Les étuis à couteaux du fondeur de bronze romain Gemellianus étaient des souvenirs appréciés des visiteurs d'Aquae Helveticae, aujourd'hui Baden, aux II et IIIe siècle après J.-C.
Les étuis à couteaux du fondeur de bronze romain Gemellianus étaient des souvenirs appréciés des visiteurs d'Aquae Helveticae, aujourd'hui Baden, aux II et IIIe siècle après J.-C. © Histoire de la ville de Baden/Ikonaut

Les bains de Baden – le premier «hot(s)pot touris­tique» de Suisse

Les sources chaudes de Baden en Argovie étaient la destination des personnes en quête de repos, bien avant que la Suisse n'attire les touristes en nombre. Le premier souvenir de suisse, des hôtes célèbres et de nombreux récits de voyages contribuèrent à forger la réputation mondiale de cette ville thermale.

Andrea Schaer

Andrea Schaer

Andrea Schaer est archéologue, historienne de la culture et auteure indépendante.

Les voyages et le tourisme tels que nous les connaissons aujourd'hui sont une «invention» du début du XIXe siècle. Mais avant cela déjà, les gens quittaient leur lieu d'habitation pour se rendre quelques jours ou semaines à un endroit qui leur promettait repos, renouveau, échanges sociaux et distraction: les bains thermaux. Ceux de Baden, au bord de la Limmat, demeurèrent parmi les plus célèbres pendant des siècles.

Un souvenir d'Aquae Helveti­cae

Les Romains avaient déjà construit de grandes installations thermales près des sources chaudes de 47° C, dans le coude de la Limmat. Aquae Helveticae (en latin, «le bain thermal dans la région de l'Helvétie»), devint bientôt une ville thermale et destination appréciées. Le politicien et historiographe Publius Cornelius Tacitus (de 58 à 120 env. après J.-C.) décrivit ainsi le lieu: locus, amoeno salubrium aquarium usu frequens, soit «une petite ville charmante très fréquentée pour ses sources thermales». Les gens des régions proches comme lointaines, mais aussi des soldats, officiers et fonctionnaires de passage ou en congé se rendaient aux thermes d'Aquae Helveticae. On peut supposer que les membres des familles importantes de la cité helvétique appréciaient eux aussi la vie tranquille et l'oisiveté – l'otium – qu'offrait ce lieu thermal au bord de la Limmat. Ces hôtes laissèrent toutefois peu de traces archéologiques concrètes renseignant sur leur origine et le motif de leur séjour à Aquae. Les étuis à couteaux du fondeur de bronze Gemellianus sont sûrement les tout premiers souvenirs de Suisse et témoignent de la popularité de ces bains au bord de la Limmat. Divers modèles de ferrures préservées de style celtique portent le nom de leur fabricant et de leur lieu de production. Ils indiquent le nom Aquae Helveticae et témoignent probablement de la notoriété du lieu thermal dans l'Empire romain. Des couteaux de Gemellianus furent retrouvés en Grande-Bretagne et au bord de l'Euphrate – ils étaient si appréciés qu'ils furent reproduits et contrefaits!
Les étuis à couteaux du fondeur de bronze romain Gemellianus étaient des souvenirs populaires aux II et IIIe siècle après J.-C. Ici, on voit un fragment original et une réplique.
Les étuis à couteaux du fondeur de bronze romain Gemellianus étaient des souvenirs populaires aux II et IIIe siècle après J.-C. Ici, on voit un fragment original et une réplique. © Historisches Museum Baden

Voir et être vu là où se retrouvent les personnes de pouvoir

Au Moyen Âge et jusqu'au XVIIe siècle, Baden était un lieu de rencontre apprécié des personnes de pouvoir. On suppose que les comtes de Lenzbourg – qui aménagèrent les bains aux XI et XIIe siècles – et, après eux, les ducs et rois Habsbourg, passèrent régulièrement quelques semaines à Baden durant les mois d'été. La tradition du rendez-vous estival des personnes de pouvoir se poursuivit sous les Confédérés et jusqu'au XVIIe siècle. Les visites d'hôtes de haut rang tels que la comtesse Éléonore d'Écosse (1433-1480) ou le pape Martin V (1368-1431) étaient la meilleure publicité possible pour ce lieu thermal. Qui voulait ou devait rencontrer des têtes couronnées – princesses, princes, émissaires ou encore pétitionnaires – se rendait aussi au bord de la Limmat. Suivaient tous ceux qui souhaitaient tirer avantage d'un séjour passé aux côtés de ces personnes éminentes. Et même ceux qui voulaient simplement briller sous l'éclat des personnes de pouvoir et profiter du luxe et des distractions qu'offrait le lieu – ou du moins les admirer – se rendait également à Baden.

