
Une commune sans habitant – mais avec des chênes
Avec la fin de la République helvétique, l’heure de la réorganisation avait sonné. C’est à ce moment-là qu’une commune unique en Suisse a vu le jour, sans habitant mais peuplée de chênes, qui marquent les débuts du développement durable.
Plus qu’une simple bizarrerie administrative
La présence majoritaire de cette essence ne peut donc qu’être le fruit d’une intervention humaine. On la doit aux autorités de Berne et de Fribourg. En 1713, elles ordonnèrent à l’avoyer de Morat de défricher deux grandes surfaces forestières et d’y planter des chênes. C’est ainsi qu’une chênaie, d’une centaine d’hectares à l’origine, a vu le jour dans les deux parties de la Forêt du Galm, Untereichelried et Obereichelried. Quelques chênes de cette époque sont toujours en place.
La littérature disponible sur le sujet n’éclaire guère sur les raisons et le but de l’ordre donné en 1713. Ce qui est certain, c’est que la forêt était la ressource principale jusqu’à l’époque moderne. On sait qu’elle offrait nourriture, bois de chauffage et de construction, car elle continue de le faire un peu. En revanche, rares sont ceux qui savent que la forêt a également servi de pâturage pendant longtemps. Ainsi, les paysans des environs étaient autorisés à laisser paître leurs porcs dans la forêt pour les engraisser. Ce droit accordé par les seigneurs était appelé «glandage». En d’autres lieux, certains pâturages boisés avaient été créés spécialement à cette fin, comme sur le domaine du château de Wildenstein à Bâle-Campagne, où l’on peut toujours voir le «pâturage» boisé composé de chênes, dont certains sont âgés de 500 ans.

Tournant dans la sylviculture
Des conflits de la sorte avaient aussi précédé l’ordre de transformer une partie de la Forêt du Galm en chênaie. Nul ne sait s’il y avait à l’époque une réelle pénurie de bois due à une surexploitation ou simplement la crainte de celle-ci. Dans tous les cas, les propriétaires de la forêt s’intéressaient surtout au bois de construction de haute qualité tel que le chêne. Quelques décennies auparavant, la France avait également planté massivement des chênes. Jean-Baptiste Colbert, ministre du Roi Soleil Louis XIV, entendait s’en servir pour garantir l’approvisionnement en bois des forces navales. Enfin, la littérature sur l’histoire des forêts montre que la sylviculture a connu un tournant dans toute l’Europe dans le contexte de nouvelles théories économiques, avec une réorientation massive en faveur d’une production de bois rationnelle et ciblée.
Cela concorde avec la parution du premier livre au monde consacré exclusivement à la sylviculture en 1713, la même année où l’ordre de planter des chênes fut donné à l’avoyer de Morat: Sylvicultura oeconomica oder haußwirthliche Nachricht und Naturmäßige Anweisung zur wilden Baum-Zucht de Hanß Carl von Carlowitz (1645-1714).
Naissance du «développement durable»
Cette année-là peut donc être considérée comme l’année de naissance des notions de développement durable et de durabilité, présentes dans tous les débats actuels sur la gestion des ressources («Nachhaltigkeit» dans les pays germanophones et «sustainability» dans les pays anglophones). Les chênes qui caractérisent la Forêt du Galm et qui figurent sur ses armoiries datent de cette même époque.


