Le Lusitania quitte le port de New York le 1er mai 1915 pour son dernier voyage (extrait). National Archives

La catastrophe du Lusitania

Le naufrage du paquebot britannique RMS Lusitania coulé par un sous-marin allemand le 7 mai 1915 est l’un des pires désastres de l’histoire navale récente. 1193 hommes, femmes et enfants périrent au large de l’Irlande. L’histoire des Suisses voyageant à bord du Lusitania porte un éclairage inédit sur la fin de l’époque édouardienne.

James Blake Wiener

James Blake Wiener

James Blake Wiener est auteur, spécialiste en relations publiques dans le domaine du patrimoine culturel et co-fondateur de World History Encyclopedia.

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des milliers de Suisses partirent s’établir en Grande-Bretagne et dans diverses colonies de l’Empire britannique. Particulièrement attirés par les métropoles commerciales de Londres, Liverpool, Montréal et Sydney, les Suisses y furent actifs dans la restauration, l’hôtellerie, les banques et œuvrèrent à la création d’instituts financiers. On les trouvait aussi parmi les domestiques et le personnel de cuisine des grandes maisons de l’aristocratie britannique où l’on appréciait leur multilinguisme, leur précision, leur ponctualité et leurs bonnes manières. En retour, les Suisses étaient mieux payés et leurs conditions de vie en Grande-Bretagne ou dans l’Empire britannique étaient meilleures, comparées à celles qui régnaient dans leur patrie. Recensements, registres de mariage et de baptême, lettres et autres documents ont permis de reconstituer la vie des trois Suisses qui participèrent au dernier voyage du Lusitania: Adolf Samuel Nussbaum de Delémont (1885–1915), John Frederick Deiner de Liverpool (1883–1967), Elise Oberlin de Lachen (1888–1915). La fatalité et les circonstances lièrent leur vie à la Grande-Bretagne, à l’Empire britannique et enfin au désastre du Lusitania, qui marqua la fin de l’époque édouardienne.
Annonce de la Cunard Line vantant «Les bateaux à vapeur les plus rapides du monde», 1914.
Annonce de la Cunard Line vantant «Les bateaux à vapeur les plus rapides du monde», 1914. National Archives
Contrairement au célèbre Titanic, qui coula lors de son voyage inaugural en avril 1912, le Lusitania navigua pendant sept ans avant que n’éclate la Première Guerre mondiale. Financé en partie par un prêt généreux de 2,6 millions de livres consenti par le gouvernement et lancé en 1906, le Lusitania s’avéra un navire aussi populaire que rentable. Lors de sa mise en service en 1907, il détrône l’Allemagne dans la course au Ruban bleu, distinction non officielle décernée au bateau effectuant la traversée la plus rapide de l’Atlantique. Long de 239 mètres, large de 27 mètres et profondeur de 8,3 mètres, le navire comptait sept ponts au-dessus de sa ligne de flottaison et trois au-dessous. Le Lusitania était une merveille d’ingénierie pour son époque. Il pouvait maintenir une vitesse de 25 nœuds (46 km/h) et transporter plus de 2000 passagers et 800 membres d’équipage. Plus de 320 km de câbles électriques parcouraient le bâtiment et chacune de ses deux ancres pesait plus de 10 tonnes. La même stricte séparation des classes régnait aussi bien sur mer que sur terre. Il y avait donc trois classes de service à bord du Lusitania. Doté d’une bibliothèque, de fumoirs, d’un cabinet médical, d’une salle de musique, d’une échoppe de barbier, d’un café installé dans une véranda végétalisée et d’ascenseurs, le Lusitania était un palace flottant pesant près de 32 000 tonnes. S’il est vrai que le luxe et les dimensions de certains autres paquebots surpassaient ceux du Lusitania, aucun autre navire n’en égalait l’aura et le glamour. Avec le Mauretania, son navire-jumeau tout aussi célèbre, le Lusitania était le bateau le plus rapide du monde, le lévrier de l’Atlantique. Incarnation de la puissance, du commerce et du luxe, il faisait la fierté d’un Empire britannique proche de son apogée.
Vers 1911, le Lusitania (à gauche) et le Mauretania (à droite) étaient les plus grands, les plus rapides et les plus luxueux paquebots de leur époque.
Vers 1911, le Lusitania (à gauche) et le Mauretania (à droite) étaient les plus grands, les plus rapides et les plus luxueux paquebots de leur époque. Wikimedia

