
Et la peste noire changea le monde
L’épidémie de peste survenue au Moyen Âge et ses répercussions invitent à la comparaison avec le coronavirus. Retraçant de manière fascinante les événements liés à la «peste noire», l’historien Volker Reinhardt met toutefois en garde contre ce genre de rapprochement.
Il y eut la grippe espagnole de 1918, mais surtout la «peste noire». Sévissant de 1347 à 1353 dans presque toute l’Europe, cette terrible maladie réapparut régulièrement par la suite. Retraçant ces événements, l’historien fribourgeois Volker Reinhardt laisse déjà transparaître le cœur de son sujet dans le titre de son ouvrage Die Macht der Seuche (Le pouvoir de l’épidémie): comment la peste a-t-elle changé le monde d’autrefois? Peut-on faire des parallèles avec la pandémie de coronavirus? Dès l’introduction de son livre, qui se lit très bien, il prévient cependant les lecteurs: il ne faut pas avoir d’attentes démesurées, la comparaison a ses aléas.
Progrès monumental en médecine
En fait, Yersinia pestis a 20 000 ans. Comme le coronavirus, le pathogène trouve probablement son origine en Chine (occidentale). Les écrits locaux attestent de sa propagation le long de la route de la soie, mais au rythme nettement plus lent d’autrefois. Depuis la Crimée et Constantinople (aujourd’hui Istanbul), où les Génois avaient des comptoirs, les marchands voguaient en direction de ports et de centres commerciaux de Sicile ou d’ailleurs. L’épidémie se répandit alors peu à peu en Europe centrale et en Europe du Nord, empruntant les routes commerciales et les fleuves navigables. En Suisse, Genève et Bâle étaient les principales «portes d’entrée».
Profonds bouleversements sociaux
La peste bouleversa les structures sociales existantes. D’abord, parce qu’elle décima la population. Même si les estimations sont loin de converger, on pense qu’au moins un quart des Européens moururent et, contrairement au coronavirus, toutes les classes d’âge furent touchées. Au Moyen Âge aussi, les plus défavorisés furent davantage affectés, déjà affaiblis par la famine et vivant dans la promiscuité. Ils ne pouvaient pas se réfugier sur leurs terres à la campagne, comme le fait la jeunesse dorée florentine du Décaméron de Boccace, le célèbre roman qui a la peste pour cadre.
L’effondrement de la population eut des répercussions économiques et politiques considérables. Le manque d’ouvriers, notamment dans l’industrie textile florissante, mais aussi dans le secteur de l’agriculture après les années de peste, permit aux travailleurs de réclamer un meilleur salaire et d’obtenir plus de droits. Cette situation connut son paroxysme pendant les révoltes paysannes du début du XVIe siècle.
Politique et religion mises à l’épreuve
Gros plan sur les foyers et les points de crise
Il commence par déterminer leur portée, en montrant que même les récits apparemment factuels obéissent souvent à un certain intérêt narratif. Il rappelle par exemple qu’il faut lire avec une certaine circonspection Le Décaméron, le roman cité plus haut de Giovanni Boccace et qui offre une représentation spectaculaire de la peste à Florence.
Il faut savoir que Boccace ne se trouvait pas à Florence au moment où la peste s’y est déclarée et que sa description ressemble étonnamment au récit que Thucydide, auteur antique, fait de la guerre du Péloponnèse. Dès lors, chez Boccace, comme dans d’autres rapports souvent cités en provenance de Florence, la peste sert de folie pour fournir des explications morales sur la nature de l’homme. Nombre d’amalgames similaires, mêlant idéologie, faits et fictions, accompagnent le coronavirus, même si le phénomène se cantonne surtout, pour l’instant, à divers forums Internet. Il faut également noter que les rapports vraiment représentatifs de la peste n’ont été rédigés que plusieurs années plus tard.
Schéma de réponse à l’épidémie
Somme toute, l’historien constate que la peste n’a apporté «aucune idée ni aucun comportement résolument nouveaux». Elle a plutôt servi de catalyseur «en consolidant et en renforçant des convictions, des attitudes et des tendances longtemps présentes avant les bouleversements engendrés». Est-ce que cela sera pour avec le coronavirus? Nous sommes en mesure de l’observer par nous-mêmes. En revanche, seuls les historiens de demain pourront livrer une analyse avec plus de recul, comme le fait Reinhardt pour la peste.
Die Macht der Seuche – Wie die Grosse Pest die Welt veränderte – 1347-1353

Volker Reinhardt, édition C.H. Beck, Munich 2021.
256 pages avec 25 illustrations et une carte. Actuellement disponible en allemand.
256 pages avec 25 illustrations et une carte. Actuellement disponible en allemand.


