Illustration de l’économie circulaire: un marché aux puces dominical à Londres, 1958.
Illustration de l’économie circulaire: un marché aux puces dominical à Londres, 1958. ETH-Bibliothek Zürich, Photo: Gustav Neuenschwander

Une brève histoire de l’économie circulaire

Si le terme est nouveau, le principe de l’économie circulaire – qui consiste à réutiliser, recycler ou réparer des objets – est vieux comme le monde.

Daniela Schwab

Daniela Schwab

Daniela Schwab est historienne et conservatrice des estampes, des gravures anciennes et des livres rares ainsi que du Swiss Graphic Design au Musée national suisse.

Bien qu’il ait fallu attendre la seconde moitié du XXe siècle pour voir apparaître le terme d’économie circulaire, les idées et techniques qui sous-tendent cette pratique sont vieilles comme le monde. Quelle que soit l’époque, on a toujours (ré)utilisé ce que l’on avait à disposition. Par exemple, il y a 30'000 ans, on recyclait déjà les déchets de production: les os de mammouth étaient transformés en flûtes une fois la viande consommée. Autre témoin de la réutilisation créative des objets, une épingle à vêtements vieille de près de 3000 ans, devenue hameçon.
Un hameçon pas tout à fait ordinaire: la tête décorative en forme de vase révèle qu’il s’agissait auparavant d’une épingle. Env. 900 avant J.-C.
Un hameçon pas tout à fait ordinaire: la tête décorative en forme de vase révèle qu’il s’agissait auparavant d’une épingle. Env. 900 avant J.-C. Musée national suisse
Dans l’Histoire, la société du tout jetable est un épiphénomène. Si les déchets ont bien sûr toujours existé, réutiliser au maximum les matériaux récupérables était traditionnellement la norme. Pourtant, il ne faut y voir aucune volonté de réduire les déchets. Il s’agissait plutôt de ne pas gaspiller les objets, qui avaient tout simplement une plus grande valeur qu’aujourd’hui. La perte de valeur des objets peut s’expliquer principalement par deux évolutions. La première est la révolution industrielle, qui a permis de produire des biens à moindre coût, diminuant ainsi leur caractère précieux. La deuxième est le «syndrome des années 1950», décennie où les marchés internationaux se sont vus inondés de pétrole bon marché. S’est ensuivie une baisse des coûts de transport. Parallèlement, la chute des prix du pétrole a fait baisser les prix des autres matières premières en diminuant le coût de leur extraction. En conséquence, les produits fabriqués à partir de ces matières ont eux aussi grandement perdu de leur valeur. Ils sont devenus des produits jetables générant des montagnes de déchets.
Décharge de Cholwald à Ennetmoos (NW), 1996.
Décharge de Cholwald à Ennetmoos (NW), 1996. Keystone
Par ailleurs, le rapport entre le prix des produits et celui du travail s’est inversé: les matériaux et biens sont devenus moins chers, tandis que le coût de la main d’œuvre a augmenté. Un phénomène qui n’avait quasiment jamais eu lieu avant le XIXe siècle. Financièrement, il ne valait plus la peine de payer de la main d’œuvre pour l’entretien d’un produit que l’on pouvait acquérir neuf à moindre coût. La conséquence, toujours observable aujourd’hui, fut une augmentation de la consommation, et donc des déchets.
La réparation comme norme historique: à la ferme, les femmes s’adonnent à des travaux manuels tandis que les hommes réparent les outils. Gravure, sans doute de Jakob Kaiser, vers 1850.
La réparation comme norme historique: à la ferme, les femmes s’adonnent à des travaux manuels tandis que les hommes réparent les outils. Gravure, sans doute de Jakob Kaiser, vers 1850. Musée national suisse
Les principes de l’économie circulaire – réduire, réutiliser et recycler – ont toujours défini l’utilisation des objets et matériaux. On retrouve des pratiques récurrentes de réutilisation dès l’Antiquité. Des épaves de navires chargés de vieux cuivre ou de débris de verre destinés au recyclage indiquent que l’on faisait déjà commerce de la revalorisation du verre et des métaux dans l’Empire romain. Le recyclage du bois a pu être observé quant à lui sur des épaves médiévales construites à partir de bois provenant d’autres parties du monde, récupéré la plupart du temps sur d’autres bateaux. Autre exemple de réutilisation d’une matière première, cette fois pour lui donner une nouvelle fonction: les textiles. Lorsqu’ils ne pouvaient plus être raccommodés, les chiffons étaient utilisés pour la fabrication de papier. Denrée rare et convoitée, les autorités de nombreuses localités interdisaient leur exportation au profit des moulins à papier locaux. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la fabrication de papier était une procédure fastidieuse qui comptait plusieurs étapes. Les chiffons étaient d’abord déchiquetés, puis on les laissait pourrir avant de les laver et de les transformer en pâte de fibres. Cette bouillie était ensuite passée dans un tamis en fils de fer pour fabriquer le papier.
