Premier cuisinier vedette de l’Histoire, Martino da Como était en réalité originaire de Blenio. Illustration de Marco Heer.
Premier cuisinier vedette de l’Histoire, Martino da Como était en réalité originaire de Blenio. Illustration de Marco Heer.

Le premier Top Chef de l’Histoire

Originaire d’un village de montagne du Tessin, Maestro Martino fut le premier cuisinier vedette de l’Histoire. Au XVe siècle, il régnait sur les cuisines des riches et des puissants; aujourd’hui, il est considéré comme l’un des pères de la gastronomie italienne!

Andrej Abplanalp

Andrej Abplanalp

Historien et chef de la communication du Musée national suisse.

Il était une fois un jeune garçon qui cuisinait extraordinairement bien. Mais dans son village, au fond d’une vallée reculée, ce talent n’intéressait personne. Les gens de là-bas étaient pauvres et avaient bien d’autres soucis. Le jeune garçon décida donc de partir. Son voyage le mena dans une grande ville où il chercha du travail. Il fut bientôt remarqué par le seigneur du lieu. Et c’est ainsi que ce jeune homme pauvre devint le cuisinier personnel du prince de la ville. C’est peu ou prou ainsi que l’on raconterait l’histoire de Maestro Martino s’il s’agissait d’un conte de fée. Or son histoire est vraie.
Vue aérienne de Grumo, 1954.
Vue aérienne de Grumo, 1954. Photo: thepictures4you.ch
Martino de Rubeis – tel était le nom du jeune Tessinois – naquit vers 1415 dans le hameau de Grumo, dans la vallée Blenio au Tessin. Il s’initia à la cuisine à l’hospice de l’oratoire Santa Maria del Monastero, qui offrait aux voyageurs en transit entre le Nord et le Sud un hébergement pour la nuit, mais aussi des repas variés. C’est là que le jeune garçon développa une passion pour la cuisine et perfectionna ses recettes, bien souvent inspirées par les goûts des pèlerins, des marchands ou des nobles qui passaient par l’hospice. Martino s’installa à Milan vers le milieu du XVe siècle. La ville offrait en effet de meilleures chances d’avenir que sa vallée reculée. Bien meilleures, même, comme il devait vite s’en apercevoir! Le Tessinois fut embauché à la cuisine de la cour ducale des Sforza, famille qui régnait sur Milan. Très vite, les Sforza apprécièrent les plats de Martino qu’ils nommèrent cuisinier en chef. Mais les talents du gastronome tessinois furent également repérés par d’autres. Le cardinal Ludovico Trevisan, notamment, se montra particulièrement intéressé. Ce conseiller papal comptait parmi les hommes les plus puissants du Vatican. À son retour à Rome, il emmena Martino avec lui.
Le cardinal Ludovico Trevisan, portrait d’Andrea Mategna, vers 1459.
Le cardinal Ludovico Trevisan, portrait d’Andrea Mategna, vers 1459. Wikimedia
Là-bas, il ne fut pas le seul à profiter de l’art culinaire de Maestro Martino: les papes Paul II et Sixte IV s’en régalèrent aussi. Bien qu'officieux, ses services auprès du Saint-Siège eurent des répercussions considérables. Dans les couloirs du Vatican, le cuisinier tessinois rencontra un homme du nom de Bartolomeo Sacchi, dit «Platinà», bibliothécaire des papes et érudit versé dans de nombreux sujets. Enthousiasmé par Martino, conquis par ses recettes, il en intégra près de 240 dans son livre intitulé De honesta voluptate et valetudine. Ce livre de cuisine, le premier au monde à être imprimé, parut en 1468, faisant la célébrité de Maestro Martino dans toute l’Europe. Le cuisinier serait sans doute devenu célèbre grâce au livre qu’il signa à peu près à la même période, Libro de arte coquinaria. Mais son ouvrage n’eut pas la gloire mérité, car il n’était pas rédigé en latin mais en langue courante «vulgaire». Platinà et Martino se complétaient donc à merveille, l’un érudit aux solides bases théoriques, l’autre cuisinier d’élite pensant et agissant concrètement.
Platinà à genoux devant le pape Sixte IV. Ce tableau fut peint vers 1477 par Melozzo da Forlì.
Platinà à genoux devant le pape Sixte IV. Ce tableau fut peint vers 1477 par Melozzo da Forlì. Wikimedia
Extrait du premier livre de cuisine du monde, De honesta voluptate et valetudine.
Extrait du premier livre de cuisine du monde, De honesta voluptate et valetudine. Deutsche Digitale Bibliothek
Après de nombreuses années dans les cuisines romaines, Martino retourna à Milan à l’automne de sa vie. Il finit sa carrière au service de Gian Giacomo Trivulzio, un puissant chef militaire franco-italien. On ne sait pas grand-chose de la fin de son existence. Quand mourut-il exactement? Était-il retourné dans la vallée de Blenio? Rien ne permet de répondre avec certitude à ces questions. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que Maestro Martino n’était pas originaire de Côme, comme on le prétend encore parfois aujourd’hui. L’erreur provient sans doute de la plume de son ami Platinà, qui le qualifie dans ses écrits de «Comense», natif de Côme. Pour ne pas dérouter ses lecteurs, sans doute rares à connaître la vallée Blenio? Parce qu’il confondait lui-même Grumo et Côme? Une fois cette «contrevérité» lancée, il devint en tout cas impossible de l’invalider. Et pourtant, le premier grand cuisinier européen venait bien du Tessin. Et même de Grumo, dans la vallée Blenio!

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