Franziska Möllinger fut la première femme à utiliser des daguerréotypes comme matrices d’impression. Illustration de Marco Heer.
Franziska Möllinger fut la première femme à utiliser des daguerréotypes comme matrices d’impression. Illustration de Marco Heer.

La première femme photographe de Suisse

Première femme à exercer le métier de photographe en Suisse, Franziska Möllinger fait également figure de pionnière dans l’utilisation de photographies comme matrices d’impression. Le deuxième cliché original connu de Franziska Möllinger a réapparu en 2024.

Patrick Borer

Patrick Borer

Patrick Borer répertorie les documents historiques des expositions spéciales à la bibliothèque centrale de Soleure.

Consulter les petites annonces des journaux historiques est toujours passionnant. En effet, elles offrent un témoignage vivant du quotidien et des métiers de leur époque. Par exemple, une plongée dans le Soleure de l’année 1843 par l’intermédiaire du Solothurner Blatt nous donne à découvrir de la publicité pour de la «bonne eau-de-vie de genévrier (fabriqué à partir de baies) à 26 batz le litre», une offre d’emploi pour «deux jeunes femmes de chambre de bonne famille et de bonne tenue, afin d’apprendre le repassage» ou une annonce pour un appartement «sur une route de campagne praticable, à un quart d’heure de la ville». Aux abords de la Cathédrale Saint-Ours, on a perdu une boucle d’oreille en or, et quelqu’un a trouvé un caniche gris. Enfin, l’aubergiste Johann Joseph Strausack s’indigne par petite annonce contre l’allégation mensongère selon laquelle il aurait vandalisé un sapin dans la forêt de la ville.

Parmi ces offres, appels et informations, une annonce du 8 avril 1843 attire l’attention. Plus étendue que les autres, imprimée en caractères gras, elle est titrée «Portraits lumineux». Une certaine Franziska Möllinger y fait savoir qu’elle «réalise de magnifiques portraits lumineux tout à fait fidèles». Un portrait individuel coûte sept francs (environ 120 francs de notre époque), et il faut compter un franc supplémentaire pour un portrait familial. La personne qui se présente via cette annonce n’est autre que la première femme à exercer le métier de photographe en Suisse, et l’une des premières au monde.
Annonce de Franziska Möllinger dans le Solothurner Blatt du 8 avril 1843.
Annonce de Franziska Möllinger dans le Solothurner Blatt du 8 avril 1843. Zentralbibliothek Solothurn
C’est en 1839 que le Français Louis Daguerre présenta une technique photographique adaptée à un usage commercial. Ce procédé, la daguerréotypie, fit sensation à l’époque: si la réalisation d’un portrait impliquait jusqu’alors de longues séances de pause chez un peintre pour un résultat incertain – peu de portraitistes itinérants livraient des œuvres vraiment ressemblantes –, obtenir un portrait fidèle était désormais possible à partir d’un temps de pause de 20 secondes, comme l’affirmait Franziska Möllinger dans son annonce. Les daguerréotypes offraient une haute qualité, riche en détails, bien que la technique restât encore limitée. La durée d’exposition pour les portraits, qui paraît longue aujourd’hui, nécessitait de rester assis ou debout sans bouger, avec une expression fixe, afin d’obtenir une image nette. Il était en outre impossible de reproduire les images imprimées sur des plaques de cuivre argentées. Les avantages de cette nouvelle technique étaient toutefois si évidents qu’elle s’était rapidement répandue, y compris en Suisse et plus précisément à Soleure, comme en témoigne l’annonce de Franziska Möllinger.

