Caricature «La toilette d’un clerc de procureur» de 1816: un coiffeur lance un nuage de poudre sur la perruque d’un clerc de procureur.
Caricature «La toilette d’un clerc de procureur» de 1816: un coiffeur lance un nuage de poudre sur la perruque d’un clerc de procureur. Musée Carnavalet, Histoire de Paris

Pouvoir et splendeur des perruques

Elle parachevait toutes les tenues à la mode des époques baroque et rococo: il s’agit bien sûr de la perruque. Devenue tendance à la cour de France d’où elle se propagea dans toute l’Europe, la perruque a longtemps constitué un marqueur social, tant chez les hommes que chez les femmes.

Murielle Schlup

Murielle Schlup

Historienne de l'art et spécialiste de la culture indépendante

Dans l’Antiquité déjà, une grande variété de perruques et autres postiches plus ou moins réalistes étaient portés. Confectionnées en cheveux, poils d’animaux, fibres végétales et herbes, ces imitations ont coiffé femmes et hommes dans de nombreuses cultures en tant qu’accessoire de mode, à des fins de cérémonie ou tout simplement pour dissimuler un début de calvitie. On retrouve aussi bien les perruques en Égypte ancienne que chez les Grecs et les Romains de l’Antiquité. Au Moyen Âge, on portait des calottes de cuir sur lesquelles étaient appliqués des cheveux. Leur fixation laissait toutefois à désirer, entraînant parfois des situations embarrassantes.

Un essor dopé par la syphilis et Louis XIII

À partir du début du XVIe siècle, la calvitie fut de plus en plus considérée comme une tare chez la gent masculine. Un changement de perception que l’on doit notamment à la syphilis qui sévit à cette période: son traitement à base de mercure entraîne en effet une forte perte de cheveux. Les longues chevelures luxuriantes devinrent toujours plus synonymes de santé, de vitalité et de virilité. Les cheveux naturels du roi de France Louis XIII (1601–1643) étaient déjà considérablement plus longs que ceux de son père.
Le roi de France Louis XIII en 1622, arborant une «coiffure à la comète», où la chevelure de l’arrière de la tête est ramenée sur un côté. Dessin de Daniel Dumonstier.
Le roi de France Louis XIII en 1622, arborant une «coiffure à la comète», où la chevelure de l’arrière de la tête est ramenée sur un côté. Dessin de Daniel Dumonstier. RMN – Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda
Souffrant d’alopécie précoce pour cause de maladie, il se mit cependant très tôt à porter une perruque noire lui arrivant jusqu’aux épaules. Encore très simple, celle-ci se composait de trois grandes portions de cheveux attachées entre elles. Ce type de perruque s’imposa rapidement au sein de l’aristocratie comme un symbole de dignité, de pouvoir et d’élégance. Le port de la perruque perdit soudainement sa connotation négative pour refléter un style de vie distingué et raffiné. L’accessoire fit alors inévitablement de plus en plus d’émules à la cour de France, entraînant la professionnalisation de cet artisanat.
En armure avec perruque: Louis XIII en 1635. Tableau de Philippe de Champaigne.
En armure avec perruque: Louis XIII en 1635. Tableau de Philippe de Champaigne. Museo del Prado

