
La force de la coopérative
Le principe coopératif fut indispensable à la construction de la démocratie suisse. L’Année internationale des coopératives 2025 des Nations Unies prouve que cette forme de coopération joue également un rôle important à l’échelle mondiale.
L’historien suisse Adolf Gasser (1903–1985) a clairement mis en évidence l’importance du principe coopératif. À ses yeux, l’histoire européenne était profondément marquée par l’opposition entre deux idéologies: le pouvoir et la communauté (l’allemand Genossenschaft désignant aussi bien la coopérative que la communauté, en fonction du contexte). Selon Gasser, deux mondes évoluant selon des règles très différentes se faisaient face: celui des États bâtis de haut en bas, et celui des États bâtis de bas en haut. En d’autres termes, le monde de la liberté communale et celui de l’absence de liberté communale.
De l’importance du principe coopératif
Les communautés puisaient généralement leur source dans le droit foncier médiéval, autrement dit dans la «marche» ou Gemeinmark du Moyen Âge, terre exploitée en coopérative. Ces lointaines références s’avèrent importantes pour comprendre l’État suisse. En Suisse, les biens communaux jouaient un rôle de premier plan en matière de diffusion et d’évolution des coopératives. Ce terme désigne des pâtures, surfaces boisées et terres en friche qui devaient être accessibles à tous.
Les biens communaux étaient des surfaces désignées par la population d’une communauté villageoise (un ou plusieurs villages, hameaux ou groupes de fermes) en vue d’une exploitation collective. Parallèlement aux champs cultivés et aux surfaces dévolues aux fermes et jardins, ils constituaient une zone distincte gérée en commun. La noblesse européenne tenta dès le haut Moyen Âge de définir leur statut juridique, ou du moins de l’influencer. Le principe coopératif perdura cependant en de nombreux endroits, dont le territoire de l’actuelle Suisse. La variété des conditions prévalant au niveau local entraîna l’émergence d’une multitude de formes de coopératives au fil du temps.
La création des communes bourgeoises
Les membres de la communauté devinrent bourgeois de leur village, et les communautés se transformèrent en bourgeoisies. Il en résulta jusqu’en 1798 le processus de création des communes bourgeoises, que l’on retrouve encore dans de nombreux cantons. La République helvétique fut ensuite à l’origine de la division entre communes politiques et communes bourgeoises, ce qui accéléra la division des biens communaux. Certains furent exploités en fermage ou à titre privé, tandis que d’autres furent revendiqués par des communes politiques ou donnèrent naissance à des corporations de droit privé. En Suisse, les corporations et communes bourgeoises constituent de nos jours encore des traditions importantes qui permettent de créer des liens humains avec l’histoire et la culture d’une commune.
Le mouvement coopératif du 19e siècle
Dans les années 1980, la politologue américaine Elinor Ostrom (1933–2012) examina la «gouvernance des biens communaux» dans le cadre d’une étude fondamentale menée à l’échelle mondiale. Ses travaux lui valurent de devenir la première femme à recevoir le Prix Nobel d’économie en 2009. Elle démontra l’importance du principe coopératif à notre époque à partir d’exemples historiques provenant de plusieurs continents. En s’appuyant sur les biens communaux, elle fit ressortir la manière dont les humains s’organisent lorsque les ressources naturelles se raréfient afin de résoudre en commun des problèmes complexes. Ostrom conclut que dans de nombreux cas, pour assurer la bonne gestion des ressources locales issues des biens communaux, une coopération entre les personnes directement concernées est préférable à un contrôle de l’État ou à une privatisation. Pourrait-il y avoir meilleur argument en faveur du principe coopératif?
Quel avenir pour la coopérative?
Associés au système de milice, ses trois piliers (l’entraide, la responsabilité individuelle et l’autodétermination) sont garants d’une culture démocratique particulière. D’un point de vue historique, la notion de coopérative fut à bien des égards une référence majeure ainsi que le fondement tant de l’émergence et du développement de la démocratie directe que de la structure de l’État fédéral suisse. La Confédération suisse (Schweizerische Eidgenossenschaft en allemand) est ainsi le seul pays au monde à avoir intégré cette référence historique de premier plan dans son nom.