La vie des Suisses à l’époque édouardienne

Les perspectives professionnelles étant limitées en Suisse, le Delémontain Adolf Samuel Nussbaum émigre en Grande-Bretagne pour y entamer une carrière de cuisinier, d’abord dans une pension, puis dans un hôtel à Cheltenham. Adolf trouve l’amour et il épouse en 1907 Johanna Wilhelmina Bergundthal, née à Hambourg. Quelques années plus tard, les époux ont le bonheur d’accueillir la petite Elise, née à Londres. Vers 1911, Adolf se voit proposer l’opportunité de sa vie, lorsque la compagnie Cunard l’engage sur le Lusitania en qualité de potager. Il s’agit d’un poste prestigieux puisque les quatre restaurants du Lusitania servent plus de 10 000 repas par jour et que la cuisine de sa première classe est l’une des meilleures d’Europe. L’engagement d’Adolf par Cunard confirme l’étendue de son talent. À l’instar de son concurrent White Star Line, Cunard n’employait généralement que du personnel britannique. Il y avait bien quelques exceptions mais elles se limitaient aux cuisines. Adolf se retrouve en bonne compagnie à bord, travaillant aux côtés du chef italien du Lusitania (Giovanni Battista Ottino), d’un chef extra français (Etienne Pierre Seurre) et d’un saucier espagnol (José Ulgar Leon). Bien que ses journées fussent longues – il n’était pas rare de travailler 14 heures dans les cuisines du Lusitania – Adolf recevait un salaire substantiel qu’il envoyait à sa femme bien-aimée et à sa fille.
La cuisine du Lusitania où travaillait Adolf Samuel Nussbaum.
La cuisine du Lusitania où travaillait Adolf Samuel Nussbaum. Wikimedia
Le célèbre salon et salle de musique de la première classe.
Le célèbre salon et salle de musique de la première classe. Wikimedia
Salle à manger de la troisième classe.
Salle à manger de la troisième classe. Wikimedia
John Frederick Deiner devait certainement connaître Adolf car il travaillait aussi au service de la restauration sur le Lusitania. Fils d’un père suisse et d’une mère irlandaise, Frederick était né à Liverpool et appartenait à une famille nombreuse et bilingue. Fier de ses racines, le père de Frederick – Johan – avait gardé la nationalité suisse. Il avait travaillé comme serveur dans les grands hôtels de Vevey avant d’émigrer en Angleterre dans les années 1870. Suivant l’exemple de son père, Frederick effectua son apprentissage de serveur dans des hôtels et restaurants des environs de Liverpool avant de trouver un emploi chez Cunard en 1903 mais il adopta la nationalité britannique. Frederick fut engagé sur le Lusitania comme serveur de première classe en 1913. Un coup de chance car il avait épousé Maria White en 1909 et le couple avait eu deux fils se suivant de près: Ernest et Norman. L’emploi de Frederick impliquait de lourdes responsabilités qu’il avait endossées avec cette livrée aux couleurs de Cunard qui lui donnait une si belle prestance. Ses horaires étaient tout aussi longs que ceux d’Adolf mais il évoluait dans un cadre luxueux, aux petits soins des élites de l’époque dans le somptueux salon de première classe du Lusitania. L’horaire des repas y était strictement respecté, tout comme les traditions et l’étiquette britannique, élevées au rang de valeurs suprêmes. Peu habitués à de telles traditions et bonnes manières, Européens et Américains ignoraient souvent comment se conduire pendant et après les repas. Le travail de Frederick consistait donc à les servir avec déférence mais aussi à les initier en douceur aux coutumes du bord, ce qui n’était pas toujours facile.
Portrait de John Frederick Deiner
Portrait de John Frederick Deiner National Archives
La salle à manger de première classe sur le Lusitania vers 1906.
La salle à manger de première classe sur le Lusitania vers 1906. Wikimedia
Contrairement à Frederick et Adolf, Elise Oberlin avait vécu et travaillé au Canada dans une grande maison de Montréal. On ne sait que peu de choses des premières années de la vie de cette femme si ce n’est l’endroit de sa naissance, Lachen dans le canton de Schwytz. En août 1913, Frances Stephens – une des femmes les plus en vue de la haute société canadienne – engagea Elise comme femme de chambre. La vie de la jeune femme changea du tout au tout. Originaire d’Écosse, Frances Stephens était une riche veuve qui se consacrait à la philanthropie. Elle possédait de magnifiques propriétés, portait des vêtements de haute couture importés de Londres et Paris et on disait qu’elle possédait la plus belle collection de bijoux du Canada. Bien que les riches Britanniques comme Frances eussent tendance à engager des domestiques allemandes ou françaises pour affirmer leur statut dans la haute société édouardienne, les Suissesses étaient appréciées pour leur attention aux détails et leur organisation méticuleuse. Elise assistait Frances dans un grand nombre d’activités quotidiennes, l’aidant à s’habiller et à se coiffer, prenant soin de sa garde-robe et supervisant un agenda social des plus chargés. Elle s’occupait aussi des achats personnels de Frances et organisait ses voyages. Elise envoyait régulièrement des lettres enthousiastes à sa famille dans le canton de Schwytz, dans lesquelles elle racontait à quel point elle appréciait sa vie au Canada. À l’époque édouardienne, Montréal était une cité aussi belle que prospère, dont les hauteurs étaient parsemées de manoirs dans un quartier dénommé Golden Square Mile. Le calendrier de la haute société locale était rempli de bals et de parties de patin sur glace légendaires auxquelles participait aussi la famille royale britannique. Elise rentra en Suisse pour une dernière et joyeuse visite au début de 1914 puis revint au Canada au mois d’avril de la même année.
Frances Stephens était une grande dame de la société montréalaise.
Frances Stephens était une grande dame de la société montréalaise. Elle mourut dans le naufrage du Lusitania. Son corps fut retrouvé et devait être rapatrié au Canada sur le Hesperian, bateau qui sera coulé par le même sous-marin que celui qui avait torpillé le Lusitania. Wikimedia
Suite de première classe sur le Lusitania, semblable à celle que Frances Stephens occupa et où travailla Elise Oberlin.
Suite de première classe sur le Lusitania, semblable à celle que Frances Stephens occupa et où travailla Elise Oberlin. Wikimedia

