Une montagne qui bouge: l’énigme de la Rosablanche
En 1915, des topographes constatèrent que le sommet de la Rosablanche, dans les alpes valaisannes, s’était déplacé de plusieurs mètres en quelques années seulement. La cause de ce phénomène est plus que jamais d’actualité.
En septembre 1914, une équipe du Service topographique (aujourd’hui swisstopo) se rendit sur le sommet pour effectuer des mesures angulaires. Leurs résultats montrèrent qu’un événement inhabituel s’était produit sur la Rosablanche. Selon Hans Zölly (1880–1950), alors principal responsable de la triangulation nationale, de «mauvaises surprises» étaient apparues: aucun des calculs triangulaires incluant la Rosablanche n’avait fonctionné. On supposa tout d’abord que des erreurs de mesure et de calcul avaient été commises, mais les vérifications confirmèrent l’observation de Zölly: le point de triangulation sur la Rosablanche s’était déplacé de près de 3,5 mètres entre 1895 et 1914. L’ingénieur en tira une conclusion inquiétante: «Nous étions [...] confrontés au fait qu’un de nos principaux points fixes trigonométriques n’en était plus un.»
À midi, pendant les heures les plus chaudes, tout bouge; les blocs tombent de gauche et de droite dans le couloir ou dévalent vers le sud sur le glacier. On a l’impression que le sol sous le signal ne pourra pas résister longtemps avant de devoir obéir à la loi de la gravité et s’enfoncer dans les profondeurs.

Émile Argand avait déjà constaté en 1916 que la fonte d’un glacier avait entraîné le glissement de la masse rocheuse. Le glacier de Prafleuri se situait en effet directement sous le point culminant de la montagne. Ses glaces stabilisaient le sommet aussi bien par l’extérieur que par le dessous: pendant des millénaires, le glacier avait érodé le sommet de la Rosablanche, tout en le soutenant au moyen de ses couches de glace. Lorsque le glacier de Prafleuri se mit à fondre rapidement au début du XXe siècle, le sommet perdit son socle de glace et commença à bouger.
Les découvertes d’Émile Argand eurent également des conséquences pour la mensuration nationale: ce sommet désormais instable avait fait son temps comme point de triangulation. «Point culminant central et grandiose», La Ruinette prit sa place.
L’affaissement de la Rosablanche durant les années 1910 révéla très tôt les relations qu’entretiennent la glace et la roche. La période de réchauffement climatique que nous traversons fait apparaître toujours plus nettement le rôle essentiel que jouent les glaciers et le pergélisol dans la cohésion des Alpes au sens littéral. L’effondrement majeur du Fluchthorn, à la frontière entre la Suisse et l’Autriche, en est le dernier exemple en date. Le 11 juin 2023, un million de mètres cubes de roche se sont décrochés de la montagne, faisant perdre 19 mètres à son sommet. En cause: le dégel du pergélisol et la fonte du glacier local. Ce dernier soutenait le flanc ouest du Fluchthorn jusqu’à ce qu’il se retire, faisant vaciller la montagne comme le fit le glacier de Prafleuri autrefois.
Espace et temps
Cet article avait été publié initialement dans la rubrique «Espace et temps» du site de l’Office fédéral de topographie swisstopo. Des chapitres passionnants de l’histoire cartographique y sont régulièrement présentés.


