
Coupe à la garçonne ou coiffe traditionnelle?
Coupe à la garçonne, jupes étroites, chaussures plates… Si la mode des années 1920 trouva un large écho dans la population, elle eut aussi ses ennemis jurés. Nostalgiques, ceux-ci remirent au goût du jour le costume traditionnel tombé en désuétude.
Ce défilé folklorique avait été organisé à l’occasion de la fondation de la Schweizer Trachten- und Volkslieder-Vereinigung (fédération nationale des costumes suisses et des chants populaires) le 6 juin 1926 à Lucerne. L’association voulait maintenir la tradition du costume et encourager les Suissesses à porter l’habit traditionnel avec fierté, «l’habit de la patrie». La délégation de Bâle-Campagne suggéra que la fédération s’oppose aux «excentricités à la mode comme la coupe au carré» et contre toute «emprise étrangère dans le domaine des arts, et surtout de la musique et de la chanson »; il fallait tout particulièrement combattre le «fox-trot, le shimmy, le charleston, les opérettes de mauvais goût, etc.» La proposition fut adoptée sous un tonnerre d’applaudissements.
Nouveau rôle, nouvelle mode
C’est dans le monde de la mode que se refléta le plus rapidement et le plus systématiquement la nouvelle place de la femme au sein de l’économie, de la politique et de la famille. Tailleurs et maisons de couture inventèrent de nouvelles coupes, de nouvelles formes et de nouveaux vêtements, dans l’air du temps. Les jambes qui portaient les femmes dans la vie se dévoilèrent. Leurs bras étaient forts et elles s’en servaient pour conduire leur propre voiture. Leurs têtes intelligentes portaient les cheveux courts, parce qu’elles voulaient qu’il en soit ainsi.
Cheveux courts et rouge à lèvres
Un peu du glamour et des paillettes des défilés qui se tenaient dans les capitales de la mode comme Paris ou Milan se répandit à travers le vaste monde et arriva aussi en Suisse. Les «femmes des années folles» avaient les cheveux courts, de petits seins, des hanches étroites et de longues jambes. On les voyait de temps à autre en pantalon et chaussures plates, une cigarette à la main, assises au volant de leur voiture. Lorsque le maquillage, le rouge à lèvres et le vernis à ongles, courants outre-Atlantique, gagèrent la Suisse, les esprits conservateurs suisses virent rouge. Le nouveau maquillage était appelé avec dédain «Müüli- und Nägelisüüch», comme si c’était une maladie.


Critiques acerbes et paravent anti-mode
Le renouveau du costume traditionnel s’inscrit donc en opposition avec les nouvelles tendances vestimentaires. C’est un retour aux sources, la mise en avant d’un emblème national, une sorte de paravent pour se protéger des dernières tendances. Pourtant, l’habit traditionnel n’était pas aussi ancien qu’on voulait bien le laisser croire: il était largement tombé dans l’oubli dans la Suisse de la fin du XIXe siècle!
La Première Guerre mondiale fut, d’une certaine façon, l’antichambre de son retour. Un groupe de Vaudoises se réunit en 1916 à Sauvabelin. Elles étaient déterminées à contrecarrer les pressions extérieures dues à la guerre en utilisant le costume traditionnel pour préserver la Suisse en tant que nation. C’est alors qu’il se produisit un fait important: pour la première fois, on élabora des instructions pour la confection des costumes et des règles pour les porter.
Apprécié aussi dans les villes
Il est ainsi remarquable de constater que la fondation en 1926 de la Schweizer Trachten- und Volksliedervereinigung n’eut pas lieu à la campagne, mais au cœur d’une ville, Lucerne en l’occurrence. Désormais, le nouveau se mêlait à l’ancien, l’un n’excluant pas l’autre et la Suisse d’hier se fondait dans la Suisse d’aujourd’hui. En dépit de la mode des garçonnes, de nombreux groupes de costumes traditionnels virent le jour dans la Suisse de la fin des années 1920. La mode et l’antimode s’étaient établies, «l’habit de la patrie» venait de se réinventer.