Louis XIV et la perruque allongée

Sous Louis XIV (1638-1715), dont l’absolutisme marqua également la mode, la perruque eut une nouvelle fois le vent en poupe dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. La première corporation des barbiers-perruquiers fut inaugurée à Paris en 1656. Les perruquiers royaux révolutionnèrent la confection de perruques avec la technique des tresses, où les mèches de cheveux étaient entrelacées à l’aide de fils de soie sur de fins rubans tissés. On cousait ensuite à ces tresses une pièce de tissu légère, ajustée à la forme du crâne du porteur.
Louis XIV fit d’une épaisse crinière bouclée l’idéal de beauté masculin. Portrait de 1661. Sa chevelure naturelle était déjà complétée par des postiches.
Louis XIV fit d’une épaisse crinière bouclée l’idéal de beauté masculin. Portrait de 1661. Sa chevelure naturelle était déjà complétée par des postiches. Wikimedia
Dans sa jeunesse, la chevelure brune de Louis XIV retombait en longues boucles ondoyantes. En contrepartie, il renonça à toute pilosité faciale – un nouveau «look» efféminé accentué par des cravates en dentelle, chaussures en velours et bas de soie. Lorsque ses cheveux naturels commencèrent à se clairsemer, il commença par recourir aux postiches. À partir de 1673, il se mit à porter une perruque complète, la «perruque allongée», composée de cheveux frisés descendant jusqu’à la poitrine et aux hanches: une création de son coiffeur attitré, Benoît Binet, en 1670, de qui elle tira tout d’abord son nom de «binette» (la désignation «perruque allongée» est postérieure à cette époque). Élevée au rang de perruque d’État par le Roi-Soleil, elle devint un accessoire indispensable à la cour, témoignant à la fois du sens du style et du statut social de son porteur. La binette était également un symbole du cérémonial excessif de la cour de France, d’où elle ne tarda pas à se propager à toutes les cours d’Europe.
Mariage de Louis de France, duc de Bourgogne, et de Marie-Adélaïde de Savoie en 1697
Mariage de Louis de France, duc de Bourgogne, et de Marie-Adélaïde de Savoie en 1697. À gauche: le roi Louis XIV et derrière lui, Louis le «Grand Dauphin», respectivement grand-père et père du marié. À l’exception des ecclésiastiques, tous les hommes portent la perruque allongée aux grandes boucles séparées par une raie centrale. L’incontournable tricorne ne pouvant trôner sur cette création, il est dorénavant tenu sous le bras gauche, lui donnant son surnom de «chapeau bras». Wikimedia

Pommades, parfums et poudres

Tandis que Louis XIV disposait de son propre «cabinet des perruques» à Versailles et qu’il employait les meilleurs perruquiers et coiffeurs à la cour, d’autres se rendaient à l’atelier de leur perruquier. On y confectionnait des perruques sur mesure à l’aide de mannequins personnalisés, les modèles plus abordables étant proposés à la vente directe sur des présentoirs. En plus de créer des perruques, les artisans étaient aussi chargés d’«accommoder» (rafraîchir, remanier) celles ayant déjà été portées.
L’atelier du perruquier faisait aussi souvent office de salon de barbier et de coiffure. Gravure de 1762.
L’atelier du perruquier faisait aussi souvent office de salon de barbier et de coiffure. Gravure de 1762. Wellcome Collection
Bien que dégageant une odeur épouvantable au fil du temps, les perruques n’étaient pas lavables. L’hygiène en général à cette époque – et pas uniquement celle de la tête – était catastrophique, car assurée par une simple toilette à sec. Grattoirs et flacons à sels comptaient parmi les accessoires indispensables. Certaines coiffures intégraient même des pièges à poux et à puces sous la forme de petits flacons ou de pièces d’étoffe munies d’appâts. Fabriquées à base de graisses animales rancies avec le temps, les pommades servant à fixer les perruques attiraient les puces. Pour lutter contre la puanteur, les perruques étaient parfumées aux essences d’ambre, de lavande, de clous de girofle, de rose et de cannelle. Aux alentours de 1700, les perruques ont commencé à être poudrées de blanc, ce qui était considéré comme particulièrement noble. Cette poudre était tantôt de la farine de froment, tantôt de la fécule ou de la farine de fèves auxquelles on ajoutait du kaolin et de la craie.
Échafaudage ingénieux dans un salon de coiffure parisien: cette caricature britannique «Fashions in hair» de 1788 se moque de l’«Académie de coiffure» et des chevelures outrancières de la cour de France.
Échafaudage ingénieux dans un salon de coiffure parisien: cette caricature britannique «Fashions in hair» de 1788 se moque de l’«Académie de coiffure» et des chevelures outrancières de la cour de France. Wellcome Collection
Sous la perruque, les cheveux naturels, si tant est qu’il en restât, étaient généralement coupés court, voire tondus. Les raisons à cela étaient d’ordre pratique, mais surtout hygiénique, puisque l’on privait ainsi les poux d’un «terreau fertile».
Caricature «The Wig Shop»: les cheveux naturels, en supposant qu’il en reste, étaient souvent rasés, tant chez les femmes que les hommes. Aquarelle de Thomas Rowlandson, date inconnue.
Caricature «The Wig Shop»: les cheveux naturels, en supposant qu’il en reste, étaient souvent rasés, tant chez les femmes que les hommes. Aquarelle de Thomas Rowlandson, date inconnue. Boston Public Library
Mais où les perruquiers se procuraient-ils ces énormes quantités de cheveux? La matière première provenait des animaux, essentiellement des chevaux, mais aussi de l’être humain. Si détenus et prisonniers de guerre étaient parfois mis à contribution, des miséreuses voyaient aussi dans la vente de leurs longues chevelures un moyen de gagner un peu d’argent. Le commerce de cheveux devint florissant en Europe au milieu du XVIIIe siècle. Des acheteurs, dont de nombreux Flamands, se rendaient de village en village pour y prélever les chevelures de jeunes paysannes et de femmes des classes sociales inférieures. Les cheveux blonds ou gris argentés étaient particulièrement recherchés, suivis par les cheveux noirs, les cheveux naturellement frisés revêtant la plus grande valeur. Les cheveux lisses étaient bouclés par la suite et, à compter du XVIIIe siècle, colorés ou décolorés au besoin.
Transaction capillaire à la campagne. Illustration «Der Haarkäufer in Thüringen».
Transaction capillaire à la campagne. Illustration «Der Haarkäufer in Thüringen». Wikimedia

