La dernière loutre
La persécution ciblée, la modification de l’habitat et les polluants envi-ronnementaux sont considérées comme les causes de l’extinction de la loutre, comme on peut le lire devant un spécimen empaillé datant de plus d’un siècle exposé au Naturama d’Aarau. Déclarée en 1990, l’«extinction de la loutre en Suisse» est étroitement liée à l’histoire économique du pays.
Un changement de perspective se dessina en 1875. Certaines espèces de poisson furent pour la première fois placées sous protection nationale: les effluents des usines nocifs pour les poissons ainsi que la pêche à la dynamite furent interdits, et des périodes de fermeture mises en place. Tout cela n’avait toutefois rien à voir avec l’amour des animaux tel qu’on l’entend aujourd’hui. L’objectif déclaré de la loi fédérale sur la pêche était de doubler le revenu annuel de la pêche en Suisse, qui s’élevait alors à 400 000 francs. Autre aspect révélateur de l’état d’esprit de l’époque: la loutre était désormais un animal à abattre, au sens propre du terme.
Comment expliquer ce déclin? Pourquoi les dispositions de protection étaient-elles sans effet sur les effectifs de la loutre? En 1990, le groupe Loutre Suisse se pencha sur ces questions et étudia les raisons de l’échec de la réintroduction de la loutre au cours des dernières décennies. Il parvint à la conclusion que ce dernier n’était pas lié à un manque d’habitats adaptés, un recul des populations étant constaté à l’échelle de toute l’Europe. Le groupe était convaincu que la seule hypothèse susceptible d’expliquer l’extinction globale de la loutre en Europe était un empoisonnement chronique dû aux PCB contenus dans son alimentation.
Cette stabilité chimique les rend difficilement biodégradables. Leur liposolubilité entraîne leur accumulation dans la chaîne alimentaire. On parle de bioaccumulation. Les PCB pourraient par ailleurs être cancérigènes. Ils sont présents dans le monde entier: des traces de PCB ont été décelées dans des cheveux d’enfants, des aigles de mer, des poissons et des phoques arctiques. L’interdiction des PCB s’est généralisée à partir des années 1970. En Suisse, ils sont totalement interdits depuis 1986.
Comme l’a indiqué le Groupe Loutre Suisse, le soupçon selon lequel la concentration élevée de PCB dans la graisse corporelle rendrait les loutres, qui se situent à la fin de la chaîne alimentaire, inaptes à la reproduction, s’est confirmé. Des expériences menées sur des visons, une espèce proche de la loutre, l’auraient attesté. En 1990, le Groupe Loutre Suisse a estimé que la réintroduction d’autres loutres n’était pas judicieuse compte tenu de la contamination élevée des eaux suisses par les PCB. L’animal n’aurait eu, en l’état actuel, «plus aucune chance de survie». La mort du dernier spécimen sur les rives du lac de Neuchâtel marquait selon le Groupe Loutre Suisse la «fin de la loutre en Suisse».
Pendant 20 ans, l’animal ne put être admiré en Suisse que dans les musées, les parcs animaliers ou les zoos. On ignore dans quelle mesure cette perte de biodiversité fut perçue par l’opinion publique. Depuis 2009, quelques spécimens ont été observés en Suisse. Selon la fondation Pro Lutra, qui s’engage pour la recolonisation de la loutre en Suisse, les loutres auraient spontanément fait leur retour dans le pays en traversant le Rhône, le lac de Constance, l’Inn et le lac Majeur.
La Suisse empoisonnée
Il n’existe que peu d’études consacrées aux côtés sombres de l’industrialisation. Claudia Aufdermauer s’y intéresse dans son ouvrage «Vergiftete Schweiz. Eine andere Geschichte der Industrialisierung». En se concentrant sur le 19e siècle et le début du 20e siècle, elle retrace l’histoire environnementale de l’industrialisation et met en lumière ses conséquences jusqu’à aujourd’hui.