Franziska Möllinger et la daguerréotypie

Née en 1817 à Speyer, Franziska Möllinger s’installa à Soleure avec son frère Otto en 1836. Otto Möllinger y avait obtenu un poste de professeur de mathématiques à l’école cantonale. Otto, qui avait de nombreux centres d’intérêt, se tourna rapidement vers les activités scientifiques, journalistiques et commerciales les plus diverses. Par exemple, il exerça avec succès la dorure par électrolyse. Comme il est avéré qu’il pratiqua la photographie et publia des ouvrages sur le sujet, son biographe Hans R. Stampfli suppose qu’il soutint sa sœur dans ses activités. La bibliothèque centrale de Soleure a conservé un ouvrage intéressant qui pourrait s’inscrire dans ce contexte: une collection d’œuvres reliées portant notamment sur la galvanisation – et une traduction en allemand d’une description de son procédé par Daguerre, datant de 1839. L’ouvrage portant en outre un tampon de la bibliothèque des professeurs de Soleure, il est hautement probable que cette collection à la thématique si particulière ait été acquise par Otto Möllinger et soit passée entre les mains de sa sœur.
Otto Möllinger vers 1857. Il n’existe aucun portrait connu de Franziska Möllinger.
Otto Möllinger vers 1857. Il n’existe aucun portrait connu de Franziska Möllinger. Zentralbibliothek Solothurn
Parmi les rares traces encore existantes de l’œuvre de Franziska Möllinger, le projet éditorial qu’elle réalisa entre 1844 et 1845 est le plus connu. Elle publia à compte d’auteur des vues lithographiques de villes et paysages suisses réalisées à partir de ses modèles daguerréotypés. Une démarche inédite comme le constate Markus Schürpf, car pour la première fois en Suisse, des photographies furent utilisées comme matrices d’impression. Le succès financier ne fut toutefois pas au rendez-vous: après la publication des 16 premières vues, le portfolio, en réalité plus volumineux, fut abandonné.
Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Berne, 1844.
Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Berne, 1844. Zentralbibliothek Solothurn
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Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Berne, 1844.
Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Berne, 1844. Zentralbibliothek Solothurn
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Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Soleure, 1844.
Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Soleure, 1844. Zentralbibliothek Solothurn
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Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Thoune, 1844.
Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Thoune, 1844. Zentralbibliothek Solothurn
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Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Bienne, 1844.
Vue extraite du portfolio de Franziska Möllinger: Bienne, 1844. Zentralbibliothek Solothurn
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Deux daguerréotypes ont été conservés dans leur état original. Jusqu’à fin 2024, la recherche n’en évoquait même qu’un seul, une vue du Château de Thoune datant de 1844. Depuis, un deuxième daguerréotype de Franziska Möllinger datant de la même année a réapparu. La bibliothèque centrale de Soleure a pu l’acquérir pour sa collection. Au-delà de son importance pour l’histoire de la photographie, ce daguerréotype est également pertinent par son contenu, puisqu’il représente des exilés polonais à côté de la stèle commémorative érigée à Zuchwil en mémoire du héros national polonais Tadeusz Kościuszko, décédé à Soleure. Le visage flou de l’un des sujets témoigne du défi que représentait l’immobilité lors de la prise...
Franziska Möllinger: deux hommes devant la tombe de Tadeusz Kościuszko à Zuchwil.
Franziska Möllinger: deux hommes devant la tombe de Tadeusz Kościuszko à Zuchwil. Zentralbibliothek Solothurn
Outre à Soleure, Franziska Möllinger a également proposé ses services de daguerréotypiste à Bienne et dans sa ville natale de Speyer. Elle fut donc une photographe itinérante, ce qui était courant à l’époque. Il semble qu’elle ait arrêté la daguerréotypie après 1845. En 1872, elle déménagea à Fluntern, près de Zurich, avec la famille d’Otto. Les Möllinger y dirigèrent un institut privé de mathématiques. Elle mourut en 1880. Son décès est attribué à une «rétractation pulmonaire». Il pourrait s’agir d’une conséquence tardive de son activité de daguerréotypiste, le procédé générant des vapeurs de mercure dangereuses.

C’est à peu près tout ce que l’on sait aujourd’hui au sujet de Franziska Möllinger. On ne connaît que les grandes lignes de sa biographie. Ironie du sort, aucune image de cette pionnière de la photographie et portraitiste n’a été conservée – on ignore donc totalement à quoi elle ressemblait.
L’un des deux daguerréotypes de Franziska Möllinger conservés dans leur état d’origine: vue du Chateau de Thoune, 1844.
L’un des deux daguerréotypes de Franziska Möllinger conservés dans leur état d’origine: vue du Chateau de Thoune, 1844. Wikimedia
Seules quelques-unes de ses œuvres ont été conservées. Grâce à elles, Franziska Möllinger s’est imposée aux prémices de la photographie comme l’une des rares femmes photographes dans le monde à cette époque. La seule photographe professionnelle indépendante l’ayant précédé semble avoir été Bertha Beckmann à Dresde – de façon avérée à la fin de l’année 1842, donc quelques mois auparavant. Quelques femmes avaient précédemment réalisé des prises de vue: en 1839, l’Anglaise Sarah Anne Bright avait photographié la feuille d’une plante. La même année, Constance Fox Talbot, épouse de l’inventeur Henry Fox Talbot, avait expérimenté le procédé photographique de son mari. Anna Atkins, qui publia en 1843 un recueil de photographies d’algues (appelées cyanotypies), est également citée comme la «première femme photographe». N une chose est sûre: en tant que daguerréotypiste et avec son activité éditoriale, Franziska Möllinger occupe une place de choix au classement des pionnières de la photographie.

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