Multipli­ca­tion des modèles au XVIIIe siècle

Les carcans de la mode se desserrèrent, et l’hégémonie de la perruque allongée s’essouffla à partir de 1700 et surtout après la mort de Louis XIV (1715). Cette période vit l’émergence d’une multitude de perruques plus petites, plus légères et plus confortables, mais aussi accessibles à une couche plus large de la société, à commencer par la bourgeoisie aisée des villes, parmi les fonctionnaires, médecins, juges et hommes d’Église. Bien des souverains tirèrent alors parti de la popularité des perruques en prélevant un impôt sur celles-ci. Les perruques poudrées dotées de boucles horizontales sur les côtés se diffusèrent notamment sous de nombreuses formes. Ainsi, l’«Encyclopédie perruquière» de 1764 en comptait 115, dont la perruque à nœuds, la perruque courte, la perruque à bourse et la perruque à queue.
Le roi Louis XV (1710-1774) avec une perruque blanche comme elle était portée au milieu du XVIIIe siècle. Tableau de Maurice-Quentin de la Tour.
Le roi Louis XV (1710-1774) avec une perruque blanche comme elle était portée au milieu du XVIIIe siècle. Tableau de Maurice-Quentin de la Tour. Wikimedia
Perruque à bourse en crin de cheval, vers 1780.
Perruque à bourse en crin de cheval, vers 1780. Metropolitan Museum of Art

Marie-Antoinette et la «coiffure à la Belle Poule»

