
Sport et colonialisme
Y a-t-il un rapport entre un ananas et le tennis? Suffisamment pour que ce fruit exotique s’invite sur le trophée mondialement célèbre du simple messieurs du championnat de Wimbledon. Directement liée à l’histoire coloniale du sport, la coupe coiffée d’un petit ananas est remise par chaque vainqueur à son successeur depuis 1887.
Le Royaume-Uni étant la plus grande puissance sportive et coloniale de son époque, il exerça une influence considérable sur le développement du sport au niveau international. Au milieu du XIXe siècle, le sport moderne se propagea depuis l’Angleterre jusque dans le reste du monde. Ce fut par exemple le cas du cricket, un «sport de gentleman», dont les joueurs étaient fortement guidés par les vertus que sont le fairplay et la discipline. C’est pourquoi ce sport devint une composante essentielle de la politique sociale et culturelle britannique dans les colonies. Par ailleurs, le cricket servait aux Anglais et aux Anglaises à forger leur identité. Grâce à ce sport, principalement marqué par la noblesse, les membres de l’administration coloniale pouvaient continuer de suivre leur british way of life et se distinguer de la population locale. On fondait des clubs, on se rencontrait entre pairs et on célébrait ses origines et sa supériorité en se démarquant des personnes colonisées. Les Britanniques pratiquèrent ce sport entre eux jusqu’à ce que la population locale ne fonde ses propres équipes. Les Britanniques étant clairement plus forts que les équipes nouvellement formées, ils pouvaient ainsi également affirmer leur supériorité dans le sport.
On peut constater néanmoins que depuis la décolonisation, une autre politique identitaire est pratiquée à travers les sports de l’ancien Empire britannique: l’équipe de rugby de Nouvelle-Zélande affiche ainsi sa diversité et intimide ses adversaires au début du match avec son haka, une danse guerrière traditionnelle du peuple maori. L’Afrique du Sud, actuelle championne du monde, célèbre également la diversité de sa Rainbow Nation et ses propres traditions.
Les «All Blacks» dansent le haka lors de la finale du championnat du monde de rugby en 2011 en Nouvelle-Zélande. Youtube
Peut-on même envisager le monde du sport sans colonialisme? Force est de constater que la recherche n’a pas encore grand-chose à offrir de ce côté-là. Il serait temps de se pencher à nouveau sur la mondialisation engendrée par l’Empire britannique et d’autres États impérialistes, mais aussi par le commerce international, dans le contexte de l’histoire du sport. Les chaussures et balles en caoutchouc ainsi que les pneus de voiture et de vélos de course sont des innovations majeures dans le sport qui n’auraient pas été possibles sans les colonies: il importerait de mettre en lumière le parcours du caoutchouc des colonies jusqu’au monde du sport, sans oublier la synthétisation et la vulcanisation qui s’ensuivirent. Ce n’est probablement pas un hasard si, depuis l’Irlande sous domination britannique, John Boyd Dunlop, chirurgien vétérinaire de formation et inventeur du pneumatique, bâtit un empire international du pneu de course. La société Dunlop, qui devint un nom important dans le sport, est également connue aujourd’hui pour ses raquettes et ses balles de tennis.
Swiss Sports History

Ce texte est le fruit d’une collaboration avec Swiss Sports History, le portail consacré à l’histoire du sport suisse. Ce dernier a pour vocation de fournir des services de médiation scolaire ainsi que des informations aux médias, aux chercheurs et au grand public. Pour en savoir plus, rendez-vous sur sportshistory.ch.