Pas moins que le jardin d'Éden!

À partir du XVe siècle, de nombreux récits de voyage et des médecins contribuèrent à étendre la réputation de Baden au reste du monde. C'est en quelque sorte le secrétaire apostolique et grand humaniste Le Pogge (1380-1459) qui marqua le début de cet engouement, en comparant dans une lettre les bains à un jardin d'Éden rempli de gens heureux, après un séjour à Baden en 1416. Le texte de Le Pogge se répandit rapidement en Europe et fut un véritable document publicitaire – dont on observe aujourd'hui encore les effets – pour Baden. C'est ainsi qu'elle devint l'idéal absolu de la cité thermale au bas Moyen Âge.
L'humaniste florentin Le Pogge rédigea en 1416 une lettre qui devint un véritable document publicitaire pour Baden.
L'humaniste florentin Le Pogge rédigea en 1416 une lettre qui devint un véritable document publicitaire pour Baden. Historisches Museum Baden
Les descriptions des bains par d'éminents érudits tels que le Zurichois Felix Hemmerli (1388/89-1458/61) et des médecins renommés comme Heinrich Pantaleon (1522-1595), recteur de l'université de Bâle, ne portaient pas uniquement sur les bienfaits de l'eau thermale de Baden, mais également de manière détaillée, dans le style d'un guide de voyage, sur le lieu, ses installations, ses particularités et autres commodités. Les récits de voyage du philosophe français et politicien Michel de Montaigne (1533-1592) et de l'Anglais Thomas Coryate (1577-1617) consolidèrent la réputation de Baden comme destination hors du commun et cité thermale à la mode à l'époque. Les célèbres hôtes et les nombreux louanges prodigués à Baden et à ses eaux thermales attirèrent des voyageurs en foule de toute l'Europe.
Baden et ses bains au premier plan, vers 1620/1630. Eau-forte de Matthäus Merian.
Baden et ses bains au premier plan, vers 1620/1630. Eau-forte de Matthäus Merian. Musée national suisse
Les hôtes des établissements thermaux arrivent à Baden en bateau. Sur les rives de la rivière, les hôtes se divertissent en jouant et en discutant. Eau-forte de Johann Melchior Füssli, 1732
Les hôtes des établissements thermaux arrivent à Baden en bateau. Sur les rives de la rivière, les hôtes se divertissent en jouant et en discutant. Eau-forte de Johann Melchior Füssli, 1732 Historisches Museum Baden
Ces voyages donnèrent à la noblesse et à la haute bourgeoisie l'opportunité d'échapper pour quelque temps à leurs obligations et contraintes, et de lier l'utile et la santé à l'agréable, à la convivialité et à l'échange entre personnes partageant des intérêts communs. Un voyage à Baden, ou voyage de santé, était toujours associé au plaisir, car outre les bains thermaux, des distractions telles que des pièces de théâtre, des jeux de société et de hasard, de somptueux banquets et bals attendaient les hôtes. Mais mêmes des personnes moins fortunées pouvaient se rendre dans ces thermes et participer, au moins de loin, aux animations et aux nombreux loisirs qui y étaient proposés. Dans le cadre de la cura corporis, le soin prescrit par les règles des ordres pour le bien-être physique, les membres des ordres religieux avaient droit à des séjours réguliers aux thermes. Les plus démunis et les malades venaient également profiter d'un séjour aux bains, rendu possible grâce à la charité chrétienne de l'Église ou de généreux donateurs. Pour nombre de ces personnes, il s'agissait du seul voyage et de la seule période de repos de leur vie.
L'établissement thermal de Baden avec ses bains publics, le bain extérieur en arrière-plan et le bain St. Verena au premier plan; c'est là que les hôtes nécessiteux et les moins fortunés passaient leur séjour thermal. Aquatinte de Heinrich Keller, 1805.
L'établissement thermal de Baden avec ses bains publics, le bain extérieur en arrière-plan et le bain St. Verena au premier plan; c'est là que les hôtes nécessiteux et les moins fortunés passaient leur séjour thermal. Aquatinte de Heinrich Keller, 1805. Historisches Museum Baden

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