Le secret du Globe de Saint-Gall est éventé

L’énigme entourant l’origine du Globe de Saint-Gall est enfin résolue. L’objet vient du nord de l’Allemagne, où il a été fabriqué par Tilemann Stella. Ces nouveaux éléments nous sont révélés par un parchemin vendu chez un brocanteur.

Andrej Abplanalp

Andrej Abplanalp

Historien et chef de la communication du Musée national suisse.

Si l’on avait souhaité tourner un film, on n’aurait sans doute pas pu imaginer meilleur scénario! Il y a quelques années, un cuisinier d’Olten achète un vieux dessin chez un brocanteur pour quelques malheureux francs et le suspend chez lui. Plus tard, il a l’intuition que ce document, au-delà de sa beauté, pourrait être précieux. Il se renseigne auprès d’un historien du voisinage qui, voyant l’objet, n’en revient pas. Le dessin a en effet une très grande valeur et fournit des indications inédites sur l’origine du Globe de Saint-Gall, l’une des pièces les plus importantes de l’histoire culturelle de la Suisse, qui se trouve depuis des années au Musée national Zurich.

On supposait jusque-là que le globe était originaire d’Augsbourg ou de Constance. Mais le dessin du cuisinier d’Olten apporte de nouveaux éléments permettant de lever le voile sur ce mystère. Les scientifiques de la Bibliothèque centrale, qui avaient entre-temps acquis le document, décident alors de soumettre ce dernier à des analyses optiques et radiographiques. Ce faisant, ils découvrent, dissimulés dans la structure du globe, trois portraits cachés de personnalités historiques, grâce auxquels il est possible de répondre définitivement à la question de l’origine. L’évaluation des peintures montre en effet que le globe vient de la cour de Mecklembourg, à Schwerin, et qu’il date de la fin du XVIe siècle. Il a été fabriqué par Tilemann Stella (1525–1589), un savant au service du duc Johann Albrecht Ier de Mecklembourg. Il a toutefois fallu deux étapes pour réaliser ce globe terrestre et céleste. En 1576, l’objet est terminé, à quelques travaux de décoration près. Mais, cette même année, le duc est victime d’une maladie foudroyante, ce qui explique que l’on ne trouve pas de dédicace sur le globe. Plus tard, son fils Johann VII va se faire représenter sur l’un des portraits recouverts, signifiant ainsi qu’il est le commanditaire et le propriétaire de l’œuvre. Après son décès, la cour connaît de graves difficultés financières et doit se séparer de biens précieux pour payer ses dettes. C’est dans ce contexte que le globe arrive à l’abbaye de Saint-Gall.

De façon quelque peu malencontreuse, deux des portraits figurant sur le splendide objet représentent les savants Gérard Mercator et David Chytraeus, de farouches défenseurs de la Réforme. Le prince-abbé de Saint-Gall juge leur vue indésirable. Il fait donc recouvrir et retoucher les deux tableaux. L’opération fait disparaître le savant universel Mercator, protestant affirmé, sous une couche de peinture tandis qu’une fois retravaillé, David Chytraeus prend les traits du savant grec Archimède. La présence dans un couvent saint-gallois d’un mathématicien et physicien grec était semble-t-il plus convenable que celle d’un réformateur du nord de l’Allemagne... D’autres indices comme le portrait lui aussi modifié du prince Johann VII, grimé en moine, les noms de saints vénérés sur le plan régional, la mention de la ville de Rostock ajoutée sur la carte, et l’utilisation du calendrier julien, qui, à la fin du XVIe siècle, n’est plus utilisé que par les protestants, sont des preuves indiscutables que le globe est originaire de la cour de Mecklembourg.

L’un des grands mystères entourant l’histoire du globe est ainsi éclairci. Une interrogation demeure pourtant: à quoi pouvait donc servir le document acheté par le cuisinier? A l’origine, il devait être une sorte de prospectus de vente accompagnant le globe. La famille ducale tenait à ce que cet objet d’apparat parte dans une région lointaine car sa présence dans un voisinage immédiat aurait été très mauvaise pour le prestige de la cour. C’est pourquoi un prospectus onéreux a été élaboré et envoyé dans des contrées méridionales. Quant aux circonstances ayant voulu qu’il se retrouve chez un brocanteur, puis plus tard en possession d’un habitant d’Olten, elles resteront sans doute à jamais mystérieuses. Encore que tout soit possible, comme en témoignent les dernières découvertes faites autour du Globe de Saint-Gall.

Conclusion: l’Histoire est aussi haletante qu’un polar et les collaborateurs de la Bibliothèque centrale se surprennent parfois à jouer davantage les criminologues que les scientifiques!

L’analyse scientifique complète du Globe de Saint-Gall a été publiée dans la Revue suisse d’Art et d’Archéologie, volume 74, cahier 2/2017. Cette publication peut être commandée aux éditions Karl Schwegler, Hagenholzstrasse 65, 8050 Zurich ou achetée à la boutique du Musée national Zurich.

Le document déniché chez un brocanteur s’est révélé être un prospectus de vente du globe. Cette illustration a permis de déterminer clairement l’origine du précieux objet. Photo: Bibliothèque centrale de Zurich

Le Globe de Saint-Gall a été fabriqué dans le nord de l’Allemagne avant d’être vendu en Suisse. Photo: Musée national suisse

Comment le réformateur du nord de l’Allemagne David Chytraeus a pris les traits du savant grec Archimède. Photo: Musée national suisse

Des retouches ont permis de faire du prince Jean VII de Mecklembourg-Schwerin un moine. Photo: Musée national suisse

Grâce à la réflectographie infrarouge, on voit encore plus nettement que l’ecclésiastique n’en a pas toujours été un. Photo: Musée national suisse

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