Première Guerre mondiale et catastrophe du Lusitania

L’Angleterre déclara la guerre à l’Allemagne et à ses alliés le 4 août 1914. La compagnie Cunard exploitait le Lusitania sur le trajet reliant Liverpool à New York une fois par mois après le début de la guerre. En représailles du blocus naval britannique de l’Allemagne, cette dernière avait déclaré zone de guerre les eaux entourant les îles britanniques en février 1915, à la suite de quoi les sous-marins – nouvelle arme fatale de l’Allemagne – prirent pour cible les navires britanniques avec un succès grandissant, au grand dam du gouvernement. La plupart des passagers et des membres de l’équipage qui voyagèrent sur le Lusitania en 1914 et 1915 excluaient toutefois la possibilité que le navire fût pris pour cible par les Allemands. Le paquebot était simplement trop rapide pour être coursé par un sous-marin et les Allemands n’oseraient certainement pas couler un navire transportant autant de passagers innocents, mais il y avait aussi régulièrement à bord du Lusitania des armes de poing, des munitions et de la poudre d’aluminium que l’Angleterre achetait aux États-Unis pour soutenir son effort de guerre. Si les passagers et l’équipage ignoraient ce détail, il n’avait pas échappé à la sagacité des espions du gouvernement allemand.
Le Lusitania arrive au port de New York. Photo prise en septembre 1907.
Le Lusitania arrive au port de New York. Photo prise en septembre 1907. Library of Congress
Le 1er mai 1915 à New York, les passagers embarquent sur le Lusitania pour sa 202e traversée de l’Atlantique. Le même jour paraît dans les journaux de la ville un avertissement officiel émanant de l’ambassade allemande qui évoque les risques courus par les passagers voyageant sur des navires britanniques. Si de nombreux passagers n’eurent pas connaissance de l’avertissement, d’autres l’ignorèrent consciencieusement. Avec 1266 passagers et 696 membres d’équipage, il s’agissait de la traversée accueillant le plus grand nombre de personnes depuis que la guerre avait commencé dix mois plus tôt. La majorité des voyageurs du Lusitania étaient britanniques ou résidents de l’Empire britannique (1596), citoyens américains (159) et citoyens de la Russie impériale (70). Reconnaissants d’avoir pu conserver leur emploi malgré la guerre, Adolf et Frederick voulaient absolument revenir à Liverpool. Le revenu de leur travail était en effet primordial pour soutenir leurs familles en ces temps d’économie de guerre et cela valait bien les dangers de la traversée. Elise embarqua sur le Lusitania en première classe pour accompagner sa maîtresse qui partait vers l’Angleterre pour y retrouver des membres de sa famille. Elle se réjouissait beaucoup de son premier long séjour en Grande-Bretagne et envoya une carte postale aux siens avant de prendre la mer, annonçant à sa famille qu’elle était aux États-Unis mais qu’elle revenait en Europe sur le Lusitania et annoncerait son arrivée.
Avertissement de l’ambassade allemande dans les journaux new-yorkais. Les voyageurs sont informés que l’Allemagne est en guerre avec la Grande-Bretagne et que les navires battant pavillon britannique risquent la destruction.
Avertissement de l’ambassade allemande dans les journaux new-yorkais. Les voyageurs sont informés que l’Allemagne est en guerre avec la Grande-Bretagne et que les navires battant pavillon britannique risquent la destruction. Wikimedia
Carte de la zone de guerre définie par l’Allemagne autour des îles britanniques. Le Lusitania fut coulé le 7 mai 1915 à l’endroit marqué en rouge.
Carte de la zone de guerre définie par l’Allemagne autour des îles britanniques. Le Lusitania fut coulé le 7 mai 1915 à l’endroit marqué en rouge. Wikimedia
Le Lusitania quitte le port de New York.
Le Lusitania quitte le port de New York. National Archives