Représentation technique d’un moulin à papier
Représentation technique d’un moulin à papier: en haut, les vieux chiffons sont coupés; en bas, les chiffons sont déchiquetés mécaniquement par un pilon entraîné par la roue du moulin, avant d’être réduits en fibres dans la «pile hollandaise», une machine qui produit la pâte nécessaire à la fabrication du papier. ETH-Bibliothek
Avant que les objets ne soient recyclés, on les transmettait à d’autres personnes, bien souvent aux classes sociales inférieures. La surconsommation des nobles joue un rôle particulier dans l’Histoire de la seconde main jusqu’au XIXe siècle. Pour continuer à s’offrir les accessoires dernier cri – et tout ce dont on avait besoin à des fins d’apparat –, il fallait trouver acheteur pour les objets usagés. C’est ainsi que les nobles ont un créé un marché de produits de luxe d’occasion pour les classes bourgeoises. Néanmoins, la seconde main n’était pas limitée à une classe particulière. On la retrouve dans toutes les couches de la société. La circulation des objets usagés était une composante importante des marchés.
Représentation d’un marché urbain au Moyen-Âge dans le «Trésor» de Brunetto Latini.
Représentation d’un marché urbain au Moyen-Âge dans le «Trésor» de Brunetto Latini. Bibliothèque de Genève
De nos jours, nous envisageons l’économie circulaire et ses techniques sous un angle entièrement différent de celui de nos ancêtres. En 2022, le jour du dépassement de la Suisse a été fixé au 13 mai. À partir de cette date, nous avons vécu à crédit au niveau des ressources – donc de manière non durable – jusqu’à la fin de l’année, soit 262 jours. Nous voyons l’économie circulaire comme un moyen de vivre plus durablement, c’est-à-dire sans consommer davantage de ressources que la Terre ne peut en générer. L’une des approches pour limiter la consommation des ressources consiste à concevoir des objets réparables et réutilisables. Dans le design dit circulaire, on prend en compte l’économie circulaire dès la phase de design et de développement du produit fini, au moment du choix des matières premières. Bien qu’essentielles, ces solutions occultent souvent un autre pilier de l’économie circulaire: réduire. Ce n’est pas un hasard si ce principe est le premier de la liste. En effet, pour diminuer l’utilisation des ressources, il est impératif de consommer moins, en renonçant à certains biens ou en réduisant leur taille. Les «tiny houses» illustrent bien ce concept. Il s’agit de petites maisons à la surface très réduite, qui consomment moins d’énergie et de ressources.
Une «tiny house» est généralement construite à partir de matériaux durables.
Une «tiny house» est généralement construite à partir de matériaux durables. Wikimedia / Ben Chun

La deuxième vie des objets. Pierre, métal, plastique

14.06.2024 10.11.2024 / Musée national Zurich
Notre société de consommation et du tout-jetable est un phénomène récent dans l’histoire de l’humanité. La rareté et le manque dictaient autrefois l’utilisation des matériaux et des objets. Jusqu’à la révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle, il était courant de donner des vêtements, de réparer des outils, de réutiliser des matériaux de construction, de faire fondre des objets en bronze pour en créer d’autres, ou encore de recycler des récipients en verre. Qu’ils soient en tissu, en métal, en pierre ou en verre, toutes sortes d’objets étaient à l’époque destinés à une deuxième ou à une troisième vie, voire à une vie éternelle. L’exposition jette un regard sur les méthodes passées et actuelles de l’économie circulaire. À travers leur histoire, des objets datant de l’âge de pierre à nos jours nous sensibilisent à la valeur des choses.

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