En matière de perruques, les hommes eurent initialement une longueur d’avance considérable sur les femmes. Cependant, les coiffures des dames de la noblesse devinrent elles aussi toujours plus complexes au cours du XVIIe siècle, se parant de postiches, de nœuds, de dentelle, de fleurs, de plumes ou encore de perles. Vers 1700, leurs chevelures commencèrent à arborer des édifices à plusieurs étages culminant en une coiffe spéciale (la «coiffure à la Fontange»). Dans les années 1770, elles enveloppèrent leurs cheveux, déjà ornés de postiches, autour de structures en gaze (les «poufs») de plus en plus volumineuses. À l’apogée de cette mode, les femmes arboraient de véritables montagnes de gaze, de rubans et d’ornements divers. Ces coiffures dont la démesure confinait parfois à l’absurde devinrent une cible de prédilection des caricaturistes. La plus éminente représentante de la «coiffure de style pouf» était l’épouse du roi Louis XVI (1754-1793), Marie-Antoinette (1755-1793), dont les spectaculaires œuvres d’art capillaires défrayèrent la chronique. Parmi les critiques les plus bienveillantes figurent celles de sa mère Marie-Thérèse, qui les exprima en mars 1775 dans une lettre envoyée depuis Vienne: «(...) c’est la parure dont vous vous servez; on la dit depuis de la racine des cheveux 36 pouces de haut, et avec tant de plumes et de rubans qui relèvent tout cela! (…) Une jeune et jolie reine, pleine d’agréments, n’a pas besoin de toutes ces folies; (...) je ne puis m’empêcher de l’avertir sur cette petite frivolité (...).» Ces quelques lignes semblent déjà préfigurer la destinée tragique de Marie-Antoinette qui, comme on le sait, fut envoyée à la guillotine en 1793...
Marie-Antoinette, reine de France, arborant un «pouf». Ses créations capillaires extravagantes reflétaient son train de vie dispendieux. Portrait vers 1775.
Marie-Antoinette, reine de France, arborant un «pouf». Ses créations capillaires extravagantes reflétaient son train de vie dispendieux. Portrait vers 1775. Wikimedia
Ces remontrances maternelles ne firent guère effet, puisque la prouesse la plus célèbre était encore à venir: après la victoire du navire de guerre français la «Belle Poule» contre un navire anglais en 1778, Marie-Antoinette porta, lors d’un bal, une maquette de la frégate victorieuse dans sa coiffure imitant une mer agitée. Largement copiées, renvoyant à l’actualité ou parées d’ornements à l’instar de petites cages à oiseaux, ces «coiffures à la Belle Poule» entrèrent dans les annales de l’histoire des costumes. Ces coûteuses créations étant le fruit d’innombrables heures de travail; on tentait de les conserver plusieurs jours durant, et parfois jusqu’à deux semaines. Le défi était aussi logistique, notamment lors des trajets en calèche. Leurs porteuses ne connaissaient en outre nul sommeil réparateur en position allongée, puisque contrairement aux perruques complètes, ces coiffures ne pouvaient pas simplement être retirées le soir venu.
«Coiffure à la Belle Poule» avec maquette de bateau, inspirée de l’œuvre capillaire légendaire de Marie-Antoinette.
«Coiffure à la Belle Poule» avec maquette de bateau, inspirée de l’œuvre capillaire légendaire de Marie-Antoinette. Bibliothèque nationale de France

Le temps du déclin

Infestées, poussiéreuses et emmêlées: telle était l’image que renvoyaient les perruques au lendemain de la Révolution française. On les associait alors à une aristocratie opposée aux réformes et à une époque révolue. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, les cours et la bourgeoisie aisée privilégièrent à nouveau des modes vestimentaires plus naturelles, puisant leur inspiration dans la simplicité et la sobriété affichées en Angleterre. Les coiffures des deux sexes évoluèrent en conséquence: alors que la plupart des hommes renouèrent avec les cheveux courts éventuellement surmontés d’un toupet, les femmes se contentèrent de postiches discrets. La noblesse conserva uniquement le principe des perruques «uniformes» pour habiller les servants lors des galas, cette pratique permettant d’assurer l’uniformité et l’anonymat du petit personnel. Les juges du Commonwealth conservèrent eux aussi la perruque, symbole de la dignité de leur fonction. Après un ultime sursaut dans la mode féminine des années 1960, théâtres et carnavals sont désormais les derniers fiefs des perruques, confectionnées pour la plupart en fibres synthétiques et «made in China».

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