Le Lusitania quitte le port de New York et met le cap sur Liverpool. La traversée de l’Atlantique se déroule sans histoires, les voyageurs passant leur temps à profiter des commodités du paquebot. Le Lusitania atteint la zone de guerre au soir du 6 mai 1915. Le lendemain matin, le paquebot rencontre un épais brouillard. Le capitaine William Turner, un marin chevronné comptant plus de 32 années de service chez Cunard, doit réduire l’allure pour calculer sa position. L’amirauté britannique l’avait prévenu que des sous-marins allemands rôdaient près de la côte irlandaise, sans pouvoir lui en transmettre les coordonnées précises. Le brouillard se déchire à onze heures du matin et les passagers admirent le superbe paysage côtier soudain illuminé par le soleil. Les voyageurs irlandais du Lusitania sont les plus nombreux à interpréter cela comme un bon signe. À 13h20, le lieutenant-capitaine Walther Schwieger aperçoit le Lusitania du poste de commandement de son sous-marin U 20. Il n’est pas sûr de pouvoir aligner le navire dans son collimateur mais donne l’ordre à son équipage de plonger et commence à suivre le Lusitania au périscope. Au même moment, Turner ordonne un changement de cap en direction de la côte vers Old Head of Kinsale. Schwieger n’en croit pas ses yeux. Le Lusitania arrive droit sur son sous-marin. Alors que le paquebot ne se trouve plus qu’à 365 mètres, Schwieger fait lancer une torpille qui frappe le Lusitania à 14h10 côté tribord, à l’aplomb de la timonerie. Il ne faudra que 18 minutes pour que le Lusitania coule dans les eaux de la mer Celtique.
Le sous-marin allemand U 20 (premier rang, deuxième depuis la droite) à l’amarrage
Le sous-marin allemand U 20 (premier rang, deuxième depuis la droite) à l’amarrage. Library of Congress
William Turner, capitaine du Lusitania.
William Turner, capitaine du Lusitania. Wikimedia
Deux explosions rapprochées secouent le navire. La seconde lui est fatale. Le Lusitania commence à gîter fortement sur tribord à 15° tandis que 100 tonnes d’eau par seconde envahissent le navire. La seconde explosion endommage les conduites de vapeur du paquebot, le rendant incontrôlable. Le capitaine Turner tente en vain de diriger le bateau vers la côte. Elise est probablement occupée à préparer les bagages dans sa chambre du pont D après le repas de midi – le Lusitania doit arriver à Liverpool tôt le lendemain matin – et Adolf travaille aux cuisines lorsque la torpille atteint sa cible. À 14h14, le générateur principal du Lusitania cesse de fonctionner, plongeant le paquebot dans une obscurité totale. Quiconque imagine les derniers instants des personnes captives des ponts inférieurs en est horrifié. Les hurlements hystériques des infortunés tentant d’échapper à l’obscurité des cabines et des coursives, les appels désespérés de ceux qui sont emprisonnés dans les ascenseurs électriques du Lusitania hanteront les survivants de la catastrophe pendant le restant de leurs jours.
Illustration de l’impact de la torpille qui coula le Lusitania dans la mer Celtique.
Illustration de l’impact de la torpille qui coula le Lusitania dans la mer Celtique. Library of Congress
Frederick a plus de chance. Il vient de terminer son service de midi et peut accéder au pont du paquebot. Il se hâte à la recherche du canot de sauvetage numéro 4 qui lui est assigné, à bâbord. Aucun système d’annonce par haut-parleur n’a été installé sur le Lusitania et l’on hurle des instructions soit contradictoires, soit mal comprises. C’est la panique, le chaos. Les passagers et l’équipage sont livrés à eux-mêmes dans un désordre mortel. La gîte du Lusitania est telle qu’il est pratiquement impossible de larguer les canots de sauvetage car ils se balancent hors de portée de ceux qui en auraient tant besoin. Frederick voit le bateau de sauvetage numéro 4 s’écraser contre le pont lors d’un retour de balancier, tuant des dizaines de passagers. Seuls six des canots du Lusitania peuvent être mis à l’eau, tous du côté tribord. Effrayé à l’idée d’embarquer dans un tel esquif, Frederick plonge dans des eaux traîtres et glacées tandis que le Lusitania finit de sombrer. Par chance, il trouve une chaise longue à laquelle il s’accroche pendant de longues heures dans une eau à 11°, jusqu’à ce qu’un pêcheur arrive à la rescousse et le ramène à Cobh en Irlande.
Survivants du désastre.
Survivants du désastre. National Archives
Le corps d’une victime est chargé à bord d’un bateau le 24 mai 1915.
Le corps d’une victime est chargé à bord d’un bateau le 24 mai 1915. Library of Congress

