maximiser l’exposition aux radiations.» Contrairement aux récepteurs radio, les téléphones sont aussi des émetteurs. Malheureusement, de nombreux débats ont depuis longtemps quitté la sphère concrète, ce qui s’explique probablement en partie par la complexité du sujet. Même les spécialistes répondent rarement oui ou non à des questions simples, telles que «les champs électromagnétiques des installations émettrices et de la téléphonie mobile sont-ils nocifs pour la santé?» Il nous faut nous contenter d’une évaluation multilatérale des risques. Si l’on peut aisément peser le pour et le contre, il est cependant difficile d’imaginer de se passer des avantages d’un smartphone.