Les leçons du Lusitania

Au lendemain de la catastrophe, le Lusitania fit les grands titres des journaux du monde entier et nombreux furent les proches de ses passagers qui attendirent avec angoisse de leurs nouvelles. Quelques jours après le désastre, Johanna, la veuve d’Adolf, reçut l’atroce nouvelle du décès de son mari. Elle déménagera ensuite à Bâle où elle vivra jusqu’à son décès en 1967. Le nom d’Adolf figure à la place d’honneur parmi les 36 000 morts du mémorial de Tower Hill à Londres. Le journal suisse Bote der Urschweiz fut le premier à annoncer dans son édition du 12 mai 1915 qu’Elise voyageait peut-être sur le Lusitania. Le March Anzeiger confirma la mort d’Elise 10 jours plus tard. La lettre qu’Elise avait envoyée des États-Unis parvint peu après à sa famille dévastée, à Lachen. Les restes de la jeune femme – tout comme ceux d’Adolf et de 800 autres passagers – ne furent jamais retrouvés. Frederick fut l’un des 763 survivants. Après le naufrage, il se rendit à Liverpool où il retrouva sa famille folle de joie. Frederick vint ensuite en aide aux familles des victimes en partageant le souvenir de leurs chers disparus au fil des années qui suivirent la catastrophe. Loyal à Cunard pendant le restant de ses jours, Frederick servit à bord de l’Aquitania, du Carmania et du Scythia pendant les années 1920 et 1930 à divers postes. Il prit sa retraite avant que n’éclate la Deuxième Guerre mondiale et mourut à Liverpool en 1967 à l’âge de 83 ans.
Survivants et victimes du Lusitania dans un article du journal français Le Miroir paru le 23 mai 1915.
Survivants et victimes du Lusitania dans un article du journal français Le Miroir paru le 23 mai 1915. Wikimedia
Le naufrage du Lusitania est trop souvent réduit à une obscure conspiration ou à une querelle judiciaire consistant à accuser la Grande-Bretagne, les États-Unis ou l’Allemagne de la catastrophe. Si l’événement suscite encore et toujours des discussions pertinentes sur le rôle de la neutralité, la culpabilité dans le commerce des munitions et ce qui constitue un crime de guerre, on ignore malheureusement trop souvent la richesse et l’humanité des histoires qui lui sont associées. Le naufrage du Lusitania marque la fin de l’époque édouardienne, l’émergence d’une ère nouvelle et la perspective de guerres toujours plus meurtrières. Les épreuves traversées pas Adolf, Frederick et Elise sous-tendent l’évolution sociétale majeure apportée en Occident par la deuxième vague de la révolution industrielle, la révolution sociale et la Première Guerre mondiale. Leurs destins nous font en outre partager la fascinante histoire de la participation suisse aux sociétés victorienne et édouardienne – une histoire qui mérite amplement nos recherches et notre intérêt. Ils éclairent aussi bien d’autres tribulations de Suisses – hommes, femmes et enfants – piégés dans des conflits dont ils n’étaient pas responsables et qui échappaient à leur contrôle.
Le naufrage du Lusitania fut utilisé par les États-Unis et la Grande-Bretagne dans leur propagande pour le recrutement. Affiches de 1917.
Le naufrage du Lusitania fut utilisé par les États-Unis et la Grande-Bretagne dans leur propagande pour le recrutement. Affiches de 1917. Library of Congress

Autres articles